1986-2021 : la stagnation des droits sociaux a contribué à fracturer la société 

D’un alignement rapide, en 5 ans, inscrit dans la loi programme de 1986, nous sommes passés à un horizon 2036 pour ne parler que du plafond de sécurité sociale. Entre maigres retraites et extrême précarité de ceux qui sont exclus des circuits sociaux, les interventions sur l’égalité des droits sociaux étaient nombreuses pour le dernier Forum institutionnel de la consultation préfectorale sur le projet de loi Mayotte.

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Projet de loi Mayotte, concertation, Mayotte
Face au préfet Jean-François Colombet, aux côtés d'Ymane Alihamidi Chanfi et de Marjorie Paquet, Mohamed Moidjié appelait à une diagnostic de verticalité et d'horizontalité

Nous n’avons pas assisté aux consultations menées par le préfet en ce joli mois de mai de préambule au projet de loi Mayotte, pour ne pas avoir à remonter une nouvelle liste d’idées à la mise en place incertaine. « Il y a 220 à 230 propositions à faire remonter », rapportait Jean-François Colombet. Un gros travail de synthèse. Qui avait déjà été effectué à de multiples occasions (Grand débat post gilets jaunes, Etats généraux, plans d’urgence, etc.), avec cette fois des problématiques supplémentaires, délinquance, immigration. C’est pour cela qu’un travail de « dépoussiérage », pour reprendre le terme du Directeur de l’Association des Maires, Mohamed Moindjié, ce vendredi, aurait été important, « il faut mettre de l’ordre dans les textes pour savoir où on en est de la réduction verticale des inégalités avec la métropole ». Pas seulement à partir du Plan Mayotte de 2018 sur lequel le préfet est attaqué, mais sur la multitude de documents cadre, en remontant jusqu’à la loi programme de 1986 donnant une large place au développement de Mayotte.

Pour régler ce différentiel vertical d’écart de droits entre Mayotte et Paris, un échéancier ferme devra être suivi, et raccourci dans le temps. Les deux diagnostics livrés sur les incomplets code du Travail, par Marjorie Paquet, Commissaire à la vie des entreprises, et code de la Sécurité sociale, par Ymane Alihamidi Chanfi, directrice de la CSSM, en préambule des concertations, avaient signé un bon état des lieux des manquements de l’Etat à Mayotte dans ces domaines. Ils ont été réitérés plus en détail ce vendredi à la mairie de Koungou lors du dernier Forum institutionnel. Avec une mise en musique « sans concession », par le préfet.

En matière de rattrapage du SMIC, « le législateur n’a pas rédigé de calendrier », répétait Marjorie Paquet. Il faut donc s’y mettre.

De nombreuses interventions mettaient en évidence les freins au développement induits par l’exclusion d’une partie des habitants

5 à 20 euros de retraite

Sur la Sécurité sociale, le tableau est affligeant. « Le rattrapage du plafond est prévu en 2036 par 5,31% d’augmentation annuelle. Ce plafond à 50% de la métropole impacte sur l’assurance maladie et sur l’assurance retraite. Quelqu’un qui cotise toute sa vie percevra un maximum de 700 euros de pension, contre 1.400 euros en métropole. Je suis contrite de dire que ça nous arrive de verser des retraites de 5 ou 20 euros mensuels », rapporte Ymane Alihamidi Chanfi. Pour ne rien arranger, l’incendie criminel des archives en 1993 dans le cadre d’une grève générale, empêche toute reconstitution de carrière avant cette date…

Rappelons qu’en matière de convergence des droits, l’article 1 de la loi de 1986 indiquait la marche à suivre en précisant que le volume de prestations sociales devait être aligné sur la métropole sous 5 ans. Pour la directrice de la CSSM, le sujet central est « l’acceptabilité et la capacité à évoluer sur les prestations. Il n’y aura égalité que lorsque le code de Sécurité sociale s’appliquera en entier ». Si l’assistanat n’est pas souhaité, une montée en puissance est indispensable, « Nous ne versons que 7 prestations à Mayotte contre 30 dans les autres départements ».

Un sujet central car les retraites de misère versées n’incitent pas les anciens à libérer les postes, embolisant le marché de l’emploi.

L’exercice efficacement orchestré par le préfet, amenait le public composé d’institutionnels et de responsables d’associations de quartier ou territoriales, à s’exprimer chacun sur son secteur. De nouvelles propositions qui font émerger une tendance : la défense de l’intégration des étrangers en situation régulière qui restent dans un entre-deux car ne bénéficiant pas de tous les droits. « Les titres de séjour temporaires bloquent les gens dans la précarité, ils ne peuvent pas intégrer les aides au logement et les structures d’accompagnement sont inexistantes », souligne un cadre de la mairie de Koungou. Des cartes de séjour d’un an, « alors que les personnes sont depuis 15 ans sur le territoire, ça ne peut pas fonctionner. Il faut leur permettre d’intégrer un parcours résidentiel vers le logement locatif social », relevait un autre intervenant, membre d’une intercommunalité. Alors que Sidi Ahamada Hamidou, Chargé de mission contrat de ville à Mamoudzou, appelait à viser aussi la cohésion sociale en matière d’intégration, « il n’y a pas que la répression ».

Une fracture sociale encore plus qu’économique

Le thème avait fait salle comble à la mairie de Koungou

Un ensemble d’arguments que rassemblait l’attaché parlementaire de la député Ramlati Ali : « Les titres de séjour d’un an de personnes qui vivent depuis longtemps sur le territoire doivent permettre comme en métropole, d’accéder à l’ensemble des droits. Sans quoi, cela les maintient dans un cercle vicieux de misère, malmène l’ensemble du projet d’insertion et constitue un frein au développement ».

Le préfet en donnait sa traduction de « titres de séjour au mérite », qu’il faut alors conditionner à un accès aux droits.

Le déroulé de l’échange suivait le fil de l’intervention de Mohamed Moindjié qui après avoir évoqué la verticalité du rattrapage des droits sur Paris, soulignait son horizontalité dans une société « de plus en plus fracturée » : « Les inégalités sociales sont de plus en plus marquées entre une minorité riche et une majorité pauvre. Je ne parle pas d’un RSA à la moitié de la métropole, car c’est déjà beaucoup 200 euros pour certains, mais de mamans qui ne savent pas lire, qui ne sont jamais allées à l’école. Il faut utiliser le RSA pour les capter et faire passer des messages ». Jean-François Colombet y voyait l’opportunité de créer de vrais cycles d’école des parents, « et non pas les petites expériences de-ci de-là. »

Le représentant de l’Etat notait que « en 15 ans Mayotte a plus changé qu’en deux siècles. Tous les repères ont changé, il faut aider Mayotte à se réadapter ». Les populations qui la composent attendent de leurs dirigeants, locaux et nationaux, que le travail couché sur le papier soit mené… une nouvelle attente de 35 ans la condamnerait à des soubresauts sociaux dévastateurs.

Anne Perzo-Lafond

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