Le Journal de Mayotte : À l’heure où le virus et son variant sud-africain semblent circuler de manière intensive dans la région, comment espérer en protéger l’île ?
Jean-François Colombet : Mon objectif est de renforcer la protection de nos frontières. Vous aurez remarqué que les cas avérés proviennent de voyageurs ayant circulé dans la région de manière régulière mais aussi, pour une minorité, de manière irrégulière. Puisque nous sommes trop fragiles, j’ai décidé de suspendre les vols internationaux et les liaisons maritimes. Ensuite, il faut traiter les arrivées irrégulières. Pour tendre le dispositif au maximum, j’ai décidé de convoquer tous les moyens qui sont à ma disposition. Il y aura donc trois bateaux 24h/24 et 7j/7 en mer pour intercepter les kwassas. Avec ce système, nous atteignons des taux d’interception record pour le territoire, de l’ordre de 80 à 85%. Mais cela veut dire que 15% des embarcations passent tout de même à travers les mailles du filet. C’est précisément ce taux que je veux effacer avec mon plan renforcement.
Le JDM : Comment s’articule ce plan de renforcement ?
Jean-François Colombet : Tout d’abord, j’affecte des services de l’Etat qui ne sont pas initialement voués à la lutte contre l’immigration clandestine à cette mission. C’est notamment le cas de la direction des affaires maritimes qui mettra ses moyens au service de la LIC, non pas pour intercepter mais pour détecter, ce qui constitue une opération essentielle. De la même manière, alors que la gendarmerie maritime était jusqu’alors dans une mission de surveillance, la voilà affectée à une mission d’interposition. Soit au refoulement des kwassa.
Ensuite, et je le sais depuis quelques minutes à peine, j’ai obtenu des Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (Fazsoi), le renforcement des patrouilles terrestres le long de nos côtes et surtout, le positionnement des navires militaires que sont le Malin et la frégate Nivôse dans la zone de circulation des kwassa.
Enfin, j’ai mobilisé le secteur privé nautique. Non pas pour intercepter, il est bien évidemment hors de question que des entreprises privées interceptent des kwassa, mais pour détecter ces embarcations. Nous sommes en discussion avec plusieurs opérateurs que nous positionneront au large de Mayotte. Ils seront identifiés par la base navale qui les suivra et chaque fois que ces opérateurs lui signaleront une arrivée, celle-ci sera en mesure d’articuler la riposte à travers la mission d’interception.
Je fais la même chose avec un opérateur aérien qui fera également de la surveillance pour aller encore plus loin, porter notre regard en avant afin d’anticiper l’interception. Plus on anticipe – ce que les radars ne permettent pas toujours – plus on est efficaces. Voilà donc ce que j’ai mis en place pour protéger nos frontières face à l’arrivée du variant sud-africain à Mayotte.
Le JDM : Ces mesures sans précédent semblent témoigner d’une grande inquiétude…
Jean-François Colombet : C’est le cas. On va se rendre au compte au fil des jours que ce variant va nous plonger dans une situation beaucoup plus sérieuse que celle que nous avons connue en 2020. On observe déjà des signes très inquiétants. Le professeur Lina, qui est une sommité à ce sujet, nous explique ainsi que le variant sud-africain est plus contagieux de 50 à 75%. Cette contagiosité rend ce virus beaucoup plus grave que le covid-19 initial même si sa létalité reste la même. Car plus nous aurons de cas, plus nous aurons de malades symptomatiques et plus nous aurons de malades, plus nous aurons des cas graves. Enfin plus nous aurons de cas graves, plus nous aurons de morts. Dans le même
temps, la saturation du service du réanimation viendra d’autant plus rapidement. Par ailleurs, vous savez que la crise de 2020 nous a touché bien après que la métropole ne soit concernée. Lorsque nous avons été touchés, la métropole avait recouvré ses capacités médicales. Ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui puisque le nombre de cas continuent d’augmenter dans l’Hexagone.
Il faut donc que nous soyons absolument vigilants, mobilisés. J’en appelle au sursaut. Nous avions effectivement repris de mauvaises habitudes alors que les Mahorais avaient été admirables en avril. Reprenons immédiatement les bons réflexes que sont le masque, le lavage des mains, les distances physiques etc. Fini les mariages, les moments festifs ou rassemblement en tout genre. Tout cela est efficace pour se protéger du variant mais il faut que chacun soit responsable.
Le JDM : La situation de la métropole ne risquerait-elle pas de reléguer Mayotte au second plan des priorités ?
Jean-François Colombet : Le gouvernement est extrêmement attentif, je passe ma vie en visioconférence avec différents ministres. Il nous donne par exemple les moyens de payer les dispositifs privés que j’ai évoqués. Il décide de l’arrivée de bâtiments de guerre sur site et je crois que cela témoigne de sa mobilisation. Que je salue d’ailleurs car sans cela nous serions en grande difficulté. S’agissant du volet sanitaire, celui-ci relève essentiellement du domaine de l’Agence régionale de santé mais je peux vous dire pour assister également aux discussions qu’a Dominique Voynet avec le gouvernement, que la situation est surveillée de près par Paris. Nous sommes pris en considération.
Le JDM : Le gouvernement se dit aussi mobilisé pour permettre la poursuite des expulsions vers les Comores. Qu’en est-il à l’heure de la fermeture des frontières ?
Jean-François Colombet : Nous avons eu des échanges importants avec l’Union des Comores qui comprend notre situation. Les responsables savent que nous ne reconduisons personne sans avoir fait de test covid préalable. Bien évidemment, ceux qui sont positifs ne quittent pas l’île. En fonction, de ces éléments, pour l’instant, les éloignements demeurent acceptés par les Comores et c’est une marque très intéressante de leur part.
Le JDM : Des éloignements qui devraient, en principe, encore s’intensifier avec un nouvel outil juridique, la commission d’expulsion créée ce lundi. Quel en est l’objet et comment fonctionnera-t-elle ?
Jean-François Colombet : C’est une commission prévue par la loi, mais qui pour autant, ne s’est jamais réunie sur le territoire. Elle est composée pour l’essentiel de magistrats de l’ordre administratif comme judiciaire et présidée par le préfet. Son rôle est d’émettre un avis -qui n’est pas conforme, c’est à dire que le préfet n’est pas obligé de le suivre- sur les dossiers qui lui sont soumis. Lesquels sont constitués à partir de faits sérieux qui peuvent conduire à une expulsion du territoire. Cette nouvelle commission s’intègre dans un dispositif global qui comprend également la commission des titres de séjour.
Cette dernière, qui n’est pas obligatoire à Mayotte mais que j’ai voulu constituer au regard de la stratégie que nous mettons en place avec les élus, est composée de représentants du Département, des communes, d’associations. Elle a déjà siégé et donné un avis sur la suppression de titres de séjours concernant une vingtaine de dossiers. J’ai d’ailleurs suivi les avis les avis de suppression de ces titres au terme d’une procédure administrative comprenant notamment l’audition des personnes concernées dans le principe du contradictoire.
De manière générale, l’objectif affiché de cette commission est de se mettre en capacité de supprimer les titres de séjour des personnes qui n’auraient pas respecté le contrat social qui doit nous lier au sein de la République. Par exemple, comme je l’avais déjà évoqué auparavant, s’agissant de parents d’enfants délinquants, ou encore des auteurs d’atteintes aux biens, aux personnes ou qui auraient participé à des troubles à l’ordre public.
Pour en revenir à la commission d’expulsion nouvellement crée, les dossiers qui lui sont soumis sont encore plus sérieux, relèvent de situations plus graves. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la commission est composée de magistrats. Je vais la réunir très prochainement pour lui soumettre des dossiers de personnes qui sont en situation régulière ou irrégulière sur le territoire. Il s’agit par exemple de cas d’individus violents qui, d’un point de vue de la loi, peuvent être considérés comme protégés de par leur ancienneté sur le territoire.
Dans les deux cas, l’objectif est de faciliter l’expulsion de personnes qui ne respectent pas le pacte républicain censé nous lier.