La prise en charge majeure de la jeunesse en difficulté est l’action sociale du conseil départemental, mais qui doit encore passer la démultipliée. Elle est alertée sur la plupart des cas par le rectorat, dont nous avions rapporté la difficulté à faire remonter les informations sur des cas de souffrances potentielles. Le rectorat qui possède son propre service d’action sociale, mais dont ce n’est pas le cœur de métier.
Parmi les autres dispositifs, existe le Programme de réussite éducative (PRE). Créé en 2005, il propose une prise en charge individualisée à partir de 2 ans et jusqu’à 16 ans, d’enfants en « fragilité » repérés la plupart du temps en milieu scolaire sur la base de plusieurs critères : état de santé, développement psychique et psychologique, contexte familial, facteurs socio-économiques et environnementaux, etc. Il s’étend ainsi de l’école maternelle au collège, voire au-delà dans certains cas. Le dispositif repose sur l’idée d’une approche globale des difficultés rencontrées par les enfants ainsi qu’une double volonté de placer la famille au centre de l’action et amener les différents acteurs du champ éducatif à coopérer.
La mairie de Mamoudzou avait mis en place ce programme en 2007 à M’gombani, puis avait connu un passage à vide avant d’être réactivé il y a quelques années. Aujourd’hui le PRE est étendu à d’autres quartiers en couvrant finalement toute la commune : au Nord, Kawéni, au centre, M’gombani, Kavani, M’tsapere et Doujani et au Sud, Tsoundzou 1 et 2, Passamainty, et Vahibé.
Ce jeudi, lors de l’installation par la Caisse des écoles (établissement public présidé par le maire intervenant sur tous les enfants du 1er et du 2d degré) du Conseil Consultatif de Réussite Éducative (CCRE), un état des lieux des prises en charge et des besoins était fait.
86% des parents sont sans profession
C’est majoritairement à l’école que se fait le repérage des enfants en difficultés, par les enseignants ou les assistantes sociales, puis par les associations de quartier et les parents. Les enfants sont alors orientés vers les référents de parcours de la Réussite éducative, « il y en a 7 sur la commune, qui peuvent se déplacer sur tous les établissements scolaires », explique Anita Chanfi, une des 3 Coordonnatrices du PRE. L’accompagnement est mis en place sur 3 des 5 programmes prévus, pour cibler l’urgence de chaque enfant. « Il peut être vu pour des problèmes de décrochages scolaire, puis, en creusant, on s’aperçoit qu’il a des problèmes familiaux, ou des problèmes de santé, notamment de vue. Un enfant qui a besoin de lunettes va peu à peu perdre pied avec le contenu scolaire. »
Cinq problématiques sont ciblées pour tenter de couvrir le champ des besoins de l’enfant : l’accès aux soins, le soutien à la parentalité, le décrochage scolaire, l’accès aux loisirs et à la culture, et la maitrise de la citoyenneté. Une fois les priorités définies, les parents sont contactés et doivent approuver par une signature. L’accompagnement sur 3 de ces 5 domaines est mis en place hors du temps scolaire.
Les données sur le profil des jeunes en difficulté ne réservent quasiment pas de surprises. « A 86%, les parents sont sans profession, ils sont 14% à en avoir une », par contre la typologie des familles semblent évoluer. Les statistiques des coordinatrices montrent que, en 2019, 57% des familles concernées sont monoparentales, 18% recomposées, 12% traditionnelle (avec deux parents), et qu’à 14% les jeunes ont un référent parental, alors qu’en 2020, la proportion de famille traditionnelle s’accroit à 37%, contre 45% de familles monoparentales, toujours majoritaire, et seulement 5% d’enfant ayant un référent. Il faut toutefois tenir compte de la difficulté de toucher toutes les familles en 2020 lors du confinement. Les signalements portent majoritairement sur des collégiens, ensuite viennent les primaires et les maternelles.
« Chez nous, ils pensent qu’ils auront à manger direct ! »
Les activités d’aide à la parentalité font désormais le plein : « Trente parents en plus des 15 ados viennent à l’action sociale à la parentalité sur Mamoudzou Sud ». Ce qui rejoignait les propos du rectorat qui mentionnait dans son rapport des parents très volontaires pour être accompagnés.
En juillet seront mises en place l’insertion et la persévérance scolaires, « cela permet d’encadrer les jeunes exclus temporairement d’un établissement et qui trainent. »
En 2020, la crise Covid et son confinement draconien ont considérablement ralenti la prise en charge, « cela a chamboulé le développement des actions et les entretiens avec les familles », rapporte Ahamadi Daroussi, directeur de la Caisse des Ecoles. Mais ce n’est pas le seul frein. Car le nerf de la guerre, c’est le financement explique-t-il, « les moyens de la Réussite éducative sont limités face aux difficultés énormes sur Mamoudzou ». Un des référents cite en exemple ce jeune de 6 ans qu’il est allé chercher chez lui, « sur les hauteurs de Kawéni. Rien que de faire l’aller-retour, j’étais crevé, et lui, il fait ça tous les jours le ventre vide. Dès qu’ils vont chez nous, ils pensent qu’ils auront à manger direct ! Ils sont sales, dénutris, et leurs parents sont en situation irrégulière. Nous n’avons pas les moyens de répondre à tous ça. »
Pour Ahamadi Daroussi, il faut diversifier les ressources. Les principaux financeurs du PRE sont l’Etat, par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, la sécurité sociale, l’éducation nationale, les communes, et le conseil départemental et l’ARS sur la mise en place de moyens humains. En 2020, le budget était de 366.045 euros, et en 2021, la somme ne devrait pas être réévaluée, selon Anita Chanfi. Ils sont environ 290 jeunes à être suivis chaque année, ce qui est largement en deçà des besoins.
Le directeur de la Caisse des Ecoles préconise donc de se doter de Chèques d’Accompagnement Personnalisés, « cela permettrait de répondre aux besoins de ces familles. » A sécuriser, répondent ses interlocuteurs.
Deux remarques utiles lors des échanges et qui collent à la réalité de Mayotte. La première de la directrice du GIP Ouvoimoja qui soulignait les difficultés ici, « le temps entre le dépistage d’un enfant et son accompagnement est de trois semaines en métropole, contre 3 mois ici en raison des difficulté de contact, notamment de la famille ». La seconde exprimée par Colette Cabort, Inspectrice de Mamoudzou Nord, qui saluait « la continuité entre les discours et les actions de la PRE de Mamoudzou », et appelait à investir davantage le champ de la petite enfance, « plus on prend l’enfant jeune, plus on aide la famille quand c’est moins compliqué. » Une conclusion à laquelle était arrivé le service social du rectorat, qui soulignait une insuffisance de repérage en maternelle et en primaire.
Anne Perzo-Lafond