« LORSQUE LES MEMES CAUSES PRODUISENT LES MEMES DEGATS »
De l’arrêt sur image au spectacle de désolation :
C’était le soir du samedi 29 au dimanche 30 mars 2014, le cyclone tropical HELLEN, l’un des phénomènes cycloniques les plus intenses observés dans notre zone, traversait MAYOTTE. HELLEN avait provoqué une forte houle sur l’ensemble du territoire avec des vagues de 4 à 8 mètres à certains endroits. Douze communes de l’île étaient particulièrement touchées. La journée du dimanche était jour d’élection. Nous étions appelés aux urnes pour le deuxième tour des élections municipales. Les préoccupations des responsables étaient ailleurs. Il fallait s’assurer que les électeurs étaient au rendez-vous. Le soir arrivé, on comptait les bulletins les pieds dans l’eau. Nous avons entendu les mots et autres communiqués d’indignation, observé les visites des responsables sur le terrain avec de belles promesses.
C’est par la voie d’un communiqué que la ministre des Outre-mer de l’époque, George-Pau LANGEVIN annonçait que « le gouvernement a décidé d’indemniser à hauteur de 100% les demandes déposées par 12 communes du département au titre du Fonds de secours des Outre-mer. Instrument de solidarité nationale, le fonds de secours vise à aider les particulier sous condition de ressources, mais aussi les entreprises à caractère artisanal ou familial dont les biens non assurés ont subi d’importants dommages…Ces indemnisations représentent un montant de 4,089 millions d’euros auxquels s’ajoutent 1,73 million d’euros d’indemnisation pour le conseil départemental », précisait à cette époque madame la Ministre. Le montant des indemnisations représentait déjà une misère dans un océan de dégâts. Il s’agissait d’une opération de colmatage surmédiatisé qui a eu le don de panser les plaies mais qui n’aura pas soigné le mal profondément.
Bientôt 7 ans depuis le passage du cyclone HELLEN. Et ACOUA était déjà sévèrement touché par les inondations, par les coulées de boue et par la monté des eaux. Les dégâts étaient exceptionnellement importants. Aujourd’hui, nous assistons à la même scène, au même désastre et au même spectacle de désolation qui donne une impression d’un arrêt sur image. Cette fois-ci, il n’est pas question d’un phénomène cyclonique d’une intensité rare comme HELLEN en 2014. Météo France avait juste placée l’île au niveau de vigilance orage. Les causes sont les mêmes. Elles sont connues de tous. Malheureusement les dégâts et les maux restent identiques sept ans après donnant un étrange sentiment d’un territoire qui est à l’arrêt.
Il semble que des Plans de Prévention des Risques ont été réalisés ou sont en cours de réalisation sur l’ensemble du territoire de Mayotte. Le PPR n’est pas un document anodin. Une fois approuvé, il s’impose à tous, à l’Etat, aux collectivités et aux particuliers. Il permet surtout aux pouvoirs publics d’agir rapidement pour diminuer la vulnérabilité des personnes et des biens. Des instruments de financement existent et parmi eux, le Fonds Barnier. Depuis le 2 février 1995, date de la création de ce Fonds, plus de 206 millions d’euros ont été mobilisés pour l’Outre-mer. Malheureusement, Mayotte n’a décaissé que 1%, soit 2 millions. Pourquoi et comment est-ce possible ? Les mauvaises langues diront qu’il y a « un manque d’ingénierie » doublé sûrement d’un manque de volonté et la manifestation d’une négligence collective.
Mayotte est probablement l’un des départements d’outre-mer les plus exposés aux risques naturels. L’île est confrontée de manière plus ou moins permanente à de nombreux risques naturels : sismovolcanique, cyclonique, mouvement de terrains, submersion marine et inondation. De plus en plus, les effets visibles du changement climatique risquent d’accentuer la vulnérabilité du territoire et d’aggraver le niveau actuel de plusieurs aléas. On observe par exemple déjà une élévation inquiétante du niveau de la mer engendrant une érosion significative du trait de côte sur certaines portions du littoral ainsi qu’une pluviométrie plus abondante sur certaines périodes générant des dégâts lourds. Tous les villages et villes de l’île sont exposés à de sérieux risques et une catastrophe d’ampleur exceptionnelle n’est pas à écarter.
Nous appelons de nos vœux à la mobilisation massive et de manière urgente des Fonds Barnier pour construire des digues de protection autour des zones du littoral et des berges de cours d’eau impactées à ACOUA et dans les zones du territoire où le danger est identifié. C’est d’ailleurs « toute l’ambition de l’objectif zéro vulnérabilité aux risques naturels à l’horizon 2030 dans le cadre de la trajectoire outre-mer 5.0 » un projet porté par le Ministère des Outre-mer… « Le fonds Barnier est mobilisable dans les départements et régions d’outre-mer, mais aussi dans d’autres collectivités ultramarines, selon leurs compétences » déclarait Mme Annick GIRARDIN, alors Ministre des outre-mer au Sénat le 18 février 2020. Hélas, nous oublions vite qu’ici comme nulle par ailleurs, on nous demande d’accélérer pendant ce temps d’autres que nous, ont tiré le frein à main. Alors difficile d’avancer dans ces conditions.
En outre-mer, ce sont les DEAL qui ont la charge des fonds Barnier selon un rapport du Sénat datant de l’année 2018 qui pointait d’ailleurs de manière sévère les insuffisances et les manquements des DEAL en Outre-mer. Elles instruisent les dossiers inhérents, conseillent les collectivités.
Entre réseaux sociaux et urgence sociale :
Dans la nuit 22 février 2021, suite à de fortes précipitations, une coulée de boue a dévasté une partie du village d’ACOUA causant d’importants dégâts matériels. « Le Préfet de Mayotte et les services de l’Etat sont mobilisés auprès des sinistrés et préparent le dossier de catastrophe naturelle » indiquait le ministre des Outre-mer Sébastien LECORNU sur les réseaux sociaux après cette catastrophe. Au-delà de la simple annonce politique, le placement en zone de catastrophe naturelle ne doit pas être érigé ici comme le seul levier du pouvoir public et la solution miracle pour venir en aide aux sinistrés d’ACOUA. Dit ainsi, « le placement en zone de catastrophe naturelle » fait « sérieux », donne un ton solennel surtout lorsque les mots sortent de la bouche d’un Ministre.
Ici, à ACOUA ou dans n’importe quelle commune de Mayotte, la réalité est tout autre. La garantie catastrophe naturelle est surtout automatique pour les assurés ayant déjà souscrit un contrat multirisques habitation. Or, même si elle est recommandée, cette assurance n’est pas obligatoire pour les propriétaires. Plusieurs habitations et autres biens du quartier sinistré ne sont pas assurés. Pour les habitations et les biens normalement assurés, la procédure pour être indemnisée est longue. Pour les familles, c’est une situation insoutenable lorsque les solutions d’hébergement d’urgence sont rares ou absentes. En temps normal pour que pour l’état de catastrophe naturelle soit déclaré dans une commune sinistrée, son maire doit d’abord en faire la demande au Préfet, ce dernier la transmet à la commission interministérielle des catastrophes naturelles. Si la demande est acceptée, les ministres de l’Intérieur et des Finances prennent conjointement un arrêté, indispensable pour que les victimes soient indemnisées, tout un parcours long et semé d’obstacles. Il faut compter entre 4 et 5 mois.
Justement, nous ne sommes malheureusement pas en période normale. La situation sanitaire du monde est déprimée depuis plus d’un an. Comme dans plusieurs matières qui régissent la vie des français, les procédures administratives longues et fastidieuses ont été écourtées. L’état de catastrophe naturelle du village d’ACOUA peut être directement décrété dans les jours qui viennent au conseil des ministres comme se fut le cas lors du passage du cyclone IRMA sur les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin le 5 septembre 2017. L’état de catastrophe naturelle a été signé dans la journée du 8 septembre, soit trois jours après le passage de l’ouragan. Cette procédure d’urgence a été rendu possible par la circulaire du 23 juin 2014, qui permet d’accélérer l’indemnisation des victimes d’ « événements de nature exceptionnelle ». En l’espèce, on ne se passera pas de l’avis de la commission interministérielle mais celle-ci sera amenée à siéger et à se prononcer en urgence.
ACOUA est triplement impacté. Il y a le COVID-19 qui rend pénible le quotidien des personnes, s’ajoute un long confinement saupoudré d’une catastrophe naturelle avec des dégâts matériels extrêmement importants. Tous les ingrédients sont donc réunis pour décréter en urgence au prochain conseil des ministres le placement du village en zone de catastrophe naturelle. C’est possible pour peu qu’il ait un soupçon de volonté. La procédure d’urgence a déjà été utilisée en temps normal à plusieurs reprises, notamment en octobre 2015 après les inondations meurtrières dans les Alpes-Maritimes.
Le ministre des Outre-mer peut mobiliser aussi en urgence, même via les réseaux sociaux comme il en a l’habitude, le Fonds de secours des Outre-mer qui relève de son ministère. Comme dit plus haut, le fonds de secours vise à aider les particuliers sous condition de ressources, mais aussi les entreprises à caractère artisanal ou familial dont les biens non assurés ont subi d’importants dommages. Le dispositif peut être mobilisé très rapidement et sans attendre compte tenu de l’urgence. Ce ne sera pas une gabegie que de venir en aide aux français d’ACOUA sinistrés et dont les biens ne sont pas assurés. L’Etat a pu disposer en un clin d’œil des moyens dits exceptionnels pour venir en aide à une certaine catégorie de populations « vulnérables dans le contexte de la crise sanitaire du COVID-19 ».
« Décréter en urgence au prochain conseil des ministres le placement du village d’ACOUA en zone de catastrophe naturelle et mobiliser immédiatement, même via les réseaux sociaux, le Fonds de secours des Outre-mer ».
Par ailleurs, comme dirait l’adage, « charité bien ordonnée commence par soi-même ». Nous oublions que la dans catégorie « financement et aides exceptionnels» le conseil départemental a aussi un rôle prépondérant à jouer par sa double casquette : compétences d’une région et prérogatives d’un département. Au lieu de se chamailler parce que les 10 millions décidés en 2014 au profit de 7 communes n’ont pas été décaissés en totalité, rien n’empêche la mise en place d’un dispositif exceptionnel d’aides urgentes directes aux sinistrés. Là aussi, la situation actuelle s’y prête et le caractère exceptionnel est manifeste. Le Conseil départemental peut aussi en toute légalité cofinancer directement des opérations sous maîtrise d’ouvrage communale ou intercommunale : l’aménagement des basins versants, l’entretien et l’aménagement des cours d’eau, des caniveaux, le reboisement, la réfection des routes, la défense contre les inondations et contre la mer des quartiers et des zones exposées, la réalisation des systèmes d’endiguement faisant rempart entre un cours d’eau en crue ou la mer.
Mayotte est un terrain propice « aux études ». Nous savons que le temps d’études interminables est bien différent de celui de dame nature. Les experts « qui passent ne laissent rien que » de piles de documents et on oublie le temps d’une accalmie que dame nature reste la maîtresse des horloges. C’est presque sur un ton désabusé, le regard meurtri, que Zouhourya d’ACOUA, cette femme dévouée presque les larmes aux yeux dira ceci : « Le projet est sur la table depuis un petit moment (7 ans depuis le passage du cyclone HELLEN). Encore une fois, on nous en parle, mais il ne faut pas que ce soit dans 50 ans ».
Malheureusement, ACOUA n’est pas un cas isolé. C’est à vue d’œil que nous constatons chaque année en période de grandes marées la monté inexorable des eaux de mer. C’est à coup de communiqués que la situation est gérée. Les barges et les amphidromes sont à mis à l’arrêt, les portions de route inondée fermées à la circulation et les habitants exposés priés momentanément de quitter leurs habitations le temps que la marée basse revienne. On colmate le Boulevard des Crabes en Petite-terre, la moindre des choses, pour ne pas clouer les avions au sol ou retarder leurs décollages. Il y a aussi le cas du pont BAILEY de Dzoumogné dont la conception remonterait à la seconde guerre mondiale. Des travaux de colmatage sont régulièrement réalisés mais n’arrangent pas le trafic sans cesse en augmentation notamment le passage des poids lourds de plus de 19 tonnes. Là aussi, il existe un projet pour la déviation de la RN1 piloté par la DEAL dont l’objectif serait de réaliser un nouveau tronçon routier de type « rase campagne ». Selon nos diverses ressources glanées ici ou là, il existe bien un marché public de maîtrise d’œuvre (Etudes bien sûr) publié en décembre 2013 sous la référence 906131 et dont la date de clôture était fixée au 05 février 2014 pour un prévisionnel de début des travaux le 3 mars 2014. En attendant que les poules aient des dents, de l’eau continue à couler sous ce point.
ISSIHAKA ABDILLAH
RESTONS CONFINES, RESPECTONS LES GESTES BARRIERES ET ALLONS-NOUS FAIRE VACCINER.