« Motion d’alerte » conjointe pour la préservation des forêts de Mayotte

Dans un texte conjoint, le conseil scientifique pour le patrimoine naturel de Mayotte et le conseil national de protection de la nature poussent un "cri d'alarme" face à la destruction des forêts de Mayotte et de la biodiversité unique qui lui est liée.

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En 2016 déjà, on estimait à 150 hectares de forêt détruits chaque année à Mayotte, avec le brûlis

« Le territoire français de Mayotte, qui fait partie de l’archipel des Comores, est une des composantes du point chaud de biodiversité de l’ouest de l’océan Indien, associant à la grande île de Madagascar un certain nombre d’archipels et d’îles situés en périphérie.

L’île volcanique de Mayotte, d’une superficie d’environ 370 km², abrite ainsi une biodiversité exceptionnelle.

Le dernier bilan de la flore vasculaire de ce territoire, établi par le Conservatoire botanique national de Mascarin en 2020, fait état d’une richesse de 719 espèces indigènes, dont 59 strictement endémiques de Mayotte, avec un taux d’espèces menacées atteignant 45 % de cette flore indigène ! Bien que les milieux naturels terrestres ne représentent plus que 5 % de l’île, cette biodiversité de Mayotte a pu être relativement mieux préservée que celle des autres îles des Comores qui ont connu une déforestation dramatique au cours des dernières décennies.

Les forêts des monts et crêtes de Mayotte, derniers vestiges d’écosystèmes forestiers spécifiques à l’archipel des Comores, présentent de ce fait un intérêt exceptionnel, et constituent actuellement l’assiette d’un projet de création d’une Réserve Naturelle Nationale des Forêts de Mayotte, sur une superficie de 2 800 ha, qui est une des actions phares du plan national Biodiversité. Dans son avis du 17 juin 2020 sur la création de cette Réserve Naturelle Nationale, le CNPN avait indiqué qu’il est conscient des difficultés économiques et sociales actuelles de cette île et considère que les effets positifs de la Réserve naturelle pour Mayotte seront liés à la poursuite et au renforcement de l’engagement d’une politique d’ensemble de soutien aux populations de ce territoire.

Malgré ce projet d’un intérêt essentiel, des dégradations irréversibles de ce patrimoine naturel de l’île sont actuellement en cours, y compris sur le territoire du projet de la RNN. Dans un courrier adressé le 4 juin 2020 aux plus hautes autorités locales et nationales, le comité français de l’UICN a ainsi fait état, d’après une étude réalisée par l’IGN, d’un défrichement forestier de 1500 ha au cours des 6 années de la période 2011 à 2016. Des observations récentes faites par les naturalistes de l’île attestent d’une poursuite et d’une accélération des défrichements au cours de ces dernières années.

Cette dégradation forestière, déterminée par une extension « sauvage » de l’agriculture notamment liée à l’immigration difficilement maitrisable à partir des autres îles des Comores où règne ce type d’agriculture avec les mêmes effets, s’inscrit dans un climat d’insécurité croissante qui limite, voire empêche, l’effort de surveillance et de contrôle des forêts publiques et privées. Ces déboisements, aggravant les menaces pesant sur les plantes endémiques et les habitats forestiers les plus rares de l’île, ont des conséquences catastrophiques, non seulement sur la biodiversité forestière, mais aussi sur le cycle de l’eau, entraînant une réduction des précipitations et de la ressource en eau, ainsi que sur l’érosion des sols qui est accrue, provoquant une augmentation de la sédimentation et de la turbidité des eaux dans le lagon, conduisant à une dégradation de la qualité de ce site unique.

Le dugong pourrait disparaître à court terme (Photo PNM)

Sur le littoral qui concentre, hors domaine forestier, la plupart des autres milieux naturels subsistants, l’extension agricole non contrôlée a également pour conséquence une réduction drastique de ces milieux (disparition des dernières prairies humides exploitées par le Crabier blanc, oiseau faisant l’objet d’un Plan national d’actions, mise en culture de la lagune d’Ambato bénéficiant d’un Arrêté préfectoral de protection des biotopes, etc.). Deux espèces marines ou groupes d’espèces font l’objet d’un Plan National d’Actions (PNA) à Mayotte : le Dugong et les tortues marines. Le Dugong, avec moins de 10 individus présents, pourrait bien disparaître dans la décennie à venir, comme l’a souligné le CNPN dans son avis en janvier 2020, si des actions fortes et urgentes ne sont pas conduites dans le cadre du deuxième PNA pour cette espèce, notamment par rapport au risque des captures accidentelles par les engins de pêche. Des moyens accrus, ainsi qu’une coordination des acteurs sont des urgences absolues pour cela.

La lutte contre le braconnage des tortues marines qui sévit depuis des années doit également être renforcée par la mise à disposition de moyens humains et financiers. Il y a lieu de saluer la récente initiative du Préfet de Mayotte consistant à coordonner les différents acteurs pour la réalisation d’un plan de lutte anti braconnage. Toutefois à la fin du premier PNA pour les tortues marines qui n’a malheureusement pas eu d’impact significatif sur la réduction du braconnage, un effort tout particulier sera nécessaire au-delà des actions en cours. Le dispositif juridique de protection de ces espèces en particulier pour Mayotte devra être revu.

Ces profondes dégradations impactent directement la vie des Mahorais et contribuent chaque jour à réduire la qualité des services rendus par la nature. Ces fragiles équilibres ne tiennent plus qu’à un fil.

La pression démographique en question pour Michel Charpentier et Houlam Chamsidine (archive)

C’est pourquoi, 6 mois après l’alerte du comité français de l’UICN, le CSPN de Mayotte et le CNPN lancent un nouveau cri d’alarme afin de mobiliser les acteurs tant au niveau local (Préfecture, Département, Services de l’Etat et du Département, Communes, Associations naturalistes et citoyennes…), qu’au niveau national (Ministères et leurs établissements publics concernés) pour établir d’urgence un état des lieux précis des dégradations et menaces, afin de définir au plus vite un plan d’actions avec les moyens afférents pour arrêter le saccage de ce patrimoine naturel exceptionnel que la France a en responsabilité au niveau mondial. Le CSPN de Mayotte et le CNPN sont disponibles pour y apporter leur contribution. »

Serge Muller, président du CNPN et membre du CSPN de Mayotte
Houlam Chamssidine, président du conseil scientifique du patrimoine naturel de Mayotte

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