À Mzouazia, les pêcheuses à pied s’emparent de la gestion du poulpe

Pendant plus de trois mois, de la mi-février à la fin-mai, la baie de Mzouazia, commune de Bouéni, sera interdite à la pêche au poulpe et aux coquillages. Une première de cette ampleur dont l’objectif est de permettre la mise en place à travers les données scientifiques récoltées en amont, pendant et en aval de la fermeture, d’une gestion de ces ressources très prisées par les pêcheurs à pied. De quoi paver la voie à un savant mélange entre valorisation des activités traditionnelles et respect de la biodiversité.

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Si le poulpe n’est pas une espèce en danger « il pourrait vite le devenir avec l’augmentation de l’effort de pêche, d’où l’intérêt de prévenir, en amont, cette éventualité en gérant judicieusement la ressource », fait valoir Morgan Muylaert, chargé de mission Pêche et aquaculture au Parc marin. ©Marion Joly

Parcheminée par une pluie fine mais incessante, la mer ne donne pas envie ce matin. Qu’à cela ne tienne, dans la baie de Mzouazia, un groupe de pêcheuse à pied dont les plus âgées semblent en avoir vu d’autres, s’arriment de leurs seaux en plastique et partent à la récolte. « C’est un bon temps pour le pwedza, s’amuse l’une d’elles, en plus il y a encore des grosses marées en ce moment. » Aux côtés des bouénis, plusieurs agents du parc marin et de la municipalité éponyme. L’objectif de cette équipée  – en supplément de quelques poulpes et de coquillages pour les pêcheuses – entamer un travail commun qui trouvera son point d’orgue à la mi-janvier avec la fermeture de baie pour trois mois.

Ce n’est pas la première fois que le trio pêcheuses à pied, commune, Parc marin se retrouve à travailler main dans la main. En 2016, déjà, une partie de la baie de Mzouazia avait été fermée à la pêche. Une première qui avait rencontré quelques écueils au premier rang desquels une surveillance pour le moins lacunaire. Mais cette année, « les pêcheuses ont décidé d’élargir la zone à l’ensemble de la baie. Pendant trois mois, toute sorte de pêche à pied y sera interdite. En amont nous faisons un suivi sur les captures et l’effort de pêche : nombre de poulpes par personne, le poids de l’animal et le temps de pêche. L’idée est de comparer ces données avec celles que l’on récoltera à la réouverture. On fera alors un suivi le jour même puis deux autres suivis à moyen terme », explique Mélissa Conord, chargée de mission pêche et aquaculture au PNM.  Quatre ans auparavant, et même si la fermeture n’était pas respectée à la lettre des résultats « intéressants avaient déjà apparus. « On a observé que le poids moyen des poulpes pêchés avait doublé le jour de la réouverture. C’est donc la preuve que la fermeture est efficace. On a aussi observé une augmentation sur la baie voisine, qui elle était restée ouverte à la pêche. C’est aussi un résultat intéressant », rappelle Morgan Muylaert, également chargé de mission pêche et aquaculture au parc marin, entre deux pesées de pwedza fraichement pêché.

Une initiative citoyenne

Au côté des pêcheuses, il rappelle aussi que si le parc a suggéré une période de clôture, ce sont bien les premières concernées qui ont décidé de la mettre en place, et de l’étendre, à travers leur  association Mila Ounangou et en lien avec la municipalité de Bouéni. « Ces derniers temps, la pêche est moins bonne. C’est pour cela que nous avons demandé la fermeture. À la dernière réouverture, nous n’avons pas pêché autant que ce que l’on espérait car il y avait beaucoup de monde mais tout était plus gros, surtout les poulpes et c’est déjà une bonne chose. Cette année nous avons décidé de fermer toute la baie donc ce sera peut-être à la fois plus gros, et en quantité à la réouverture !», espère Hamada Bouéni, à la double casquette de pêcheuse à pied et d’agent de la mairie. Avant de rappeler , coquillages en main, un préalable : « Il va aussi falloir améliorer certaines choses comme la surveillance. La dernière fois, les pêcheuses pouvaient expliquer que c’était interdit car la zone était vraiment devant le village. Mais ça n’empêchait pas les plongeurs d’aller chercher le poulpe. Alors maintenant que la zone est vraiment grande, il va falloir qu’il y ait vraiment de la surveillance. Les plongeurs pêchent les poulpes avant que la marée soit basse, c’est pour ça qu’il ne reste plus grand chose pour les pêcheurs à pied ensuite », explique celle qui visite cette baie au moins une fois par semaine depuis ses six ans et qui se souvient les pieds dans l’eau d’un temps où «il y avait beaucoup plus à pêcher. Il y avait tout le village, toute la commune, on était énormément mais tout le monde trouvait quand même quelque chose à mettre dans son petit panier ».

Ancrer les activités traditionnelles dans une démarche durable

Côté surveillance, c’est entendu pour le Parc marin qui s’attelle à organiser des patrouilles en lien avec la police municipale, la gendarmerie maritime et les affaires maritimes. Autre volet de l’action du parc, en plus de tout le travail scientifique qui doit permettre de déterminer le cycle le plus efficace de fermetures, la pédagogie. « Sur les sites pilotes [une opération similaire doit se monter au nord de l’île, à Mtsamboro, ndlr], il y a une forme de compréhension mais je pense qu’il faut encore continuer la sensibilisation car forcément, ce genre d’initiatives ne fait pas l’unanimité. Il faut expliquer, éduquer au respect du lagon de manière générale et montrer que c’est dans l’intérêt de tous. Là on parle principalement de poulpe mais il faut avoir une réflexion d’ensemble car nous qui nous occupons essentiellement de biodiversité marine voyons bien que tout est lié. C’est du travail à long terme et je pense que les choses iront mieux avec la génération à venir car pour l’instant même s’il y a eu des progrès chez les anciens et dans notre génération, il y a encore beaucoup à faire pour changer des mentalités qui sont dures à changer », estime ainsi Dailami Ben Ali, chargé de mission Activités traditionnelles.

Un poste qui rappelle bien l’ambition du parc à travers ce type d’actions : « À chaque fois, on essaye de régler le problème environnemental à travers le prisme social. Il faut que les communautés comprennent que la gestion des ressources est importante et qu’elle va dans l’intérêt de tous. C’est avant tout cela notre démarche. L’intérêt de s’occuper du poulpe en ce moment c’est de montrer aux communautés que facilement, on peut avoir une gestion de la ressource simple et efficace », résume Morgan Muylaert, un peu désolé de ne peser que des poulpes de moins d’un kilo. Mais rassuré par l’enthousiasme des pêcheuses, bien décidées à faire de cette opération un succès.

G.M

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