Violences à Koungou : les habitants traumatisés demandent des renforts d’ici le décasage du 9 mars

« Ce quartier de Jamaïque, c’est un Etat dans l’Etat ! » Les habitants des hauteurs de Koungou, derrière la mairie, ont vécu 24 heures traumatisantes face à des bandes de jeunes et d’adultes qui ont brûlé et pillé des habitations en représailles au futur démantèlement de leur quartier. Ils appellent la préfecture au secours dans un courrier.

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Koungou, décasages, Mayotte
Les assaillants ont carrément brisé les briques pour pénétrer dans l'habitation (Photo D.R.)

Ce vendredi, la journée fut marquée par des explosions, environ une centaine, pour les habitants de Koungou. Une ambiance de guerre civile. Quelques minutes avant, le matin, la gendarmerie effectuait en autre un contrôle des situations administratives des habitants du quartier Jamaïque, visé par un arrêté préfectoral d’expulsion pour constructions illégales, insalubrité, dangerosité de l’habitat et des sites d’implantation, puisque une mère et ses enfants y avaient trouvé la mort dans un glissement de terrain il y a 3 ans, etc. (Lire l’Arrêté préfet démolition Jamaïque). Il somme les habitants des 200 cases visées d’évacuer les lieux dans un délai d’un mois et 8 jours à compter du 29 janvier 2021. Le 9 mars, il est donc prévu que le préfet le fasse respecter par la force publique.

Une force publique qui a eu du mal à contenir un déchainement de violences des habitants refusant leur expulsion, s’en prenant aux proches résidents. Ce quartier Jamaïque est décrit comme une zone de non droit par les habitants de Koungou. « C’est le règne de la prostitution, du trafic de drogue, je n’y entre qu’accompagné, c’est un Etat dans l’Etat, c’était une erreur de penser s’y attaquer qu’avec seulement quelques gendarmes, l’opération qui s’est tenue vendredi n’a pas été assez préparée », juge un habitant qui réside à proximité et qui connaît bien le quartier.

Incendies alumés pour déloger les habitants de Koungou Manga ce vendredi

« On va brûler les blancs ! »

Avec ses voisins de la résidence du Hameau du Récif, ils se disent traumatisés par ce qui s’est passé la journée de vendredi et dans la soirée. « Dès que la gendarmerie a voulu interpeller un des leaders le matin, des habitants du quartier Jamaïque ont commencé à leur jeter des cailloux, puis à s’en prendre à notre résidence. Il y avait de très jeunes, mais aussi des majeurs et des adultes dans la force de l’âge, des garçons et des filles. Ils ont essayé de défoncer notre portail, mais heureusement, un voisin l’avait ressoudé à la hâte, c’est ce qui nous a protégé. Ils étaient plus d’une cinquantaine à entourer la résidence, d’autres étaient juchés sur les toits des maisons environnantes, des pierres volaient, et cela a duré toute la journée ce vendredi jusqu’à 18h. Les blindés ont essayé de rentrer dans le quartier Jamaïque, mais ils ont carrément reçu des rochers. Les forces de l’ordre se sont alors repliées devant le portail, lieu qui demeurait le théâtre des affrontements entre les tirs de grenades lacrymogènes et les cailloux qui arrivaient dans notre cour. Pendant deux heures à la fin, nous avons entendu les gendarmes dire qu’ils n’avaient plus de munitions, ils y allaient à la matraque. Pendant ce temps, les jeunes criaient, ‘on est chez nous’, et chantaient l’hymne comorien, c’est mon voisin qui l’a reconnu. »

N’arrivant pas à pénétrer dans la résidence du Hameau du Récif, une partie de la troupe se déplace vers la résidence Koungou Manga, « des filles essentiellement au départ. Ils ont défoncé les portes, et, malgré l’intervention de la gendarmerie, ont jeté deux bombes artisanales, en criant des insultes, du type, ‘on va brûler les blancs’ » Il était 23h, et des appartements ont été saccagés, leurs habitants tabassés. Une famille a été transférée dans la nuit à l’hôtel Trévani, une autre a été évacuée en métropole, plus grave, on signalerait le viol d’une femme enceinte.

Contactée dans la journée par leurs soins, la Société Immobilière de Mayotte (SIM) ne se serait pas manifestée, « on nous a expliqué que c’était vendredi après-midi, et qu’il n’y avait personne de disponible », indique un des habitants. Une proposition de relogement aurait été faite, « mais dans la même résidence ».

« Le 9, ce sera la guerre »

Déploiement des blindés ce vendredi à Koungou, mais qui n’auront pu pénétrer dans Jamaïque

L’un d’entre eux qui connaît bien un des jeunes assaillants, « jusque là sans histoire », pour travailler au collège de Koungou, rapporte ses propos qui ne laisse aucun doute sur la suite, « le 9, ce sera la guerre ».

Les habitants se disent apeurés, choqués, et excédés de ne pas avoir vu de représentant de la préfecture ni de la mairie, « on se demande s’il y a quelqu’un dans cette mairie, pas un policier municipal n’est passé. Seul le rectorat s’est manifesté, notamment pour mettre en place une cellule psychologique, et l’ARS ». Ils ont rédigé un courrier à l’intention du préfet. « C’est le quartier emblématique de la délinquance à Koungou, c’est irresponsable d’y aller avec quelques gendarmes qui ont fait ce qu’ils ont pu. Mais lorsqu’ils se sont retirés vendredi soir faute de munition, les jeunes ont crié qu’ils avaient gagné. Ils ont lâché, ‘si on nous vire de là, on virera ceux qui vivent en bas pour habiter à leur place’. On se sent en danger, nous avons donc interpellé le préfet pour lui expliquer que nous avons été aux premières loges pour assister aux agressions violentes dans la résidence voisine de Koungou Manga et nous craignons d’être les prochains sur la liste. »

D’autres habitants témoignent, « les auteurs sont connus, du moins le leader Achi. Il a eu son Bac en 2017, mais étant né aux Comores, il a toujours été dans ce quartier de Koungou Jamaïque qui s’est étendu peu à peu jusqu’à la carrière ETPC et jusqu’à la forêt en hauteur. » Il explique qu’une partie des personnes délogées lors du décasage à Dzoumogne est venue ici.

Averti par la gendarmerie, un DGA de la mairie s’est rendu à pied dans la nuit de vendredi à samedi jusqu’à la résidence de Koungou Manga pour porter assistance à une des familles agressée : « Il ne faut pas que le préfet baisse les bras surtout, mais le 9 mars, il va falloir mettre les moyens. »

Ce n’est pas faute d’avoir averti dans de nombreux articles d’une montée de la délinquance depuis 2 mois à Koungou, où quasiment chaque nuit, l’intervention des gendarmes était nécessaire. Faute d’avoir agi à temps, les jeunes se sont accaparés la zone, et il va falloir aligner la force publique le 9 mars pour en venir à bout.

Anne Perzo-Lafond

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