« Quand on est en haute mer et qu’un problème survient, on ne peut pas appeler le garage d’à côté pour se dépanner, et l’on doit faire face avec ses collègues du bord à tous les problèmes du moment ». Si Robert Amis parlait au nom du Mérite maritime dont il est titulaire, il est aussi un des « anciens de Mayotte », pour avoir exercé comme directeur du STM en 1985. Il récompensait ce vendredi matin Soiyira Abdallah, élève la plus méritante de l’année de l’Ecole d’Apprentissage Maritime (EAM). Une élève modèle même, selon sa professeur de français, « aucune absence, aucun retard ».
Et pourtant, comme beaucoup d’autres à Mayotte, elle aurait pu postuler pour le film documentaire « Sur le chemin de l’école » de Pascal Plisson, vu le nombre d’embuches sur ses itinéraires aller et retour. On ne peut qu’être rempli d’admiration de ce que l’élève en CAP Maritime endure, qui nous raconte son quotidien : « Je me lève à 3 h du matin pour partir à 4h en bus, et après avoir la barge pour me rendre à l’Ecole d’Apprentissage Maritime en Petite Terre. L’après-midi, on finit à 15h, je reprends le bus à Mamoudzou qui m’amène jusqu’à Dzoumogne, puis jusqu’au collège puis, ensuite jusqu’à chez moi où j’arrive à 18h. »
Le jeune homme et la mer
Elle était auparavant en 1ère STMG au lycée de Chirongui, « mais cette voie ne me disait rien. » La jeune fille profite d’une journée porte-ouverte à l’EAM, « j’ai lu les fiches et j’ai eu envie de me lancer direct ». Soiyira Abdallah avait préparé un discours pour l’occasion, lu dans une grande émotion, dans lequel elle disait sa reconnaissance à l’équipe pédagogique, « et à mes chers parents que j’adore », faisant fondre son auditoire.
Elle est un exemple, pour Gilles Perzo, président de l’association qui gère l’EAM, l’AFODEMAM, « l’exemple que la jeunesse mahoraise se tourne de plus en plus vers la mer et vers ses débouchés professionnels », et même si les filles sont moins nombreuses sur les bancs de cette école, « elles commencent à prendre conscience du potentiel que le monde maritime leur propose. » D’ailleurs un long parcours de formation s’ouvre devant Soiyira Abdallah puisqu’elle nous confiait vouloir devenir « capitaine de yacht ». Elle recevait un joli chèque de 400 euros et deux ouvrages couronnés par le prix Ecume des mers en 2019 et 2020, « Cargo » de Mariane Rötig et « L’éloquence de la sardine » de Bill François. Grâce à l’accompagnement du LION’s Club France Austral. La même cérémonie couronnant le mérite des élèves de l’école maritime a également lieu à La Réunion.
Il flotte à l’EAM un petit air du large, puisque sont dispensés des certificats et diplômes pour être matelot, patron de pêche, mécanicien, etc.
65% d’insertion
Cette cérémonie organisée par la section océan Indien de la Fédération du Mérite maritime, était aussi l’occasion pour l’EAM d’annoncer sa certification qualité QUALIOPI, « un des premiers organismes de formation de Mayotte à l’obtenir », ce qui valait de remercier un personnel fidèle, et d’illustrer « les excellentes relations que l’EAM entretient avec les professionnels de la mer ». De quoi calmer les « nombreuses rumeurs qui entachent son image », sur le niveau d’enseignement, « et qui est loin de valoriser l’implication de l’ensemble du personnel pour proposer des formations et des conseils de qualité », déplorait l’équipe dirigeante. Qui invitait tous les acteurs à naviguer de concert. L’absence du directeur de la mer Sud océan Indien (DMSOI, ex-Affaires maritimes), qui n’était pas représenté, était soulignée.
Le recteur était quant à lui excusé, le partenariat étroit entre le rectorat et l’EAM doit déboucher sur l’émergence d’un lycée de la mer et du littoral.
Alors que Robert Amis remarquait que « quand on vit sur une île, le métier de marin peut être une évidence si l’on vit en Bretagne, mais l’est nettement moins à Mayotte » et souhaitait voir « former de plus en plus de marins », le directeur de l’EAM, Eric Bellais, nous rapportait le bon taux d’insertion, 65%, « et j’ai 70 jeunes en attente de passer le certificat de patron pêcheur ». Les prescripteurs sont le Pôle emploi, les entreprises privées, et le conseil départemental. Mais ce dernier n’est pas assez dynamique dans ce domaine, alors que les débouchés sont autour de nous, partout où notre regard se pose, sur l’eau. Avec un impératif, celui de diplômer 200 pêcheurs d’ici décembre 2021, la législation ne l’autorisant plus après cette date. Et pour l’instant, aucune commande de formation n’a été passée.
L’école, aux locaux vétustes, conserve pourtant toutes ses ambitions, « d’ici 2024, nous devrions inaugurer de nouveaux bâtiments entre le cimetière et l’ancien CRA », se projetait Eric Bellais.
Anne Perzo-Lafond