Dans son atelier de Mamoudzou, Hassane Abdou s’affère à agencer les minuscules boucles d’une chaîne en or. A ses côté, deux clientes potentielles épluchent son catalogue, lorgnant sur les fleurs d’ylang en or, les tortues en argent, les colliers et autres bracelets. Entre les mains de l’artisan, de vieux outils qui ont façonné tant de richesses contrastent avec l’ordinateur qui éclaire l’établi de sa lumière bleue. Ainsi équipé, Hassane Abdou est l’un des seuls artisans bijoutiers de l’île à pouvoir assurer le volet administratif du métier.
En effet, la chambre des métiers et de l’artisanat de Mayotte (CMA) a mené une enquête depuis 2019 auprès de 20 bijoutiers de l’île, sur les 25 identifiés à la Chambre. Et le constat n’est pas folichon. De l’enquête, il ressort le portrait d’un métier précaire, peu rémunérateur, avec des professionnels très expérimentés mais vieillissants, mal équipés et sans héritiers pour perpétuer le savoir-faire. Il y a donc urgence à agir. Et pour agir, il faut structurer cette filière, surtout composée d’artisans isolés.
« Nous sommes dans la continuité d’une démarche de structuration des filières de l’artisanat démarrée en 2019 avec les taxis puis les couturiers. Aujourd’hui nous continuons avec les bijoutiers, puis d’autres filières vont suivre, résume Salama, de la Chambre des métiers.
« Ca commence par avoir une connaissance de chaque métier, car à Mayotte on parle de secteurs sans avoir vraiment de chiffres. Il faut une connaissance des entreprises, de leurs équipements, comment elles vivent, leur marché. Ensuite il faut voir ce qu’on peut apporter pour accompagner ces filières. Des pistes de réflexion ont été trouvées, on les portera auprès des institutions. »
Ismael Farsi, chargé de mission auprès des bijoutiers, donne quelques chiffres sur ce métier en or qui pourtant fait peu rêver les jeunes générations. Moyenne d’âge : 49 ans. Presque tous ont appris le métier de leur père. Sur les 20 artisans sondés, seuls 2 possèdent un ordinateur. Les locaux, de 32m² en moyenne, laissent peu de place à l’investissement.
D’ailleurs, les revenus générés ne permettent pas à tous d’investir non plus. Près de la moitié (46%) déplorent des délais de livraison importants (1 mois et demi pour recevoir de l’or) et des prix élevés pour les matières premières. Ce qui conduit à perdre des clients quand ils ont besoin d’un bijou pour la semaine qui suit. « Cela impacte le chiffre d’affaires » note Ismael Farsi.
Résultat, 1 artisan sur 3 gagne moins de 14 000€ par an. Un tiers gagne entre 14 000 et 21 000€ et le dernier tiers seulement gagne davantage. En effet a noté le chargé de missions, certains faute de formation et de comptabilité précise, vendent parfois à perte. « Un bijou peut être vendu 100€ alors que, tout mis bout à bout, il en a coûté 300 à réaliser ».
Une difficulté dont les artisans sont conscients. Presque tous sont demandeurs de formations. Ainsi, ⅓ estime avoir besoin de formation en comptabilité/gestion, ⅔ estiment avoir besoin de formation en numérique, ⅔ ont besoin de formation technique pour les finitions.
Par ailleurs, beaucoup utilisent des outils datant de leur père ou de leur grand père et ont besoin de modernisation. Plus de la moitié des bijoutiers sondés jugeraient utiles des achats groupés et des outils mutualisés. Dès lors, l’idée d’une coopérative a fait son chemin.
Parmi les pistes d’actions auxquelles la coopérative récemment créée va pouvoir répondre, il s’agira de « fédérer les professionnels autour d’objectifs partagés, la coopérative a été créée, immatriculée, là on n’est plus dans la phase de réflexion. Ils sont 11 coopérateurs. Ensuite des achats groupés d’or visent à la réduction des coûts et des délais. En effet, au delà d’un certain poids, il faut passer par un transitaire. Or « le transitaire coûte souvent plus cher que l’or lui-même » déplore le chargé de missions. Individuellement, le coût de revient n’est parfois plus tenable.
De même, l’absence d’outils modernes empêche de travailler des matériaux moins malléables que l’or ou l’argent, et il manque de formation pour le travail des pierres, ce qui conduit à une offre assez réduite, et à des marchés qui peinent à s’élargir. La coopérative doit donc aussi conduire à la création d’une boutique, voire de vente en ligne.
Ensuite « on ne peut plus travailler à l’ancienne sans tenir de comptes, ce groupement doit aussi aider à cela ». Aider à travailler les pierres précieuses est aussi dans les tiroirs. Enfin, la coopérative aidera à « mener des actions de promotion pour se faire connaître via des manifestations communes ». Un laboratoire pour les poinçons a été installé en groupement, pour fournir des bijoux aux normes. Avant 2016 il n’y avait en effet pas de poinçon obligatoire à Mayotte. Ensuite durant une période transitoire, il fallait aller les faire poinçonner à La Réunion. Ces contraintes ont donné lieu à des amendes qui n’ont pas aidé les plus précaires. « Maintenant on poinçonne à Mayotte » salue Ismael Farsi.
Ce coup de collier donné au secteur de la bijouterie doit permettre de donner un nouveau souffle à un secteur clé de la vie culturelle mahoraise. De fait, 100% des clients sont des particuliers, seuls 10% sont des touristes, notamment parce que les délais de livraison rendent parfois impossible une livraison le temps d’un court séjour. Le gros de l’activité reste les mariages traditionnels, où parures et autres bagues sont toujours très demandées.
L’enjeu n’est donc pas qu’économique.
« La bijouterie est un secteur culturel à Mayotte, si la bijouterie meurt, c’est une partie de la culture mahoraise qui meurt » conclut Ismael Farsi.
Or, si la volonté est là, des freins restent à noter : Mayotte est coincée entre Madagascar et les Comores où l’artisanat de la bijouterie est moins réglementé et présente une sérieuse concurrence. Sans aller jusque là, on estime à 65% la part d’informel dans la bijouterie à Mayotte, ce qui là encore concurrence les entreprises installées.
Y.D.