« Vous avez eu la chance d’avoir le meilleur commandant de bord de la compagnie qui a pu atterrir sous une pluie battante ». A cette annonce faite au micro les passagers du vol UU976 d’Air Austral de ce jeudi 21 janvier ont mentalement salué l’exploit, heureux de ne pas avoir été détournés sur La Réunion comme cela se produit parfois en cas de fortes pluies. Le président Macron avait eu la chance lui, d’atterrir par grand soleil, ce qui ne l’avait pas empêché de commenter ce 1er contact avec le sol mahorais par un « ça freine fort ! », avant d’annoncer que le rallongement de la piste, « on le fera ! ».
Neuf ans avant lui, un débat public avait couvert l’ensemble des communes de l’île sur ce sujet (pistelonguemayotte-decision-mo), pour déboucher sur la décision de l’Etat de « poursuivre le projet de piste longue », non sans demander que soient lancées « des études complémentaires », notamment sur « l’insertion environnementale des différents scénarios ».
La relance du projet par le chef de l’Etat a automatiquement impliqué l’Autorité environnementale (Ae), puisque pour chaque projet soumis à une évaluation environnementale, un avis doit être mis à disposition du maître d’ouvrage. Le préfet Colombet a donc saisi l’Ae, sur plusieurs points portant sur les enjeux environnementaux et leur impact.
Nous avions rapporté les conclusions de l’Autorité en la matière, qui émet de sérieuses réserves dans son « avis délibéré pour le cadrage préalable de la construction d’une piste longue sur l’aéroport de Mayotte ». Elles portent sur l’insuffisante prise en compte des aspects environnementaux précisément dans le document de cadrage émis par le comité de pilotage pour la piste longue (Etat et Département). Impacts de l’arasement des collines de Labattoir et du Four à Chaux, absence d’analyse d’urbanisme, etc. Ces points sont repris par la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), qui les commente sous un angle précis : si elle soutient le projet de piste longue, « elle n’en sera pas moins exigeante, d’autant plus que les enjeux socio-économiques et environnementaux sont d’une extrême importance. »
Des précédents qui doivent « réveiller les consciences »
Car Ali Madi son président, se demande d’ailleurs pourquoi depuis les 10 ans suivant le débat public, « les recommandations de l’Ae n’ont pas été suivies d’effets », voire « se sont aggravées ».
Plus précisément, il interroge la vision politique sur place qui a laissé s’installer des infrastructures comme la gendarmerie de Pamandzi, la caserne des pompiers de Petite-Terre, la station essence et autres établissements sensibles, « sur l’un des potentiels tracés de la piste entre l’aéroport et la colline de Four à Chaux qui pose d’ailleurs problème ».
Il évoque les réalisations qui pâtissent d’un manque de considérations environnementales en amont : « les cas d’envasement récurrent du lagon lors des travaux de l’allongement de la piste de Pamandzi en 1995, de la construction de la rocade de M’tsapéré et du deuxième quai de Longoni doivent réveiller la conscience des uns et des autres. Plus récemment, les cas du collège d’Iloni, ou du marché couvert de Tsararano construits, sans les précautions nécessaires, sur des zones sensibles, sont aujourd’hui inutilisables, et génèrent d’autres problématiques sociales (élèves dispersés dans différents établissements avec les problèmes de sécurité que cela génère), environnementaux (que faire de ces édifices menaçants en ruine et leur tas de déchets inertes ?) et économiques ».
Monter une instance de suivi
Sur la plupart des points soulevés par l’Ae, il note des observations de « bon sens », et appelle noir sur blanc les concernés « à se mettre tout simplement et sérieusement au travail ». Ce que Ali Madi met en avant, c’est un manque de cohérence de l’action publique à Mayotte, d’où qu’elle vienne, et pointe particulièrement les élus sans les nommer : « La Fédération Mahoraise des Associations Environnementales propose que les autorités locales se prennent enfin au sérieux et mobilisent concrètement et de manière décisive pour porter concrètement la volonté de leur population, au-delà des sorties médiatiques sporadiques. »
Longtemps vus à Mayotte comme un frein au développement, il considère les enjeux socio-économiques et environnementaux comme « une extrême importance », « ce que, certains se refusent de voir par crainte qu’ils deviennent un obstacle pour le projet au lieu de les intégrer et de faire avancer sereinement la démarche ».
Il invite au contraire à évaluer le coût et les mesures destinées à éviter – réduire – compenser – chiffrer les incidences négatives notables, pour les répercuter sur le chiffrage total, « elles ne doivent pas être taboues pour démontrer la maturité du projet (…) Celles-ci ne compromettent en rien ni la parole présidentielle ni les délais annoncés si tous les concernés se donnent les moyens et la conviction d’y arriver. La plupart des travaux soulevés par l’Ae peuvent se faire en simultané. »
Sans cette démarche, l’Ae aura tôt fait de développer son questionnement sur l’utilité économique de la piste longue, qui avait tourné court dans les conclusions du débat public. La procrastination est mauvaise conseillère, alerte-t-il enfin, « plus on tergiverse, plus les études seront obsolètes ».
Pour aboutir, la FMAE invite le Conseil départemental de Mayotte, l’Association des maires, ainsi que les parlementaires à se structurer au sein d’une « instance de suivi », en plus du comité de pilotage, regroupant « l’ingénierie maoraise des différents domaines concernés (politique, économie, social et écologie) avec une représentation équitable pour appuyer et suivre au mieux ce dossier ». En s’appuyant sur les instances locales tels que le Conseil Économique et Social (CES) et le Conseil de la Culture de l’Éducation et de l’Environnement de Mayotte (CCEEM).
Elle indique veiller à ce que les études menées soient « à la hauteur des enjeux » et se mobilisera « contre des études bâclées et au rabais ».
(Consulter le communiqué FMAE – Projet de piste longue)
Anne Perzo-Lafond