« On se dit qu’on n’est à l’abri nulle part » : un an ferme pour le violent du Nouvel-An

Un jeune de 21 ans fortement alcoolisé a semé la terreur à Bambo-Est le 1er janvier. Ce qui devait être un jour festif en famille autour d'un voulé s'est transformé en cauchemar pour toute une famille. L'agresseur, qui n'a eu de cesse de minimiser sa responsabilité, est parti en prison pour un an.

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Conciliateur de justice, Mayotte
Le tribunal judiciaire

En célébrant la nouvelle année avec ses amis à Bambo Est, ce jeune de 21 ans n’imaginait pas qu’il passerait 2021 derrière les barreaux. Mais avec beaucoup d’alcool, un couteau et une sérieuse envie d’en découdre, il a tout fait pour.

La victime est un enseignant du village, venu fêter la nouvelle année avec ses enfants, sa nièce et son cousin autour d’un bon voulé. Alors qu’il transportait vers la plage une brouette remplie de victuailles, il aperçoit un petit groupe de trois compères, ivres, sur le chemin. Inquiet pour ses enfants, il décide alors de bifurquer pour descendre par la plage via un autre passage. La manoeuvre n’échappe pas à un des acolytes alcoolisés qui l’interpelle, un couteau à la main, et le menace de le « planter », devant ses enfants. Ses amis se lèvent et tentent de le calmer, en vain. Dès lors, les versions divergent. Selon la victime, le jeune homme aurait agité son couteau avant de venir au contact, l’enseignant l’aurait alors fait chuter, causant une légère blessure à la main. L’agresseur lui, affirme que le père de famille avait une machette avec laquelle il lui aurait entaillé la main, et nie toute volonté de l’agresser.

La suite en revanche, il la reconnaît partiellement. Furieux de voir sa main saigner, il se lance à la poursuite de la petite famille jusqu’à une maison dans laquelle il entre de force. Frustré de ne pas y trouver l’homme qu’il tenait pour responsable de sa blessure, il brise un ventilateur et une voiture à roulette devant une mère effrayée et son bébé. Puis il ouvre le frigo, et s’enfuit avec un ordinateur et un ou deux téléphones. De toute cette séquence traumatisante pour la famille, seul le vol n’est pas reconnu. Il sera d’ailleurs relaxé sur ce point. En quittant la maison, il prendra encore le temps de dégrader une voiture en portant un coup sur le capot.

Mais le point le plus inquiétant, c’est sans doute l’attitude du jeune homme à la barre. Durant plus d’une heure, il n’aura eu de cesse de présenter sa colère et son alcoolémie comme des excuses. Les tentatives de la présidente de lui faire exprimer quelque regret n’auront donné lieu qu’à un échange surréaliste.

La juge lui demande ainsi pourquoi il menaçait la famille avec un couteau.

« j’avais un couteau de cuisine pour le voulé, on était trois sur la plage. Il s’est senti menacé car j’avais un couteau à la main, je voulais lui demander quelque chose, je ne sais plus quoi. J’étais sous l’effet de l’alcool. »

La juge – Alors pourquoi vos compagnons interviennent si vous n’êtes pas menaçant, pour vous calmer ?”

« pour éviter le pire »

-Vos compagnons aussi ont trouvé que vous étiez menaçant…

“Je les ai pas poignardés, je n’ai pas dit que j’allais le planter comme il dit”

-Les enfants pleuraient en voyant leur père agressé

« Je ne me suis pas rendu compte qu’il y avait des enfants (…) quand il m’a tapé je suis tombé et je lui ai couru après mais en laissant le couteau sur la plage. Je l’ai vu entrer dans le domicile, je suis entré et j’ai cassé un ordinateur, c’était sur le coup… ma main était en sang. « 

-Il y avait une femme en train d’endormir un bébé, elle a eu un peu peur quand même…

« Je ne peux pas l’expliquer »

-Donc quand vous êtes énervé vous cassez des choses ?

“J’ai juste cassé un ordinateur, rien d’autre”

-Rien d’autre ? vous n’avez pas ouvert la porte du frigo ?

“Si j’ai ouvert la porte du frigo mais je n’ai rien pris. C’est comme le ventilateur, je l’ai cassé comme ça sous le coup de la colère. »

-Et la voiture à roulettes ?

“J’ai du donner un coup de pied comme ça en marchant. Je cherchais le monsieur j’ai pas fait attention”

-Et la voiture ?

“Je l’ai dégradée sous le coup de la colère, ma main était en sang, je l’ai juste dégradée”

-Pourquoi ?

“J’ai pas trouvé le monsieur (…) c’était juste pour lui faire peur.”

-Je vous rassure il a eu peur. beaucoup de gens ont eu peur.

La peur, la victime la confirme. « Je ne me suis jamais battu, je suis enseignant… Il m’a dit deux fois “je vais te planter ce couteau”. j’ai demandé pourquoi, il m’a répondu “j’ai envie de te planter ce couteau” Il m’a attrapé et un de ses camarade l’a retenu, les enfants pleuraient. »

« Inquiétant, voire dangereux »

Un lourd sanglot interrompt son témoignage. Quelques secondes de silence, l’homme reprend son souffle, s’excuse de craquer, la juge le rassure. « Prenez votre temps ».
« Nous on voulait juste aller à la plage avec les enfants tranquilles, et il arrive avec un couteau… » il n’ira pas plus loin. Car les enfants, eux, ne sont plus  tranquilles. Traumatisé, le plus âgé a reproduit le geste du couteau sur sa petite soeur. De quoi expliquer les presque 10 000€ de dommages et intérêts réclamés pour lui et ses enfants.

Après ce témoignage, le prévenu est de nouveau invité à s’exprimer, voire à présenter des excuses s’il le souhaite. Visiblement toujours pas. “Je peux m’excuser mais il veut prendre les gens par les sentiments” balaye-t-il, encore peu conscient des enjeux.

La prise de conscience viendra des réquisitions de la procureure qui rappelle que le jeune homme est déjà mis en examen dans une affaire criminelle de vol avec arme et recel, qui date de 2018 alors qu’il était à peine majeur. La substitut insiste sur le contexte général, alors que trois affaires ayant perturbé le Nouvel An étaient jugées le même jour.

« Il faut regarder ces faits de manière générale. Ils participent à un contexte général d’insécurité sur l’île. Que retenir : qu’on ne peut pas aller à la plage sans se faire agresser gratuitement ? Ca c’est grave. Nous avons des déclarations circonstanciées et concordantes des victimes. On ne peut qu’imaginer la peur des personnes présentes et notamment des enfants qui ont été traumatisés, un des enfants imite les faits auxquels il a assisté, c’est grave. On se dit qu’on n’est à l’abri nulle part. »

Elle réclamera 12 mois de prison, avec incarcération immédiate.  Me Baudry pour la défense estimait de son côté qu’une « peine d’emprisonnement ferme n’aurait pas d’intérêt, il a très bien compris les enjeux. Ce n’est pas une de ces personnes qui va, avec un groupe, agresser les gens à la plage, il a 21 ans, la nationalité française, il est inséré dans la société, on n’est pas dans le stéréotype des gens qu’on voit à la plage quand on craint pour ses affaires ».

Centre pénitentiaire Majicavo, Mayotte, Koungou
Le Centre pénitentiaire de Majicavo

Mais la présidente, avait eu le temps de se forger une autre analyse du personnage, et l’avait prévenu avant de partir délibérer. « Si vous ne réalisez même pas que vous êtes responsable de ce qui s’est passé c’est inquiétant, voire dangereux ».

Les trois gendarmes mobiles chargés d’escorter le jeune homme en prison sont entrés dans la salle quelques instants avant les juges, douchant tout espoir de ressortir libre avant même l’énoncé du jugement.

Y.D.

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