1986. C’est l’année où une majorité de droite à l’Assemblée nationale impose une cohabitation au président François Mitterrand. Nommé premier ministre, Jacques Chirac viendra quelques mois après dans une Mayotte pro départementaliste, et prononcera son célèbre, « Les paysans de chez moi qui ont beaucoup de sagesse disent ‘Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs’. » Son ministre des départements et territoires d’outre-mer, Bernard Pons, fait publier la « Loi programme 86-1383 du 31 décembre 1986, relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte », qui n’était pas encore département. Ainsi que des conventions sectorielles pour le social, l’éducation nationale, etc.
L’article 1 de la loi donne le « la » en précisant que l’objectif est « la réalisation en cinq ans, dans les conditions fixées par la présente loi, de la parité sociale globale avec la métropole ». Plus loin, le concept de parité sociale globale est précisée : il correspond au « volume des prestations sociales de toute nature assurées par l’Etat et par les régimes de sécurité sociale, et versées dans les départements d’outre-mer, correspondant à celui qui serait obtenu si toutes les prestations existant en métropole et assurées par l’Etat et par les régimes de sécurité sociale y étaient servies dans des conditions analogues ». C’était en 1986, et nous n’y sommes toujours pas.
Les annexes précisent les mesures d’incitation au développement économique. L’une évoque par exemple la création de zones franches telles que nous les connaissons à Mayotte, qui exonèrent les entreprises de taxe professionnelle, l’autre la résorption de l’habitat insalubre, l’amélioration des logements existants et la construction de logements neufs, avec « un programme global conduisant au doublement de l’effort consenti actuellement par le budget de l’Etat. Ce programme devra concerner en priorité la fraction la plus déshéritée de la population. »
« Mayotte accuse d’importants retards »…
Ainsi, une annexe est totalement consacrée à Mayotte, qui a permis des avancées, mais avec de nombreux trous dans la raquette. Les « dispositions relatives au plan de développement particulier de Mayotte » notaient que « dans tous les secteurs d’activité, comme dans le rythme et le niveau de son développement, Mayotte accuse d’importants retards, non seulement sur la métropole, mais également par rapport aux autres collectivités d’outre-mer. C’est pourquoi des dispositions particulières adaptées aux spécificités locales visent à assurer un rattrapage économique et social de cette collectivité. » Là encore, le constat 35 ans après reste le même.
Sont annoncés, et partiellement réalisés, « le désenclavement interne et externe de l’île par la construction d’un port en eau profonde à Longoni, l’amélioration de la desserte aérienne et du réseau des routes nationales ». En ce qui concerne le 2ème point, la loi prévoit plus haut que « l’Etat prendra les mesures propres à disposer de moyens de transport aérien élargis et bon marché », avec « l’instauration progressive d’une concurrence entre les transporteurs nationaux compatible avec les obligations du service public. Dans une première étape, les compagnies de vol à la demande sont autorisées à ouvrir des liaisons entre les départements d’outre-mer et tout point du territoire métropolitain pour le transport de personnes et de marchandises. »
Pour revenir au chapitre concernant exclusivement Mayotte, sont annoncés : « un programme de modernisation et de relance de l’agriculture, reposant notamment sur la défense et la restructuration des sols », l’amélioration des conditions d’existence des populations, « grâce à un programme de réduction de l’habitat insalubre et d’assainissement des villages, ainsi qu’à la poursuite de l’effort en faveur du logement social », une meilleure formation des jeunes, scolaire et professionnelle, « grâce à une augmentation du nombre des classes, à une amélioration pédagogique et administrative de l’enseignement et à un effort important de construction d’établissements scolaires du secteur primaire, secondaire, de l’enseignement technique et professionnel », la « mise en place progressive de cantines scolaires dont le financement sera assuré pour partie par l’instauration d’un régime de prestations sociales collectives », etc.
L’habit ne fait pas le moine
Des parties entières peuvent être reprises et transposées à l’actuel projet de loi, surtout que l’alinéa 2 précise que « la réalisation de ce programme suppose l’amélioration des instruments juridiques et le renforcement des moyens des administrations locales ». Deux demandes du mouvement social de 2018, plus de trente ans plus tard.
Comment dans ce cas redonner envie d’y croire ? Tout d’abord, cette loi n’étant pas abrogée, les décisions sont toujours applicables. C’est pourquoi, comme nous l’avons demandé, une synthèse compilée des Plan et contrats Mayotte 2025, loi urgence Mayotte, etc. aurait été indispensable.
Ensuite, c’est bien la preuve qu’une loi ne s’use que s’y l’on s’en sert. Or, sans monter au créneau et en pensant que, dans les ministères, les paroles s’envolent et les écrits restent, les élus risquent encore une fois de nous conduire sur un statu quo qui n’est plus tenable, pour paraphraser le président Macron sur un autre sujet. Le projet de loi actuellement débattu, s’il actualise le texte de 1986, notamment sur la délinquance et l’immigration, dépendra des moyens financiers que l’Etat y mettra. Or, depuis 1986, les caisses se sont vidées, et la crise Covid y a participé.
D’autre part, la période est dangereusement électoraliste, que ce soit les départementales ou les présidentielles, la bataille doit déjà s’engager pour que les successeurs ici et là haut, s’approprient le travail fait et sécurise le parcours du projet de loi. Et le défendent ensuite à la virgule prés. Car si le cadre statutaire est important, il ne fait pas le moine, et La Réunion est un exemple de développement sans avoir bénéficié de loi particulière.
L’inquiétude vient donc moins de Paris que de Mayotte. Quelle pugnacité auront les élus pour défendre tout ça ? Et qui ? Les électeurs vont avoir la main lourde de sens fin juin…
Anne Perzo-Lafond