On s’en souvient, le marché des transports scolaires a été un chemin de croix pour le conseil départemental, confronté à de nombreux acteurs locaux, chacun désireux d’avoir le monopole de sa zone, là où la plupart des métropoles françaises font appel à un unique délégataire de service public pour tout leur réseau.
A ce jour, 7 lots sont attribués, 6 zones géographiques sont partagées entre 4 acteurs ou groupements d’acteurs locaux pour l’exploitation (le transport), et le 7e lot, la gestion, a été isolé des autres pour permettre une vision globale du trafic à l’échelle du département. Ce dernier a été attribué à un géant français du transport en commun, Transdev, qui a notamment possédé les compagnies Eurolines et Isilines et gère des réseaux de bus dans plusieurs métropoles en France et à l’étranger. Toutefois « Transdev a fait le choix pour les DOMTOM de ne pas venir sur l’exploitation. Depuis plus de 30 ans on a fait le choix de venir en appui et non en concurrence aux acteurs locaux » indique Frédéric Delouye, le directeur de la filiale locale Transdev Mayotte Service, créée pour répondre à l’appel d’offre du Département.
Cette nouvelle organisation des transports, avec 4 groupements et ce gestionnaire, accompagne une série de changements dans le transport des élèves de l’île, afin de répondre à plusieurs défis. Elèves récupérés et déposés trop tôt devant leurs établissements, attentes dans des hubs qui génèrent des violences, ou encore les caillassages, une plaie récurrente à l’origine du mouvement social d’ampleur de 2018.
Premier changement cette année, « plus de véhicules », avec quelque 25 cars supplémentaires, note Frédéric Delouye. « On a été obligés de mettre davantage de véhicules en raison des conditions de circulation ». En effet avec les bouchons, les rotations de bus sont compliquées, et les temps de trajet explosent. « Auparavant on faisait jusqu’à 4 courses entre Passamaïnty et Vahibé et aujourd’hui c’est péniblement 2, avec des temps de parcours rallongés. Ce qui demande plus de moyens » illustre le responsable. Une situation qui avec l’augmentation du nombre d’élèves va nécessiter d’être inventif. « Avec les services du Département et de l’Etat nous allons commencer à prospecter des solutions pour raccourcir ces déplacements, ça ne peut passer que par des aménagements routiers ou des modes de transport différents, comme du maritime ou le vélo ! Mais pas question de faire du vélo dans les conditions de circulation actuelles, il faudrait des voies réservées. Et si elles sont ouvertes à tout le monde ça réduirait peut être le nombre de voitures et les embouteillages actuels ! D’autant qu’on a la chance d’avoir en moyenne des déplacements relativement courts sur des routes relativement plates malgré quelques côtes » imagine le directeur, précisant qu’il s’agit seulement de pistes de réflexion.
Plus de 30 000 élèves sur le réseau
Outre le nombre de bus qui augmente, l’autre grand changement de cette rentrée, c’est la disparition progressive des « hubs », « ces points de correspondance où les élèves étaient en transit en attente d’un autre véhicule. On a supprimé les hubs de Dzoumogné et Chirongui, et Kahani a fortement baissé sans être supprimé complètement, ce qui permet d’emmener les élèves de leur domicile jusqu’à leur établissement, c’est un point positif dans l’organisation de cette rentrée scolaire » salue Frédéric Delouye.
A ce stade, « on mesure un peu plus l’organisation qui doit se mettre en place pour assurer un niveau de qualité tout à fait satisfaisant » note encore le directeur de Transdev Service Mayotte, qui pointe un problème de taille. « On attend plus de 30 000 élèves chaque matin et chaque soir, et plus de la moitié ne sont pas encore inscrits » déplore-t-il. « De ce fait on n’a pas le possibilité de construire l’offre avec les élèves inscrits pour savoir où ils habitent et où ils vont. On fait donc une offre prévisionnelle qui n’est pas toujours la réalité, et on ne peut pas affecter les meilleurs itinéraires possibles. On est en train de caler l’offre, mais ça va demander 2 à 3 semaines le temps que tous les élèves puissent s’inscrire. La logique voudrait que les élèves soient inscrits dès la fin d’année scolaire et fassent l’acquisition de leur coupon d’abonnement dès le début des congés, pour avoir tous un titre de transport dès la rentrée. C’est un objectif qu’on s’est fixé pour l’année prochaine » poursuit-il.
De ce fait, à ce stade, « les horaires ne sont pas encore figés, et les élèves sont obligés d’anticiper, c’est compliqué. Les élèves doivent se rapprocher des établissements pour être inscrits le plus rapidement possible. Il y a le site Internet HALO.yt sur lequel nous communiquons toutes les informations utiles. L’année prochaine on va mettre une inscription en ligne pour ceux qui le souhaitent » informe aussi le responsable.
Des caméras dans tous les bus
Parmi les autres défis de la société, difficile de ne pas penser aux contraintes sécuritaires, que ce soit à l’extérieur des bus (caillassages notamment) ou à l’intérieur.
« Nous ne sommes pas en charge de la sécurité sur le réseau HALO, mais on va tenter de contribuer aux conditions de sécurité » pointe le directeur qui rappelle que si la sécurisation n’est « pas notre compétence, on est tous concernés, la sécurité c’est l’affaire de chacun de nous à tout moment ». Pour Transdev, cela passera par « la formation des agents », notamment en termes de « réactions », « d’attitude devant les élèves », « d’uniforme » et « d’organisation ». « Mais quand la situation devient compliquée on fait bien sur appel aux forces de l’ordre » rappelle-t-il aussi.
Le tout dans le cadre d’un travail partenarial « de nos équipes avec les forces de l’ordre » mais aussi « avec toutes les forces vives » que sont notamment les médiateurs associatifs ou de la préfecture. Sur le plan technique, à terme « l’ensemble de la flotte sera équipé de caméras, 2 ou 3 selon le type de véhicules pour en sécuriser au moins l’intérieur. Pour les caillassages il y a quelques idées mais rien n’est fait, comme une caméra sur le poste de conduite ou les flancs pour voir ce qui se passe autour en roulant et peut être dissuader les gens qui jettent des galets. Les transporteurs ont commencé à équiper leurs véhicules de films anti-caillassage. C’est une problématique qu’on prend à bras le corps ».
Dans le même temps, Transdev travaille à l’organisation du réseau avec un système d’information en temps réel, qui passe par « une supervision de l’ensemble des véhicules avec un SAE, un système d’aide à l’exploitation. Ainsi si un véhicule n’assure pas son service on le fait tout de suite, nos régulateurs ont une vision et peuvent s’assurer du bon déroulé des circuits. C’est un système de géolocalisation dédié aux systèmes de transport » détaille Frédéric Delouye. Un système qui permettra dès la rentrée prochaine de voir fleurir à chaque arrêt des QR Codes permettant avec son mobile de savoir où se trouve le bus qu’on attend, et dans combien de temps il arrive. En attendant, il doit faciliter et accélérer l’intervention des médiateurs voire des forces de l’ordre en cas de pépin.
« Le résultat d’un long travail bien anticipé » selon le conseil Départemental
Cette nouvelle organisation donne au marché des transports scolaires une stabilité juridique qu’elle n’avait pas avant, et le Conseil départemental s’en félicite dans un communiqué transmis ce mardi soir. « Depuis plusieurs années déjà, les dates de rentrée scolaire donnaient à Mayotte presque systématiquement lieu à des mouvements de grève de transports, pénalisant les élèves et leurs enseignants. Conscient des enjeux juridiques – indispensables – mais aussi de mobilité des élèves, comme de sécurité, le Conseil départemental œuvre, depuis de longs mois, à sécuriser la rentrée scolaire 2021, avec l’engagement partagé qu’elle puisse se dérouler dans de bonnes conditions, pour les élèves, les enseignants mais aussi les prestataires de transport ».
A l’issue de ce premier jour, le Département « se félicite que cette rentrée 2021 se déroule sans véritables couacs, et remercie les transporteurs de s’être organisés en conséquence ». Toutefois le président du CD, Ben Issa Ousseni, se refuse à « tout triomphalisme ». « Beaucoup reste à faire notamment sur les questions de sécurité, qui sont majeures » estime-t-il. « Mais on peut au moins souligner que les procédures mises en place donnent, à quelques détails près, satisfaction aux acteurs concernés et surtout marchent. C’est une bonne nouvelle » conclut-il.
Y.D.