L’école vit avec les jeunes, ils y passent plus de temps que chez eux. C’est donc un terreau d’observations des souffrances, et les violences qui en découlent. Les services sociaux du rectorat s’adaptent au contexte difficile de familles en désarroi d’éducation et à des jeunes confrontés très jeunes à la souffrance et aux violences. Sur ce terrain encore, Mayotte préfigure des évolutions similaires en métropole.
Scolarisant plus de 100.000 élèves cette année, répartis quasiment à moitié dans le primaire et le secondaire, l’éducation nationale est un acteur de première ligne dans la prise en charge de cette jeunesse. Mais alors qu’on lui confie des élèves, ce sont des histoires personnelles qu’elle va devoir gérer. En métropole, les services alertent le conseil départemental qui les prend en charge. Ce dernier développé tardivement la protection de l’enfance, et sur un territoire qui subit une pression migratoire sans comparaison. Pour autant, le document déplore une coopération difficile avec les services du Département.
C’est la 1ère année que le rectorat rend public le rapport d’activité de ses services sociaux. Il permet de se rendre compte combien l’école est aussi un lieu de protection pour les jeunes, et qui explique le fossé pour certains lorsqu’ils en sortent et qu’ils retrouvent un contexte de violence.
A Mayotte, l’exercice des missions du service social scolaire est compliqué par des problématiques graves touchant les élèves et ayant une répercussion sur leur scolarité : grossesses précoces, mineurs isolés, fugues, accès au droit, absentéisme, conduite à risques, addictives et sexuelles, grande précarité… Véronique Séjalon, la conseillère technique supérieure du service social du rectorat, pointe des facteurs aggravants, « les effectifs importants qui ne cessent de croitre dans les établissements » ainsi que « les moyens pas encore suffisants en matière de protection de l’enfance (du conseil départemental, ndlr) notamment pour répondre à une demande croissante de situations d’enfants en danger. Malgré les écrits de protection de l’enfance, le service social (du rectorat) se sent souvent isolé dans la prise en charge de certaines situations. »
« Une grande précarité peu favorable à la réussite scolaire »
L’année scolaire 2019-2020, a été celle de l’aggravation des phénomènes de violences entre jeunes, et celle de la crise sanitaire avec son 1er confinement, impliquant la fermeture de tous les établissements du 16 mars au 8 juin 2020. Avec un 1er constat : malgré cette parenthèse de plus de deux mois dans la scolarité, le nombre d’élèves pris en charge par les services sociaux n’a que peu baissé, 13.622 au total, soit 3.700 de moins que l’année précédente, « ce qui laisse supposer que si l’année s’était déroulée normalement le nombre d’élèves pris en charge par les assistants sociaux aurait augmenté de manière exponentielle ». 28,8 % d’élèves du second degré ont été accompagnés, dont une grande majorité sont des collégiens. Le nombre de filles prises en charge est supérieur au nombre de garçons, hormis en lycée professionnel. En raison des thématiques qui les concernent plus particulièrement, sexualité, grossesses, accompagnement des jeunes mères, IVG. La 1ère demande émane à 54% de l’élève.
Que ce soit au collège ou au lycée, les services sociaux sont en majorité appelés pour des aides financières, 8.430 ont été traitées, dont alimentaires pendant le confinement. « Une grande majorité des familles sont en situation irrégulière sans ressource déclarée. Pour un grand nombre d’élèves, la collation est le seul repas de la journée. » Le service social en a renvoyé vers la Croix Rouge et les autres associations, ou le conseil départemental, mais « les familles en situation irrégulière ne sont pas éligibles aux aides financières du Conseil départemental. » Une « grande précarité économique, sociale, affective, peu favorable à l’investissement et la réussite scolaire ».
La famille peine à imposer son autorité
Le grand thème qu’est l’accès aux droits dans le département ne fait pas exception, puisqu’il concerne prés de 19% des sollicitations, « la situation administrative conditionne la poursuite d’études en métropole ou à La Réunion. » Avec des retours « rares » de la préfecture. Or, comme nous l’avons constamment dénoncé, c’est pourtant la position schizophrène de l’Etat qui est ingérable, rendant d’un côté la scolarisation obligatoire dès 3 ans, et de l’autre, l’expulsion obligatoire dès 18 ans. « Un partenariat avec une personne référente à la préfecture serait profitable », souligne le rectorat.
L’école travaille surtout sur la parentalité. 17,5 % d’interventions concernent les difficultés familiales, à la demande des élèves « qui viennent se confier sur des situations complexes et douloureuses », mais aussi de parents, « qui ne savent plus comment fixer un cadre éducatif cohérent. Le schéma traditionnel de l’organisation de la famille et le soutien apporté par la famille élargie tend à disparaitre et engendre une perte de repères. Les adultes peinent à imposer leur autorité et viennent chercher des réponses auprès des professionnels. » Les situations d’extrême précarité sont un facteur aggravant. Conséquence, les jeunes adoptent des comportements à risques, fugues, errance, consommation de stupéfiants ou d’alcool, actes délictueux, pratiques sexuelles non protégées, prostitution, etc.
Comment faire pour ne pas en arriver là ? Assurer une veille, mise en place dans la plupart des établissements scolaires. Et elle reste bien en deçà des besoins. C’est d’ailleurs ce qui fait défaut au Département où la Cellule d’Informations Préoccupantes est déficiente. C’est pourtant le niveau zéro de la prise en charge. Cette veille permet au service social d’avoir une meilleure connaissance des situations des élèves à problème dans leur établissement : violences agies et subies, difficultés scolaires, absentéisme, décrochage, délinquance, violences dans l’établissement et aux abords, racket, harcèlement… »
Des fugues non signalées par la famille à la gendarmerie
Les difficultés scolaires peuvent se rajouter à un quotidien difficile à la maison, « l’école est alors une contrainte qui ne fait pas sens, ils présentent ensuite des problèmes d’absentéisme. » Et ils sont bien plus que les 11% répertoriés à sécher les cours, selon le service social, « les décrochages ne sont pas systématiquement signalés », et pourtant les élèves absentéistes dès la 6ème « l’étaient généralement en primaire ». Une vraie politique de prévention est à mener donc de ce côté.
Faute de cela, ce sont les violences telles que nous les connaissons : « 229 élèves suivis par le service social sont fugueurs, de quelques jours à plusieurs mois » alors que « parfois les familles n’ont pas déclaré la fugue à la gendarmerie ou à la police. Les situations ont fait souvent l’objet de demandes d’aide éducative restées sans réponse eu niveau du département. Les jeunes, garçons ou filles, retrouvent des bandes et vivent en groupe dans des bangas. « S’en suivent « des agressions sexuelles sur des jeunes filles », « des actes délictueux ». « 50 jeunes filles ont fait l’objet de suspicion de prostitution ou déclarent elles-mêmes avoir des relations sexuelles en échange d’argent ou des cadeaux, téléphone, vêtements etc. »
Les professionnels du service social du rectorat, procèdent à des entretiens avec les jeunes et les familles, 21.502 en 2020 et 219 visites à domicile, « généralement les familles se rendent aux convocations ». Ce qui rend d’autant plus frustrant que « le travail qui devrait se faire en lien avec les assistants sociaux du CD soit parfois absent. » Au total 170 signalements ayant concernés 146 élèves ont été faits au procureur.
Multiplier les mesures éducatives à domicile
Parmi ces jeunes visés par un signalement, 14,6% vivent avec leurs deux parents, 18,5% sont des mineurs isolés, 27% concernent des jeunes qui vivent soit dans la famille, grands-parents, tante, famille élargie mais aussi chez des personnes n’ayant aucun lien de parenté. Certains parents présents sur le territoire, ont confié leur enfant.
La solution est connue, c’est l’accompagnement sur la durée des familles : les assistants sociaux scolaires mettent en place un accompagnement de soutien à la parentalité mais demandent que soit mise en place des mesures éducatives à domicile (AED) « afin d’accompagner au mieux ces familles et que la situation ne relève ensuite d’un signalement. Les parents adhèrent à la proposition d’aide majoritairement. »
Face aux besoins conséquents, le rectorat doit prendre en charge ce qui l’est par les Départements en métropole, qui n’ont pas la même pression migratoire qu’ici. Un poste supplémentaire a été créé par le recteur, « que nous allons mettre sur le secteur nord, composé du lycée du Nord et du collège de Mtsamboro, établissement en REP + ». L’équipe est désormais constituée au total de 24 assistants sociaux.
La formation sur la protection de l’enfance dans les premier et second degrés reste une priorité du service, « afin que les situations puissent être prises en charge de façon préventive et que des cas de maltraitance ne restent pas ignorés », conclut le rapport.
Laissons la conclusion au recteur Gilles Halbout : « C’est une tâche gigantesque que celle de suivre tous les jeunes en besoin, sur laquelle nous sommes trop isolé. Pour relever notre partie du défi, j’ai demandé davantage de créations de postes d’assistants sociaux pour Mayotte ».
Consulter le Bilan action sociale académie de Mayotte
Anne Perzo-Lafond