Pour que les 6 hectares du lycée ne soient pas envahis par de l’habitat informel, 70 poteaux sont plantés tous les 10m environ en guise de clôture. Des poteaux de couleur, habillés des créations de 6 artistes : Loutfy, sculpteur de Chirongui, Viviane Bellais, plasticienne d’Hajangua, Djodjo, directeur artistique de Petite Terre, Ben Jung, graphiste de Passamainty, le street artiste de Kavani Papajan, et le sculpteur de Chiconi, Conflit. Des jeunes scolaires ont également participé, des primaires de Longoni, des collégiens de Koungou, dont le jeune 5ème Zankidine, et des lycéens de Dzoumogne.
A ceux qui s’étonneraient de cet écrin coloré entourant le pan de forêt de l’emplacement du futur lycée, il faut rappeler la logique qui prévaut depuis le départ du projet. Il est accompagné depuis prés de deux ans par une permanence architecturale, animée par les cabinets Encore Heureux et Co-Architectes, qui ont bâti un faré de projets dans la logique d’un chantier ouvert. Des matériaux locaux ont été utilisés en test pour le lycée comme la brique de terre comprimée, récupéré même de l’ex-mairie de Sada, pour bâtir le faré, et les scolaires environnants ont été sollicités, afin que la population s’approprie le futur établissement.
Lola Paprocki, architecte du cabinet « Encore heureux », supervise l’ensemble, et accueillait le recteur Gilles Halbout accompagné de Fahardine Ahamada, président du Syndicat Mixte d’Eau et d’Assainissement de Mayotte (SMEAM). C’est qu’il faut déminer beaucoup de pièges en amont, et le traitement des eaux usées en est un de taille à Mayotte. Entre construire une nouvelle station d’épuration, ou créer une extension de l’existante, à proximité, prévue pour 400 habitants, c’est le second choix qui va l’emporter. « Et l’Etablissement Public foncier et d’Aménagement en sera le maitre d’ouvrage si le SMEAM est d’accord », lance Gilles Halbout. Le président d’un syndicat mixte en difficulté acquiesce.
Le plus grand lycée de France
La visite du pan de forêt se poursuit au gré des franchissements des noues, fossés de récupération des eaux de pluies. « Il faut parer toute inondation pour ne pas tomber dans le cauchemar de l’école que je viens de visiter à Acoua, bâti sur un site qui baigne dans l’eau », met en garde le recteur. Lola Paprocki montre du doigt les futurs bassins de rétention, « l’eau sera canalisée jusqu’aux ouvrages hydrauliques ».
La butte centrale du terrain devrait abriter la Maison des lycéens, lieu d’échanges, « nous respectons au maximum la topographie du site. Nous conservons par exemple une essence de chaque arbre, grâce au travail mené avec un paysagiste, et nous gardons la cheminée de l’ancienne usine sucrière malgré son état, elle sera sécurisée ».
Sur le chemin, un bacoco souriant rentre des champs. Il vit sur une des habitations sise sur le terrain et échange quelques mots en shimaore avec le président du SMEAM. Il n’a pas reçu l’indemnisation due par l’EPFAM, traduit-on, alors qu’il l’a libérée. Ils sont plusieurs à habiter sur la parcelle, « mais d’autres sont moins coopératifs », commente Lola Paprocki.
Certains poteaux ont été endommagés, « une tête a été volée sur celui-ci, on s’y attendait un peu », commente l’architecte.
Le gigantisme du futur établissement s’étale sur le panneau d’accueil et sous nos pas dans la gadoue, « ce sera le plus grand lycée de France, avec un gymnase intégré, un dojo, un atelier de travaux pratiques, des logements de fonction, un internat, il accueillera 2.000 élèves ». Une cuisine centrale permettra de nourrir les établissements alentours, « 5.000 repas y seront préparés ». Un investissement qui s’est gonflé avec la prise en compte de structures supplémentaires, dont l’internat, puisque de 60 millions d’euros, il grimpe à 93 millions d’euros désormais.
Avant même sa sortie, le lycée a déjà une âme avec la présence de ce balisage artistique qui veille sur sa destinée.
Anne Perzo-Lafond