C’est un message fort adressé aux futurs passeurs. Prétendre qu’on est un simple passager qui s’est vu confier la barre à l’arrivée de la police ne marche pas ou plus, et le sacrifice de vies humaines en quête d’argent facile est sévèrement puni.
Un passeur en a fait l’expérience ce mercredi au tribunal de Mamoudzou. Il lui était reproché pour la troisième fois en à peine plus de deux ans d’avoir effectué la traversée en kwassa d’Anjouan à Mayotte en mettant en danger ses passagers. Après deux condamnations à de la prison avec sursis puis à 6 mois ferme, la troisième traversée a viré au drame.
On est alors le 19 mai 2019. Sur une plage d’Anjouan, le jeune récidiviste de 19 ans fait embarquer une vingtaine de passager ainsi que des marchandises, notamment trois bidons de 60L de carburant. Comme souvent, deux moteurs propulsent la barque, un de 40cv et un moins puissant, de 15cv. Au départ la mer est calme, et la traversée s’annonce bien. L’embarcation contourne Mayotte par le nord et revient vers Petite Terre par l’est. Mais le radar repère le manège de la barque et l’intercepteur Makini de la police aux frontière appareille. Dès que le bateau repère le kwassa, son équipage comprend que le frêle esquif est surchargé. Les bords de la coque sont au raz des vagues. En effet, l’expertise conclura plus tard que le kwassa était conçu pour emporter tout au plus 600kg à son bord. Les passagers et les marchandises totalisaient pas moins du double.
La Makini a donc d’abord entrepris de se placer entre la barque et les côtes de Petite Terre pour l’obliger à s’arrêter. Le pilote lui, tente de se faufiler en zigzaguant dangereusement. Les passagers eux, comprennent alors qu’ils sont cernés et ne pourront échapper à la PAF. Ils supplient le pilote de couper les moteurs, ce qu’il fait. Il ne restait aux fonctionnaires français qu’à aborder le kwassa pour faire monter la vingtaine de passagers à bord de la Makini pour les emmener sur la terre ferme.
C’est là que tout a basculé. En s’approchant, la Makini aurait créé des vagues qui ont pu faire entrer de l’eau dans la barque. Toujours est-il que la « mise à couple » des deux bateaux vire au drame. La Makini touche le kwassa qui en moins de cinq secondes prend l’eau par la poupe, se dresse à la verticale et coule. Deux policiers se jettent à l’eau. Parmi les naufragés repérés, une petite fille flotte inconsciente, la tête dans l’eau, le ventre gonflé d’eau de mer. Un policier tente malgré tout de la hisser à bord, lui fait un massage cardiaque et la place en position latérale de sécurité, et c’est le miracle : la fillette tousse, recrache l’eau et sera conduite à l’hôpital. Une autre fillette de 10 ans et un adulte auront moins de chance, leurs corps seront retrouvés plus tard sans vie.
“On a récupéré deux gosses, tout le monde à la baye”
Dans le même temps, les échanges radio des marins témoignent de la confusion qui régnait dans l’obscurité. Il est alors 19h20.
“Quand il a coupé les moteurs il nous a percutés, il nous est passé en dessous”
“On a récupéré deux gosses, tout le monde à la baye”
“C’est eux qui nous ont percutés d’accord ?”
Des échanges qui ont interpellé le magistrat instructeur en charge de l’enquête.
La Makini a-t-elle causé le naufrage en percutant le kwassa ? Des passagers témoignent en ce sens. “C’est au moment où ils nous ont touché que le bateau a commencé à prendre l’eau” dire l’un d’eux.
Le chef de bord a lui dit à la radio que « le kwassa est passé sous la Makini, je pense qu’il y a eu une collision mais je ne peux pas déterminer la responsabilité de chacun ». Il s’en expliquera plus tard auprès des enquêteurs. « La Makini est beaucoup plus haute que le kwassa, ça explique ce que j’ai dit à l’opérateur. » Pour l’avocat de la défense Me Andjilani, « il est établi que c’est la PAF qui a causé le chavirage du navire ».
Toutefois l’enquête ne montrera aucune trace de collision sur les deux bateaux. Le passeur lui-même finira par disculper les policiers. « Il a suffit que le bateau de la police touche le kwassa pour qu’il chavire car il y avait déjà de l’eau. Il ne nous ont pas percuté mais juste effleurés » dira-t-il au juge.
A l’audience, le pilote continue à minimiser son implication mais reconnaît avoir pris la barre. Les passagers eux, le désignent comme commandant, et affirment que c’est lui qui a encaissé le prix de la traversée. S’il nie ces accusations en bloc, il déplore tout en minimisant. “C’est difficile et douloureux, je ne venais pas à Mayotte pour tuer des gens, je n’ai pas de responsabilité puisque je n’étais pas le commandant”.
Une défense balayée par un des passagers, invité à témoigner à la barre.
« C’est lui qui était à la manette et qui voulait s’enfuir, quand la vedette des policiers a demandé de nous arrêter il a refusé, c’est lui qui pilotait et faisait des zigzags ».
Pour la substitut du procureur Cécile Henoux, ces faits sont « choquants pour tout le monde, passagers comme policiers de la PAF et même pour le prévenu devant vous qui n’en sort pas indemne, quand il dit qu’il n’est pas venu tuer quelqu’un, c’est évident, c’est bien un homicide involontaire qui lui est reproché. Pour autant ce n’est pas un accident qu’on peut déplorer car on ne l’avait pas vu venir, devant ce tribunal on a systématiquement la même infraction qui est retenue avec des passagers exposés à un risque de mort. Dans ce dossier on voit que ce risque n’est pas vain, il existe, et il se réalise. » Et de balayer les doutes sur l’action de la police. « Les éléments du dossier montrent qu’il y a eu des morts parce que la fillette n’avait pas de gilet, parce que la barque prenait l’eau, parce que le pilote avait une conduite dangereuse. Il n’y a pas de faute dans le travail des policiers de la PAF. »
Alors que le parquet réclamait 4 ans ferme contre le récidiviste, les juges sont allés au delà, en prononçant 5 ans de détention et la révocation du sursis de 6 mois prononcé par le passé pour un total de 5 ans et demi de prison. Il a déjà effectué près de 18 mois en détention provisoire.
L’affaire ne se limite toutefois pas à ce seul cas. Les téléphones récupérés sur le passeur ont permis d’identifier des numéros, ont justifié des mises sur écoute, et c’est tout un réseau de trafic d’êtres humains qui a été démantelé, et qui devrait faire surgir de nouvelles affaires devant la justice.
Y.D.