Sidevam 976 : pendant que les poubelles débordent, les caisses se vident

Après un premier rapport en juin 2018 faisant état de « fragilités » dans la gestion du Sidevam 976, le syndicat de déchets, c’est avec des mots plus forts que revient la chambre régionale dans cette nouvelle mouture publiée le 16 février. Le Sidevam, qui oscille entre incompétence et manoeuvres grossières comme le relèvent les magistrats, laisse ainsi pourrir la question pourtant cruciale des déchets sur l’île.

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Derrière les monceaux de poubelles, la gestion du Sidevam n'est pas beaucoup plus propre à en croire la Chambre régionale des comptes. (Archive)

« Gouvernance défaillante », « graves dysfonctionnements ». C’est avec sévérité et parfois des sous-entendus lourds de sens que la chambre régionale des compte analyse la situation du syndicat intercommunal d’élimination et de valorisation des déchets de Mayotte (Sidevam 976), censé officier sur l’ensemble du territoire, hors Cadema. Et les magistrats tapent d’autant plus fort du poing sur la table que les enjeux du département en la matière sont immenses s’agissant d’une île à la nature aussi fragile qu’exceptionnelle, mais soumise à une pollution sans cesse grandissante.

C’est donc dans ce cadre que la Cour des comptes relève, par exemple qu’ « à l’exception des ordures ménagères, le syndicat n’a jamais été en capacité, comme il s’y était engagé depuis 2017 auprès de la population à grand renfort de communication, de collecter régulièrement les autres déchets : déchets verts, encombrants, ferraille et équipements électriques et électroniques (D3E) ». Résultat, « la population dépose sauvagement ses déchets ».

En dépit de ses obligations légales, le syndicat n’a pas définit les modalités de collectes des différents déchets, ni mis en place de programme de prévention de la production de déchets. Les quartiers précarisés, représentant au bas mot 24 000 logements ne font pas l’objet de collecte et ce n’est que sporadiquement qu’un sous-traitant est mandatée pour ce faire, sans que son action ne soit contrôlée par le syndicat. Et si celui-ci « n’est jamais parvenu à réaliser les collectes annoncées » dans le cadre du tri, ses collectes des déchets ménagers ne sont pas plus « assurées correctement ». « À titre d’exemple, parmi les 225 rapports de collecte du syndicat reçus par la CCSud entre le 9 février 2018 et le 28 février 2019, les trois quarts présentaient au moins un incident », relèvent les magistrats.

Pas de contrôle des sous-traitants

Outre des ordures jonchant les sols de Mayotte, les conséquences sont aussi financières : communes et intercos doivent se mobiliser pour pallier cette défaillance. Résultat, « les communes et le citoyen payent ainsi deux fois la collecte des déchets ». Et si le syndicat sort l’excuse du manque de foncier pour créer des déchetteries (trois communes se sont

À défaut d’entretien et de garage pour les entreposer, les camions bennes tombent en panne régulièrement. Plutôt que de s’organiser en conséquence, le Sidevam accumule les nouveaux achats. Son parc est aujourd’hui deux fois plus important que ce que la collecte nécessite. (Photo: SIDEVAM 976)

toutefois proposées), c’est bien dans sa gestion et dans sa gouvernance interne que la chambre régionale des compte trouve l’origine de ces manquements. Sans réorganisation de la collecte depuis 2014, le syndicat ne cesse d’acheter de nouveaux véhicules alors même que la moitié de son parc est inutilisable, faute d’entretien et de garage pour les entreposer.

Face à ces pannes récurrentes, le syndicat loue des véhicules avec chauffeur et sous-traite la collecte… « sans procéder à aucune mise en concurrence ». Et la facture est d’autant plus salée, jusqu’à 3000 euros par jour que ses propres agents accompagnent le chauffeur – dépourvu de déclaration. Le syndicat « a expliqué que son conducteur accompagnait l’équipage affrété pour lui indiquer le circuit de collecte ». La chose pourrait prêter à sourire, sauf qu’en « 2019, près du quart des journées de prestations concernaient la collecte des déchets verts. Or, l’analyse des données du délégataire indique que seuls 1 % des tonnages apportés par les prestataires du syndicat concernent des déchets verts. ». La conclusion est sans appel : « le syndicat n’a ni suivi ni contrôlé la réalité des prestations réalisées par ses prestataires », lesquels sont sélectionnés en dehors des procédures de marché public.

Voilà tout ? Non, la gestion des ressources humaines est toute aussi accablante. « Le conseil syndical a créé, en août 2019, 56 postes (dont 54 pour la collecte) sans aucune justification », relèvent les magistrats.  « Certains agents ont bénéficié de conditions plus avantageuses, tels le frère du directeur de cabinet ou l’assistante du directeur général des services  (DGS) : ils ont été stagiairisés après seulement six mois pour le premier et un seul pour la seconde : membre du comité de soutien du président, candidat à l’élection municipale, elle l’a représenté publiquement à la télévision ».

Éminences grises et bras droit

Tout au long du rapport, les éléments tendant à une gestion par complaisance des ressources humaines sont édifiants. Jusqu’en 2020 et le départ d’Assani Saindou Bamcolo de la présidence du syndicat, on relève toute une organisation parallèle où gravitent éminences grises ou bras droits, sans que ne soient pourvus des postes essentiels comme celui de DGS.

Emplois comme dépenses engageant la responsabilité sont ainsi décidés sans aucun cadre ni contrôle juridique et comptable. Et si un agent a le malheur de mettre le nez dans ces affaires, le rappel à l’ordre du président ne se fait pas attendre. « L’instruction a également établi que le président du syndicat est intervenu directement auprès d’agents placés sous la responsabilité des cadres, chargés de s’assurer de la régularité des décisions prises. Comme il a rappelé par note de service de novembre 2017 qu’il était « l’autorité suprême de l’institution et qu’il exerçait un pouvoir hiérarchique sur l’ensemble des agents », ces derniers ont exécuté directement ses demandes au mépris du respect du principe hiérarchique. » Le président et ses hommes avaient alors le champ libre pour « procéder à une gestion parallèle des ressources humaines », en dépit de toute considération de compétence et de qualification.

Toute une gestion qui n’aura eu pour effet, à défaut de remplir les bennes, que de vider les caisses. Le syndicat a ainsi sextuplé son déficit annuel entre 2017 et 2019 et « consommé ses réserves héritées à sa création, alors même qu’il n’a réalisé qu’une petite partie de son plan pluriannuel d’investissement ». Il ne dispose ainsi « plus d’aucune marge de réserve pour combler tout nouveau déficit ».

Il y aura fort à faire pour redresser la barre et in fine, espérer un ramassage correct des déchets. Si le nouveau président, Houssamoudine Abdallah, semble vouloir faire preuve de bonne volonté auprès des magistrats, le chantier est immense et n’est pas sans rappeler le cas du Smeam. Alors en attendant, à défaut d’eau, on a du jus de poubelle.

G.M.

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