Projet de loi Mayotte : l’état des lieux dessine la carte des manquements de l’Etat sur l’île

« Ne décevez plus les Mahorais, car la réaction pourrait être violente ! » Mansour Kamardine prenait la parole à la suite du lancement par le préfet de Mayotte des consultations de la population, préalable à la rédaction d’un projet de loi Mayotte. Jean-François Colombet a présenté des constats « sans concession » des 5 axes du projet de loi.

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Projet de loi Mayotte, Jean-François Colombet, Mayotte, Sophie Brocas
1ers constats sans trop de concession, des manquements de l'Etat à Mayotte

Il en va de la crédibilité de tous. De la représentation de l’Etat à Mayotte d’abord, mais elle change de visage tous les deux ans, des parlementaires surtout, qui apportent tous leur blanc-seing à cette énième consultation dont on leur assure qu’elle sera la bonne. « J’ai épuisé 30 préfets, on amuse la galerie, mais après avoir écouté, vous faites toujours ce que vous voulez, raillait le député Mansour Kamardine, après les Assises de l’Outre-mer, rien de ce que l’on a dit n’a été livré. J’avais déjà proposé une loi programme en 2019, nous avons donc là une chance extraordinaire. Au moins, cette fois ci, faites en sorte que nous retrouvions nos éléments dans le projet de loi ».

Le député valide le dispositif, malgré deux informations décevantes, « nous avons appris qu’Air France ne viendra pas parce que Air Austral ne le veut pas », et « en matière de politique agricole, sur 600 millions d’euros alloués à l’outre-mer, on ne nous envoie que 6 millions d’euros. Ça commence très mal ! » Il n’est pas seulement en campagne pour les départementales, « je dénonce ces situations depuis très longtemps. » Et demande de sortir le thème de l’égalité sociale du projet de loi, « il faut les traiter par ordonnances, le gouvernement le peut, pour avoir une égalité sociale pour 2026. »  Présente dans l’hémicycle du lycée des Lumières, Sophie Brocas, Directrice générale des Outre-mer (DGOM), était prise à partie, « si vous ne pouviez bénéficier de votre retraite à taux plein qu’en 2077 ou même 2036, vous feriez quoi ?! »

Pour ne pas décevoir, Jean-François Colombet avait annoncé des échanges « sans tabou », ainsi que l’a demandé le ministre Lecornu, lors des consultations. Il avait donc demandé à son staff un état des lieux « sans concession », « pour identifier les marges de progression » sur les 5 thématiques : l’Egalité en matière de droits, sociaux, le renforcement de l’Etat régalien sur les défis sécuritaire, migratoires et de sécurité civile, l’Accélération du développement de Mayotte, le Renforcement du conseil départemental et la Jeunesse et l’insertion. Bien que certains n’aient pu résister à la tentation de prouver que « l’Etat fait beaucoup », rarement tableau fut dépeint aussi franchement. Un bon diagnostic reste le plus sûr moyen de progresser, encourageant donc.

Pas de code de la sécurité sociale et un code du Travail à trous

Marjorie Paquet et Ymane Alihamidi Chanfi

A la demande du député Kamardine qui le mettait en pôle position, le thème de l’Egalité sociale fut abordé en premier, par le binôme Marjorie Paquet, Commissaire à la vie des entreprises, et Ymane Alihamidi Chanfi, directrice de la CSSM. L’ancienne directrice de la Dieccte, revenait sur l’imbroglio qui prévaut en terme de code du Travail, dont certaines mesures du national sont appliquées, d’autres non : « L’abrogation, par ordonnance, du droit du Travail spécifique à Mayotte le 3 août 2016, aboutira à la mise en place d’un Code du Travail de droit commun, mais dont certaines applications sont différées, comme le conseil des prud’hommes, décalé au 1er janvier 2022. » Du côté du SMIC, « il n’y a pas eu de rattrapage du SMIC mahorais sur le SMIC métropolitain ». Même flou du côté de la sécu, explique sa directrice, « le code de la sécurité sociale n’est pas applicable à Mayotte, un corpus spécial intègre donc les règles, sans qu’on sache vraiment lesquelles s’appliquent vraiment. La seule convergence prévue, est celle du plafond de la sécurité sociale, qui est de moitié de la métropole, et qui atteindra son niveau en 2032. » Il conditionne le niveau des retraites, 5.000 bénéficiaires ici, qui vont donc rester encore plus de 10 ans en deçà de la métropole. Les indépendants n’ont pas de retraite à Mayotte, « il n’y a pas de texte ». Les critères d’éligibilité, « 10 ans de résidence régulière », engendrent un faible volume d’allocataires, 22.000.

Laurence Carval et Nathalie Gimonet

Sur le thème du renforcement de l’Etat régalien, Laurence Carval et Nathalie Gimonet, respectivement directrice de cabinet du préfet et sous-préfète en charge de la Lutte contre l’Immigration Clandestine, se prêtaient aussi au jeu de l’état des lieux. « L’immigration clandestine a déstabilisé le territoire, avec de l’habitat indigne, de la délinquance par manque de perspective et le chamboulement de la cellule familiale. La pression démographique est portée par un indice de fécondité deux fois supérieur chez les femmes comoriennes, qui ont en moyenne 6 enfants, contre 3 dans une famille mahoraise. Tout cela pèse sur les infrastructures, hospitalières, sanitaires, scolaires, et sur les politiques publiques à Mayotte. » Malgré les moyens « inédits » mis par notamment sur l’opération Shikandra qui ont amené à « accroitre la protection des frontières avec 205 kwassa interceptés depuis le début de l’année contre 290 en 2020 », ils continuent à arriver, « 25% environ touchent terre. Probablement qu’une adaptation législative permettrait de faire mieux, et qu’on pourrait améliorer les services d’enquête pour contrer les filières », avançait Nathalie Gimonet.

En matière de délinquance, le constat est rappelé par Laurence Carval, « une hausse des violences crapuleuses d’environ 50%, des violences de bandes intervillages, et l’implication de très jeunes mineurs, 38% des mis en cause. Les caillassages ciblent tout ce qui représente un système organisé, ambulances, transports scolaires. » Une cellule focalisée sur les bandes de jeunes est mise en place. Peu de marge de progression d’énoncées, « on ne pourra pas mettre un gendarme derrière chaque habitant ».

Le jeu du ni oui, ni non sur le renforcement du conseil départemental

Zoubaïr Alonzo et Maxime Ahrweiller

En matière de développement, point n’était besoin pour Maxime Ahrweiler, sous-préfète au développement économique de faire preuve d’imagination, « Mayotte est un département en transition, au PIB de 9.500 euros par habitants quand il est de 32.000 euros en moyenne en métropole et de 15.000 euros en Guyane. Ça illustre l’effort à faire pour accélérer le développement. Ne serait-ce que sur l’eau et l’assainissement, mais aussi, l’habitat et les écoles en rotation ou l’économie en partie informelle », quand son binôme Zoubaïr Alonzo, directeur de la CCI, donnait des pistes de « relais de croissance », « avec les transitions écologique et énergétique ou l’amélioration des transports intérieur, le désenclavement du territoire, maritime et aérien. »

Jérôme Millet et Dahalani M’houmadi

Sur le thème de la Jeunesse et de l’insertion, le sous-préfet à la cohésion sociale Jérôme Millet mettait l’accent sur une île « trop riche d’enfants », avec « 3 habitants sur 10 qui ont moins de 10 ans », et plus tard, un faible niveau de qualification et un taux d’analphabétisme conséquent, « 25.000 jeunes sont sans emploi ni formation, cela reste l’enjeu prioritaire ». Pour Dahalani M’houmadi, directeur de Mlézi, il faut remplacer la fin du vieil adage, « Une société se juge à la manière dont elle traite ses personnes âgées », par « sa jeunesse ». Si les dispositifs d’action sociale sont tout jeunes, il appelle malgré tout à « sortir du droit commun pour faire du sur mesure, avec des propositions adaptées à Mayotte ».

Claude Vo-Dihn et Mahafourou Saïdali

Enfin, sur le sujet du renforcement du conseil départemental, pour englober pleinement les deux assemblées, régionale, qui n’a jamais existé à Mayotte, et départementale, nous avons eu droit à un pas de deux non harmonisé. Le secrétaire général de la préfecture Claude Vo-Dihn expliquant vouloir donner un « constat réel » alors que son binôme Mahafourou Saïdali, ex-DGS du conseil départemental était censé rapporter « ce qui se dit ». Le premier brossant le portait d’un conseil départemental à l’organisation conforme, « une collectivité au titre de l’article 73 appelée département », aux compétences définies, « l’action sociale et les PMI bien sûr, mais aussi les routes, la culture, etc. », et aux moyens suffisants, « l’excédent budgétaire est de 56 millions d’euros, qui intègre un investissement de 310 millions d’euros du Département de 2016 à 2020, grâce notamment aux 145 millions d’euros annuel de l’Etat. » Pas le même écho naturellement par l’ex DGS de la maison, que ce soit en terme d’organisation, « le code électoral et le nombre d’élus restent à modifier pour coller à la dimension régionale », de compétences, « la compétence régionale reste absente, notamment pour le service des barges que nous exerçons au titre du département, alors que c’est même sans doute à l’Etat de le reprendre, comme le port de Longoni. Il le fait bien pour les collèges et les lycées », et enfin de moyens, « ce budget est celui d’un département et non pas d’une région, dès lors que nous n’avons pas de compensation pour exercer la formation professionnelle. »

« Ne décevez plus les Mahorais ! », intimait Mansour Kamardine au représentant de l’Etat

Lors des échanges avec l’ensemble des acteurs sociaux ou économiques de la salle, Abdou Dahalani, président du CESEM, appelait également de ses vœux la reprise en main par l’Etat « de la gestion des mineurs isolés », et demandait qu’on différencie les sujets qui peuvent faire l’objet d’une loi, et ceux qui sont de simples déclinaisons des textes existants, « et nécessitent seulement une volonté politique ». Sur la question plus large des jeunes sans qualification et sans papier, le préfet indiquait qu’il était favorable à l’étude des titres de séjour à points, « en disant ça, je prends des risques », précisait-il.

Le projet de loi qui en découlera ne pourra pas être adopté avant la fin de la présidence d’Emmanuel Macron, indiquait le préfet Colombet. Nous avons interpellé Mansour Kamardine sur son parcours : « Le gouvernement qui suivra peut se saisir du projet de loi ou non. Mais s’il est adapté en conseil des ministres, on peut le faire passer en 1ère lecture au Sénat et nous agirons en fonction de la position du prochain gouvernement ».

Les trois forums citoyens se tiendront à 9h, à Dembéni le 5 mai, à Sada, le 14 mai et à Tsingoni le 19 mai, et les 5 forums institutionnels, à Mtsamboro le 7 mai sur l’Etat régalien, à Chirongui le 11 mai sur le développement économique, à Bnadrélé le 17 mai sur le renforcement du CD, à Dzaoudzi le 18 mai à 17h, sur la Jeunesse et à Koungou le 21 mais sur l’égalité des droits sociaux. Le préfet tiendra des audiences libres dans 5 communes, pour y participer, inscriptions-alp@mayotte.gouv.fr

Sur le renforcement de l’État régalien, écrivez à : concertation- renforcement-etat-regalien@mayotte.gouv.fr; Sur le développement accéléré du territoire, écrivez à : concertation-acceleration-developpement@mayotte.gouv.fr; Sur le renforcement du Conseil départemental, écrivez à : concertation-renforcement-cd@mayotte.gouv.fr; Sur la jeunesse et l’insertion, écrivez à : concertation-jeunesse-insertion@mayotte.gouv.fr; Sur l’égalité des droits sociaux, écrivez à : concertation-egalite-droits-sociaux@mayotte.gouv.fr

Anne Perzo-Lafond

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