« Anesthésié de toute peur », un jeune médecin raconte sa traversée en kwassa-kwassa

Quentin Gleitz est médecin. En 2018, de passage à Mayotte, il a voulu comprendre la réalité des traversées entre Anjouan et Mayotte. Deux ans plus tard, il en tire un film, Le Bruit des Vagues, entre témoignage subjectif et reportage. Et si les chiffres et faits historiques sont parfois contestables, le témoignage n'en reste pas moins poignant.

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26 passagers entassés dans une barque sans aucune sécurité (capture)

Le JDM
Le film « Le Bruit des Vagues », diffusé sur YouTube, est entrecoupé de témoignages de passagers mais raconte surtout votre traversée d’Anjouan à Mayotte en kwassa, pourquoi avoir fait un tel voyage, puis un film ?

C’était en 2018, Je travaillais pour une boîte en accompagnant des jeunes filles pour faire des IVG, j’allais donc à la rencontre de jeunes, souvent sans papiers, et je faisais de la prévention à la santé dans des collèges ou lycées. Je travaillais avec des clandestins j’ai vu de la souffrance, personne à Mayotte ne peut la nier. Cette histoire m’a sensibilisé. J’avais besoin d’y aller, de voir, de sentir et de ramener quelque chose. En voyage en Afghanistan j’avais commencé un livre qui ne s’est pas concrétisé. J’ai été bénévole dans pas mal d’associations et j’ai beaucoup travaillé dans le social en marge de mes études. Ce qui m’a frappé à Mayotte c’était ça. Ce n’était pas un choc car j’avais déjà vu des pays pauvres avec une précarité omniprésente. Mon but était de revenir avec quelque chose, de ne pas revenir qu’avec un discours, mais avec une œuvre pour pouvoir susciter le débat.

Comment ça s’est passé, les passeurs n’étaient pas méfiants ?

J’ai contacté des Mahorais qui m’ont conseillé et donné des contacts et fait rencontrer des passeurs. J’ai pris le Maria Galanta jusqu’en Union des Comores où j’ai rencontré mon guide si je peux dire, puis je suis rentré en France de manière clandestine. Il y avait le risque d’être considéré comme un policier, j’ai du les mettre en confiance. Je craignais des menaces mais je n’en ai pas eu sur place, j’étais plutôt quelqu’un d’étrange pour eux. Le voyage m’a coûté 200€, on était 26 à bord. De ce que j’ai compris ça dépend du service rendu. Moi ceux qui ont pris le bateau avec moi ont payé près de 100€. Côté sécurité il n’y avait rien, même les passeurs n’avaient pas de gilets.

Vous n’aviez pas de gilet non plus, que ressent-on pendant la traversée ?

A bord je le dis dans le film, on est anesthésié de toute peur, on y est, on a la mer autour de nous, on ne peut pas revenir en arrière. Une fois dans le bateau on attend que ça passe. J’avais un portable pour m’éclairer, je sais même pas si j’aurais pu appeler. Je me suis même pas posé la question. Je suis parti en me disant je suis aussi un clandestin, je n’avais pas de gilet, pas d’arme. C’était très silencieux, il n’y avait pas de discussion, ça fait partie aussi de cette anesthésie. On subit sans parler. Je pense que j’ai vraiment vécu le voyage comme il peut se passer d’habitude, un voyage sans encombre, je n’ai pas assisté à des drames tels que les témoignages que j’ai eus.

En visionnant le film, des internautes vous reprochent d’être partial, que leur répondez-vous ?

Quentin Gleitz, désormais médecin en métropole, a voulu susciter le débat (DR)

En publiant sur Facebook on m’a reproché pas mal de choses, notamment de « prendre partie ». Quand il y a un manque, quand les choses ne sont pas encadrées avec bienveillance, il y a des fractures sociales. A Mayotte on est en plein dedans. J’ai choisi de prendre la défense des clandestins qui souffrent. En publiant sur Facebook on m’a reproché pas mal de choses, notamment de « prendre partie », j’aurais aussi pu prendre partie pour les Mahorais natifs qui souffrent aussi, ça mériterait d’être fait mais ce n’était pas l’objet de ce reportage. Ceci étant je ne suis pas journaliste. Moi d’un point de vue vidéo je n’ai pas d’expérience, je n’ai pas suivi de formation, j’aimerais beaucoup être médecin reporter. Mais ça donne au film un style particulier, des gens ont qualifié ça de journal intime, d’autres de manifeste. C’est un documentaire mais très subjectif, l y a des chiffres, des données, des faits, mais un reportage devrait être totalement objectif.

Si le film n’a pas vocation à être objectif, quel est son but ?

J’ai envoyé des mails, j’ai contacté les députés et les sénateurs. J’ai un message à faire passer qui est politique aussi, j’aimerais toucher le plus de personnes possible. Le but du reportage c’est de susciter le débat, je ne suis pas porteur de solutions, je ne suis pas un journaliste ni un historien, je suis un citoyen, un médecin, je travaille à l’hôpital, ce que je veux c’est qu’on s’interroge sur ce qui se passe à Mayotte, ce que vivent les gens qui vivent à Mayotte. C’est comme un électrochoc que j’ai envie de passer. Après, ce qu’on en fait n’est pas entre mes mains.

Propos recueillis par Y.D.

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