Profitant d’un débat sur les mineurs non accompagnés dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg ce mardi 9 novembre, en présence du secrétaire d’Etat Adrien Taquet, le sénateur Thani Mohamed Soilihi l’interpellait sur le bilan de l’action de l’Etat à Mayotte dans ce domaine, après sa venue en octobre 2020.
Une intervention qui n’est pas anodine puisque le département inquiète davantage sur les faits de violences qui émaillent chaque jour son quotidien, que l’épidémie de Covid, pourtant en record national. « Des bandes de jeunes armés ont tué deux mineurs en janvier. Si au niveau national, ces mineurs non accompagnés représentent 15 à 20% de ceux que l’ASE prend en charge, à Mayotte, ils sont plus du double. Et dans une proportion qui a doublé en deux ans, au point que la Cour des Comptes dans son rapport de 2020 ne prend pas en compte les données de Mayotte dans ses statistiques nationales, les jugeant ‘atypiques’ ». Le sénateur Thani évoquait la pression migratoire « insupportable » en provenance des Comores, laissant ces mineurs dans la précarité et la vulnérabilité.
En réponse, Adrien Taquet reprenait l’expression qu’il avait utilisée lors de son arrivée à Mayotte, « je suis venu à Mayotte pour ressentir dans ma chair ce qui se passe ». Et revenait sur les chiffes : « On compte à Mayotte 300 Mineurs non accompagnés, car les 4.000 jeunes ne sont pas totalement isolés. Une grande majorité a des membres de leur famille sur le territoire mahorais. »
La mémoire des chiffres dans la chair
Petit retour en arrière. En 2016, l’Observatoire des mineurs isolés évalue 4.446 mineurs non accompagnés, dont environ 300 sans aucun référent adulte. Une donnée reprise par la Cour des Comptes dans son rapport de 2020 (Consulter CRC ASE 2019). Si Adrien Taquet a donc ressenti le contexte « dans sa chair », il a du se rendre compte que le nombre de mineurs en errance était bien supérieur à 300, surtout que ces derniers sont pris en charge par le conseil départemental à travers ses familles d’accueil et les association mandatées.
Les jeunes dont parle le ministre, ont un référent lointain, et même perdu de vue. Car, lors de leur expulsion du territoire, la plupart des parents indiquent ne pas avoir d’enfants, préférant les laisser sur une île qui offre la scolarisation, les soins, et la possibilité d’être français. Et sur une île où 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté, les oncles ou cousines éloignées qui se sont désignées comme parentèle, sont dans des difficultés matérielles telles, qu’ils ou elles perdent peu à peu le contact avec ces enfants qui trainent finalement dans les rues et ne sont pas pris en charge. Et c’est « dans sa chair » que la population est victime quotidiennement de leurs agressions.
Dans son intervention, le ministre rappelle avoir alloué un complément d’aide, « pas au Département », mais directement aux associations, « à hauteur de 2 millions d’euros ». Un désaveu pour le conseil départemental, à qui il reproche toujours de ne pas avoir signé la contractualisation sur la stratégie de prévention et de protection de l’enfance. La somme globale que doivent se partager les départements signataires est de 80 millions d’euros. Il avait souligné publiquement l’absence de réponse du conseil départemental lors de sa venue, et réitère au Sénat : « J’ai tendu la main au président du conseil départemental pour contractualiser sur la protection de l’enfance. Il m’a dit y réfléchir ».
Cette subvention porte notamment sur l’amélioration du fonctionnement de la CRIP, la Cellule d’Information préoccupante, d’autant plus importante avec un « nombre d’informations préoccupantes multiplié par 10 en quelques années », indique le ministre. Cette cellule qui doit avertir en amont d’une maltraitance dans les familles, et donc permettre une prise en charge des enfants assez tôt, ne fonctionne pas au Département. La position du Département n’était donc pas défendable en octobre dernier, et le serait encore moins maintenant.
Le zéro qui fait défaut
Nous nous sommes rapprochés d’Issa Issa Abdou, le 4ème vice-président chargé de l’Action sociale et de la Santé, pour l’entendre à ce sujet. « J’ai été très étonné de la déclaration du ministre car nous travaillons sans relâche avec ses services au sujet de cette contractualisation. Justement, le point de discussion porte sur le balisage : les fonds débloqués ne seront pas les mêmes pour 400 ou 4.000 mineurs. L’enjeu est si colossal, que nous devons être d’équerre dans les chiffres. Notre directeur de l’ASE, Antoissi Abdou-Lihariti, travaille avec la préfecture pour que nous contractualisions sur l’ASE essentiellement, sans les PMI comme à La Réunion, et que nous ayons un partenariat bipartite Etat-CD, et non tripartite avec l’ARS. »
Pour contrer toute critique, ce mercredi matin les élus départementaux se sont mis d’accord pour autoriser leur président à signer cette contractualisation rapidement, « pendant que les services fignolent les actions à mettre en place. »
Autre épine dans le pied du Département, la juste évaluation de la minorité du jeune, « souvent, ils disent qu’ils ont 16 ans pour échapper aux poursuites. Alors qu’un mineur qui passe par la case prison doit être accompagné par la Protection Judiciaire de la jeunesse de l’Etat, et non plus par l’ASE. Nous travaillons avec l’Etat sur ce sujet aussi », complète Issa Abdou
Enfin, sur l’enveloppe exceptionnelle de prés de 10 millions d’euros de compensations versées depuis 2010 au Département au titre des compensations de dépenses sur l’ASE, « nous menons la réflexion du cadre de poursuite de cette dotation exceptionnelle », répondait Adrien Taquet à Thani Mohamed Soilihi. Ces millions que le conseil départemental répartit sur son action sociale entre les associations, doivent faire l’objet d’un « bilan détaillé des actions », nous dit encore Issa Abdou, nous avons besoin de savoir ce qui a été affecté et où. Il dit malgré tout comprendre les inquiétudes des uns et des autres sur une action que le conseil départemental a trop longtemps négligé, « nous devons en débattre avec le ministre avec plus de sérénité. »
Anne Perzo-Lafond