« Tu vois, c’est là où j’ai grandi, ça a tellement changé depuis que j’étais petit », lâche Omar Saïd après avoir houspillé un gamin lançant un bout de bois. Face à la pauvreté qui s’est enracinée dans Kawéni, le directeur de Wenka Culture veut croire que, comme lui, les jeunes du village peuvent s’en sortir. Pourvu qu’on les y aide, comme sa grande sœur l’a fait pour le jeune Omar, désormais bardé de diplômes. Mais si l’aînée lui a financé ses études, c’est un tout autre modèle qu’a développé Wenka Culture pour paver la voie à l’emploi émancipateur. « Quand on voit toute cette jeunesse qui pourrait faire des choses alors qu’à peine 6% des emplois de Kawéni sont pourvus par des kawéniens, on ne peut que vouloir que ça change », plaide le directeur avec toute la détermination qui le caractérise.
La confiance retrouvée
Une détermination que l’on retrouve, à l’autre bout du village, dans les ateliers installés sur la parcelle du restaurant La Geôle. C’est d’ici que sortent les meubles en palettes ou encore les poteries fraîchement façonnées par les « agents en insertion » de l’association. À raison de 26 heures par semaine les 25 titulaires de contrats à durée déterminée d’insertion (CDDI) y apprennent des savoir-faire, mais pas seulement.
« L’objectif, sur deux ans, c’est de permettre à ces personnes d’élaborer leur projet professionnel en lien avec un conseiller spécialisé. S’ils veulent faire de la poterie ou de la menuiserie c’est très bien, mais l’objectif est avant tout de les rendre employables », explique Omar Saïd. À ses côtés, Sikina vient illustrer le propos le temps d’une pause. « Je n’avais jamais travaillé avant, je restais à la maison à ne rien faire mais je ne pouvais plus rester comme ça », livre-t-elle. Alors Sikina a déposé son dossier auprès de l’association qui l’emploie depuis désormais deux semaines. « Quand je suis arrivée, je ne savais pas du tout quoi faire de mes mains. Et puis avec la poterie j’apprends petit à petit, ça me motive, ça me donne confiance et des idées », s’enthousiasme celle qui voudrait devenir puéricultrice ou caissière. Et qui sait, « peut-être essayer de repasser le bac », sourit-elle.
La confiance en soi et dans la société, l’une des clefs de l’insertion. Mais, encore une fois, pas la seule que veut fournir Wenka dans le trousseau du renouveau. « Il s’agit d’apprendre à écouter, respecter les autres et les consignes, être ponctuel, poli, solidaire etc. Tout ça n’est pas évident quand on ne l’a jamais vraiment appris », développe Omar Saïd. Surtout quand on est un gamin en déroute. « On a formé des jeunes qui étaient clairement partis pour être des voyous, il a d’abord fallu casser le lien avec les bandes et créer le cadre chez nous », poursuit le directeur avec le souvenir de ce jeune garçon, particulièrement coriace au départ et désormais ambulancier en CDI. « On lui a sauvé la vie, c’est clair. Il y a aussi ce jeune handicapé qui ne voyait pas l’horizon et qui est maintenant paysagiste », se souvient-il dans un élan de poésie.
Un projet bien charpenté
La recette de ce succès, c’est aussi d’avoir permis de créer une véritable activité économique autour des différents ateliers proposés. Les mobiliers en palettes recyclées sont vendus et installés chez des particuliers, des entreprises ou des administrations. La propreté urbaine, qu’il s’agisse de ramassage ou d’entretien d’espaces verts se fait par exemple dans et aux abords des établissements scolaires du coin. Enfin, la toute récente activité poterie a pour ambition de vendre ses produits en foire ou marché, comme samedi dernier à Kawéni, et bientôt en boutique ! « Cela permet aussi de perpétuer le savoir-faire de nos anciens qui utilisaient ces objets tous les jours mais que l’on ne sait plus fabriquer aujourd’hui », ajoute à ce titre le formateur de la discipline exigeant patience, rigueur et créativité.
Tout un ensemble de valeurs donc, qui, une fois, intégré, permet l’envol. À l’image d’Abdallah qui fêtait mercredi ces 25 ans. Et la fin d’un beau parcours : après six mois au sein de Wenka Culture, le jeune homme a décroché un stage de quatre mois en métropole. Avant de revenir, tout récemment, un CDI en poche dans l’antenne locale de l’entreprise. Avec laquelle il participera à la construction du toit du plateau sportif de Kawéni. Un exemple pour ces jeunes dont les vies ne demandent qu’à être charpentées.