Nous nous faisons souvent l’écho ici d’actions permettant d’intégrer les jeunes en errance dans un cursus de resocialisation. Depuis 2018, un espace socio-culturel dédié à l’alphabétisation des adultes et jeunes décrocheurs, a été monté à Trévani.
Son initiatrice, Cathy Berthelot, a tout quitté il y a 4 ans pour venir à Mayotte et accompagner les populations fragiles. Elle a choisi de focaliser son action sur les mineurs isolés de la commune de Koungou : « Aujourd’hui nous accompagnons les jeunes de Trévani, demain nous nous occuperons des jeunes de Koungou et ensuite de ceux de Majicavo, et de Longoni », une structure montée en partenariat avec le CCAS de Koungou, la Mairie, la Politique de la ville, la Gendarmerie de Majicavo, l’État, ainsi que d’autres dispositifs présents sur l’île. »
L’objectif est de créer un service de proximité pour participer à la lutte contre l’illettrisme dans la commune. Il s’agit de permettre aux habitants du village d’accéder à l’apprentissage de la langue française, de remettre à niveau ceux qui ont décroché du système scolaire, d’accompagner les jeunes adultes vers des formations, d’aider les enfants à atteindre le niveau académique de leurs classes en soutien scolaire, de créer des emplois sur la commune et de permettre aux animateurs de monter en compétences.
Mais de tout cela, ce sont les jeunes qui en parlent le mieux, notamment Saïd, tout autant bénéficiaire qu’acteur de cet aventure : « Nous trainions sur le trottoir à Trévani, quand Cathy Berthelot est venue nous voir. ‘Qu’est ce que vous voulez pour sortir de votre quotidien de bagarres et de conflits ?’ », Saïd complète, « parce que vous savez, à force, notre village il n’a pas une bonne réputation, et nous, on nous pointe du doigt. » On comprend. Pas plus tard que ce week-end, des pompiers ont été caillassés alors qu’ils intervenaient sur un feu de poubelle. Des faits qui seraient commis par les mineurs du village, et qu’ils déplorent.
Lors de leur 1ère rencontre, Cathy Berthelot leur parle de son idée d’espace socioculturel, baptisé aux initiales tutoyant leur statut, L.M.I.D.M pour Les Mineurs Isolés De Mayotte.
« Marre de l’image négative qu’on donne »
Isolés, ils ne le sont pas tous, en tout cas, pas ceux du petit groupe qui nous parle chacun à leur tour, derrière leurs meubles au Marché paysan de Coconi ce samedi. Leurs familles sont généralement monoparentales. Saïd vit avec sa maman. Il était scolarisé en 1ère L au lycée des Lumières l’année dernière avant de décrocher. Attoumani lui, a suivi une formation de charpentier au GSMA, a trouvé un travail dans la plomberie à Mtsapéré, « mais pour y aller, je devais me lever à 4h du matin, et j’étais pas sûr de trouver un taxi. J’en ai eu marre. » Mais grâce à l’action de Cathy Berthelot, qui avec Gilles Viau passe ses samedis à les orienter à travers les freins administratifs (certains sont nés à Mayotte, d’autres non), et vers les structures comme Pôle emploi ou la Mission locale, il a décroché une formation de charpentier pour ce 7 décembre à Kavani.
Aslam, 22 ans, vit seul lui, ses parents ayant été reconduits à la frontière en le laissant sur le territoire. Il a un CAP de carreleur mosaïste en poche.
Depuis deux mois, ils conjuguent leur semaine ensemble et dans la construction, « nous avons un atelier où nous fabriquons les meubles, nous commençons à avancer, à nous épanouir », témoigne Saïd qui n’a pas peur des mots. Quant à savoir s’ils ont définitivement tourné la page d’une vie d’errance, ils veulent s’en convaincre, « on veut arrêter les bêtises, on en a marre que les gens aient toujours une image négative de nous », nous explique Saïd les yeux plantés dans les nôtres.
Tables basses, peintes ou vernies, chaises, meubles à étagère, « nous créons le besoin », explique Saïd. On sent que les leçons de Gilles Viau, Intervenant sur l’aide à la création d’entreprise et notamment en couveuse, ont porté.
« Les parents loin des références de notre société »
Saïd se veut être leur porte-parole quand il répète « on veut se remettre sur le droit chemin ». Mais un encadrement pérenne à la maison fait défaut. « Pour nous, notre référence, c’est Cathy, c’est un ange tombé du ciel ! » Quand on leur demande ce qu’il faudrait mettre en place pour que les parents reprennent leur rôle, la parole se fait fleuve : « D’abord, les parents, à la fois ils ont peur qu’on les juge par rapport aux bêtises de leurs enfants, mais ils ne leur donnent pas tous leurs droits, comme celui d’aller à l’école, ou de bien les éduquer, et aussi de leur parler avec du cœur, et pas en leur parlant toujours mal. Ils sont traditionnels, ils n’ont pas les références de cette société qui a changé, il faut leur donner. Mais il ne faut pas s’adresser qu’aux parents, il faut aussi viser les jeunes. Et le jeune, il a les références de l’endroit où il vit. Il passe de la télé à Facebook, et s’il ne voit pas son grand frère travailler, il va l’imiter. Nous, en construisant ces meubles, on montre aux petits qu’on peut faire quelque chose de positif. Et les grands viennent aussi nous voir.
L’espace socio culturel L.M.I.D.M est soutenu par la politique de la Ville de l’Etat, permettant un appui technique non négligeable : 7 salles de classe, du matériel audio et vidéo pour les remises à niveau et la préparation aux examens DELF* du GRETA, des manuels et des fournitures scolaires.
C’était un samedi matin fastueux à Coconi. Le marché paysan avait séduit une foule en nombre, et les meubles ont attiré plus d’un regard. Gilles Viau se réjouit : « Nous avons eu beaucoup de précommandes de meubles, et nous avons eu la visite de la Dieccte, du RSMA, et du CASNAV », (Centre académique pour la scolarisation des élèves nouvellement arrivés et enfants issus de familles itinérantes).
De leurs compétences individuelles ils veulent créer une entreprise d’artisanat, qu’ils veulent un exemple pour les autres jeunes de la commune.
Anne Perzo-Lafond