Avez-vous suivi votre scolarité à Mayotte ? Quel est votre parcours ?
Sanya Youssouf : Je suis née en 1961 à M’tsapere, où ma mère était au foyer, et sans père jusqu’à mes 8 ans avant qu’elle se remarie. Ancien militaire, il nous a inculqué une éducation digne de l’armée, c’était ‘sitôt dit, sitôt fait’ ! Nous étions 9 frères et sœurs à la maison. Toute ma scolarité, je l’ai faite ici jusqu’en Première, car il n’y avait alors pas de Terminale à Mayotte. Ayant été scolarisée tardivement à 9 ans, comme la plupart des enfants mahorais à cette époque, j’ai eu le Bac en 1984, à 23 ans. Je me suis mariée, puis, j’ai suivi des études de droits à l’Université de Bordeaux, où j’ai décroché une licence de Droit privé. Je voulais alors être conseillère juridique, mais pile au moment où cette profession a fusionné avec les avocats, une carrière que je ne voulais pas embrasser. J’ai donc fait une maitrise de droit public. Je me souviendrai toujours du professeur Agostini qui nous avait dit en 1ère année, vous êtes 1000 sur les bancs, vous ne serez plus que 150 en maitrise ! »
Qu’est ce qui vous amène à créer le cabinet Mahorais de Conseil ?
Sanya Youssouf : En rentrant à Mayotte, j’intègre la Direction de l’Equipement, maintenant la DEAL, où j’évolue comme chargée d’urbanisme où je mets en place le POS, puis je bascule vers la SIM pendant 10 ans, où en ma qualité de Responsable du département Gestion du patrimoine locatif, j’avais 3.000 locataires à gérer et 45 personnes sous ma responsabilité. Sur la fin, et en désaccord avec mon nouveau supérieur, je négocie un départ et décide de me lancer dans ce qui me semble être un vide à Mayotte à l’époque : le besoin en structuration des petites entreprises artisanales et de commerce. J’ai accompagné Mayotte maçonnerie et des artisans en plomberie, qui se sont développé ensuite. C’est comme ça qu’est né en 2001, le cabinet Mahorais de Conseil.
Quels ont été vos axes de développement, de professionnalisation ?
Sanya Youssouf : Nous avons répondu aux appels à projets de l’Etat. Il y a eu le dispositif NACRE, qui portait sur l’accompagnement à la création ou la reprise d’entreprises. En travaillant notamment avec la Dieccte, nous avons évolué de l’accompagnement des entreprises existantes qui avaient besoin de formaliser leur activité, à celui des porteurs de projets. Nous avons intégré successivement les autres dispositifs mis en place, ACCRE, PIJ, et surtout, à partir de l’arrivée des fonds Européens en 2016, nous avons décortiqué les rouages compliqués de leur accès pour une centaine de petits porteurs de projets qui n’avaient souvent pas songé à prendre un comptable. En tout, depuis 2009, nous avons accompagné environ 500 entreprises. J’ai d’ailleurs été décorée des mains de l’actuel préfet Jean-François Colombet, de la médaille de Chevalier de l’Ordre national du mérite en 2019.
Un développement qui nous a permis de recruter, puisque nous sommes 3 à 5 salariés en fonction des besoins, et mon fils, diplômé de master management entrepreneurial à l’EDC Paris Business school, est venu me rejoindre. »
Qu’est ce qui incite un jeune diplômé à revenir sur son île, Soumaïla Naïre ?
Soumaïla Naïre : Je travaillais pour l’association Positive Planet de Jacques Attali, et j’ai pesé les opportunités qui s’offraient à moi en métropole par rapport à Mayotte. Je savais de toute manière que je reviendrai travailler au cabinet de ma mère, je le faisais à distance. A mon retour en 2019, je mets en place des méthodes innovantes, et modernise les outils, notamment avec une stratégie digitale et la création du site du cabinet. Et nous évoluons vers l’accompagnement de clients privés en raison du caractère aléatoire du public. On peut être retenu pour un marché une année, et pas l’année suivante. Les financements publics modifient les stratégies d’entreprises, surtout avec l’arrivée des fonds européens qui les a complexifiées.
Avec PRODIAT, l’employé est formé dans l’entreprise
Le cabinet est scindé en deux branches d’activité désormais ?
Soumaïla Naïre : « Trois même ! Car nous proposons aussi un espace de coworking, dans nos locaux de Convalescence depuis 3 mois, pour offrir un espace paisible aux porteurs de projets et aux étudiants, avec le wifi, des ordinateurs, des imprimantes, un scanner, etc. Ma sœur qui est architecte pour le cabinet TECHNE de Lyon est sur place pour les guider.
Mais nous développons effectivement deux axes principaux, l’accompagnement à la création d’entreprises* donc, essentiellement privées, qui nous rétrocèdent environ 5% sur les commissions. Nous commençons par faciliter les immatriculations juridiques qui mettraient 6 mois sinon, puis, nous les aidons à monter un business plan, nous les orientons vers nos partenaires comptables par exemple tout en donnant des pistes de financement par les dispositifs en cours. Nous avons créé un réseau, avec le greffe, la CCI, les prescripteurs, les financeurs, etc.
L’autre partie, c’est la formation, gérée par Jean-Pierre Rigante*, Directeur de projets en formation du cabinet, pour laquelle nous avons signé une convention avec le cabinet AKTO sur les contrats de professionnalisation pour l’emploi immédiat, PRODIAT. L’employeur forme l’employé chez lui, à sa manière, avec ses outils, et reçoit une compensation de 9,15 euros par heure.
Où en êtes vous Sanya Youssouf de vos actions en faveur de l’entrepreneuriat au féminin ?
Sanya Youssouf : L’entrepreneuriat au féminin est un des objectifs des Programmes des fonds européens. 40% des créations sont le fait des femmes.
Le quartier Convalescence s’est-il apaisé depuis votre agression en 2015?
Sanya Youssouf : « Nous avons réunis les gens du quartier pour que chacun s’épaule, et j’ai réuni le maximum de jeunes pour les occuper. C’est mieux maintenant »
A 60 ans, quels sont vos projets d’avenir ?
Sanya Youssouf (avec un grand sourire) : Je ne suis pas pressée d’arrêter, c’est dans la tête tout ça. Surtout pas alors que mon fils vient de moderniser la structure. Nous avons su surmonter la crise sanitaire en profitant de cette période pour accompagner beaucoup de porteurs de projets. Et c’est dans les périodes de crise que l’on se crée des opportunités.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
* Soumaïla Naïre, consultant, 0639 67 28 39 et Jean-Pierre Rigante, 0639 69 73 26