Zena Airlines, la compagnie mahoraise, entre symbole et réalité

En sollicitant Julien et Régis Novou en 2018 pour trouver un moyen d’attirer une autre compagnie aérienne offrant une alternative durable à Air Austral, le conseil départemental ne savait pas encore que le chemin mènerait les deux frères à la création ex nihilo d’une compagnie. Si le projet n’est pas encore abouti, plusieurs étapes ont déjà été franchies.

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Régis et Julien Novou en visio avec le cabinet Airbus Consulting

Après avoir échafaudé de nombreux business plans, et avoir cherché quel meilleur positionnement pour une compagnie locale, les deux frères issus de l’aérien pour avoir travaillé chez Mayotte Air Service, en sont arrivés à quelques certitudes, ancrées notamment dans une étude du cabinet Airbus Consulting. Qui était présentée à la presse en viso par ses représentants ce jeudi.

Elle établit les éléments principaux de la desserte de Mayotte et les enjeux auxquels il faut répondre.

Si l’on compare le nombre de voyages par habitant des DOM au PIB (Produit Intérieur Brut, richesse produite) par habitant, le taux de déplacement est de 0,75 à Mayotte, « sous la moyenne des autres départements et territoires d’outre-mer qui ont une propension à voyager en moyenne deux fois plus élevée, 1,55 », rapporte les représentants d’Airbus Consulting. A prendre avec précaution cependant car si les Guadeloupéens sont largement au dessus de la moyenne en terme de voyages, les Martiniquais et les Réunionnais ne sont pas si éloignés que ça, malgré un PIB beaucoup plus important que Mayotte. Le faible taux de déplacement à Mayotte s’explique par une « desserte contrainte », selon les auteurs de l’étude.

Or, les principales destinations des mahorais sont la métropole et La Réunion, « nous avons besoin de voir nos familles sur ces deux territoires, mais également de nous soigner, nous allons donc nous focaliser sur ces dessertes », reprennent les frères Novou, avec le constat que sur 200.000 passagers en 2019 au départ de Mayotte, 78% utilisaient le direct, et donc 22% la correspondance à La Réunion, « alors qu’ils vont principalement en métropole. » En raison d’une desserte directe « non satisfaisante », selon eux. Ce qui pêche, c’est le manque de souplesse, « c’est difficile pour un habitant de l’Hexagone de se dire, dans deux jours, je vais à Mayotte pour assurer le suivi de mes sociétés. Soit il n’y a pas de place, soit les prix des billets sont chers, soit le vol est annulé. En nombre de sièges offerts par an, Dzaoudzi est bonne dernière de toutes les destinations, et en prix des billets, première toutes catégories avec Noumea. Les prix à Mayotte sont de 40% plus élevés de ce qu’ils devraient être. »

La propension à voyager en fonction de la richesse du territoire (Airbus Consulting)

Pas d’insécurité dans le lagon

La desserte Dzaoudzi-Marseille sera particulièrement privilégiée. « Nous visons un 2ème aéroport à La Réunion,  Pierrefonds, à Saint-Pierre, pour proposer une solution aux mahorais du Sud de l’île. » Madagascar pourrait être desservie la 2ème année de création de la compagnie.

L’étude montre que sur la durée, la desserte vers la métropole s’améliore, « mais en dent de scie », en fonction de la présence aléatoire de la compagnie Corsair dans le ciel régional. « Comment voulez-vous que des investisseurs arrivent avec si peu de visibilité dans l’aérien ?! », s’exclame Régis Novou.

Preuve à l’appui – s’il en fallait – que l’arrivée d’une nouvelle compagnie fait du bien aux portes monnaies et aux envies de voyage, la Polynésie : « Jusqu’en 2018, c’était une des destinations les plus chères, mais avec l’arrivée de French Bee, les prix ont chuté de 41%, et la fréquentation touristique est montée de 6 à 20% d’un coup. »

Reste à savoir si la proportion de touristes, « qui occupent un siège sur deux » dans les autres DOM, sera la même in fine à Mayotte à la réputation plus chaotique que ses sœurs ultramarines. « Nous pouvons capter la clientèle des clubs de plongée réunionnais, de plus en plus intéressés par notre lagon. Aucun risque sécuritaire, il y a un potentiel énorme. » L’occasion de dénoncer le parti-pris du label Iles Vanille, « de très gros freins ont été mis par nos voisins. On ne peut pas lutter face aux packages qu’ils proposent. Par contre, nous pourrions proposer un duo Mayotte-Madagascar. »

L’implantation d’une compagnie locale, c’est que du bonheur pour l’emploi. « Nous avons prévu 100 recrutements directs, qui se solderont par 700 emplois indirects, grâce aux impacts dans l’hôtellerie restauration, des boutiques, etc. » D’autre part, le développement de l’île devrait être quintuplé à en croire l’étude, « quand une compagnie ouvre une ligne on assiste à un boom économique les 5 premières années pour la zone géographique qu’elle dessert. »

« Trois avions pour le prix d’un ! »

Du carré des demi-finalistes, deux sortiront du lot

Des chiffres réjouissants, mais qui peuvent fluctuer en fonction des priorités de la clientèle. On a vu qu’à son arrivée, Corsair avait fait baisser les prix, mais que beaucoup de passagers continuaient à privilégier Air Austral. Notamment en raison de la ligne directe, ce que ne proposait pas Corsair. « Nous avons deux réponses à cela. La ligne directe également, avec possiblement une escale technique, et un programme de fidélité du client », répond Julien Novou. D’autre part, la future compagnie mise sur le fret aérien, « alors qu’il est moyenne à 310 tonnes pour 10.000 habitants en France en 2019, il est 2,8 fois moindre à Mayotte. C’est notamment parce qu’une partie du fret qui nous est destiné passe par La Réunion. On peut donc le récupérer. 10% des revenus de la compagnie peuvent provenir du fret aérien. »

Pour parler chiffon, leurs cœurs balancent entre Airbus et Boeing. Les appareils choisis dans le dernier carré sont l’Airbus A330 NEO, au rayon d’action de 15.000km, de 406 sièges, « pour une liaison directe vers Paris, il faudra soit retirer des sièges pour l’alléger, soit rajouter une escale technique depuis Mayotte », ou le B787-800, avec un rayon d’action un peu inférieur et une capacité de 248 passagers. Pour les dessertes régionales, le B737 Max9/10 d’un rayon d’action de 5.700km et d’une capacité de 188-230 passagers ou le A321 NEO LR, de 180-240 passagers.

La crise Covid les a incité à basculer d’un choix d’avion tout frais sorti des chantiers à de l’existant, « les prix ont tellement chuté, qu’on peut acheter trois avions désormais au lieu de un ! »

Chris Kordjee appelait les mahorais à soutenir le projet

Malgré la défection du conseil départemental, qui n’a pas les reins aussi solide que la région Réunion pour se payer une compagnie, mais qui n’a pas concrétisé de soutien, le projet avance, rapporte Régis Novou, « nous avons validé les droits de trafic du réseau, et nous sommes en train de rédiger les manuels réglementaires et de valider le process de sécurité. » Les statuts sont en cours de dépôt, « il va falloir demander les certifications ».

Le budget global est de 25 millions d’euros, « nous avons sorti 1,4 million d’euros pour la campagne de certification, la caution de garantie pour les appareils est de 11,6 millions d’euros, et les réserves règlementaires de garantie d’exploitation se montent à 12 millions d’euros. C’est à dire que trois mois d’exploitation sont mis en réserve pour honorer les contrats en cas de difficultés financières. » Les deux frères veulent se détacher des pratiques habituelles, « nous ne rajouteront pas de taxe carburant, elle est déjà intégrée dans les prix des billets ».

La société anonyme a déjà accueilli des partenaires locaux, et le premier vol est annoncé pour le 1er trimestre 2022. « Nous devons vous accompagner, cette compagnie, c’est un symbole pour les mahorais », concluait Cris Kordjee, présidente de l’AUTAM (Association des Usagers des Transports Aériens de Mayotte).

Anne Perzo-Lafond

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