Les parlementaires prêts à mettre la pression après le départ des ministres

Nous avons interrogé nos parlementaires qui vont devoir veiller au respect des engagements pris sur le projet de loi Mayotte. Mansour Kamardine propose déjà un calendrier. De son côté, Thani Mohamed Soilihi réagit au durcissement du droit du sol par G. Darmanin, que lui-même avait déjà bien entaillé.

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Mansour Kamardine (3ème en partant de la gauche) au milieu d'élus départementaux et communaux accueillant les ministres à Hajangua

Les deux ministres ont joué sur du velours pour leur visite puisque 3 parlementaires sont des marcheurs, et si le 4ème, Mansour Kamardine, est LR, c’est un ancien frère d’armes de Gérald Darmanin et de Sébastien Lecornu qui ont quitté ce parti pour rejoindre LREM. Pour autant, si les annonces ont été nombreuses, et bien accueillies, les parlementaires dans leur ensemble ne sont pas dupes d’un déplacement tardif. Mansour Kamardine propose déjà de fixer des échéances. Les députés ont en effet un calendrier serré, avec des législatives (juin 2022) quasiment en simultanée des présidentielles (avril 2022).

Le député Mansour Kamardine, juge plutôt favorablement le déplacement, en notant « des avancées notables », pour reprendre « plusieurs propositions issues des assises de la sécurité » et ses propres attentes de « mise à niveau du plan Shikandra », mais attend que le gouvernement aille plus loin. Surtout, il propose un calendrier pour plusieurs mesures.

Il se félicite des annonces de Gérald Darmanin en matière de lutte contre l’immigration clandestine, mais soumet d’autres mesures : « L’obligation de dépôt et d’instruction des demandes d’asile dans les postes consulaires français situés dans les pays de transit », quand actuellement la loi oblige de les déposer dans le pays d’accueil, et idem pour les titres de séjour des primo demandeurs, mais aussi, « doter Mayotte d’une véritable base navale hauturière et d’un patrouilleur Outremer de nouvelle génération »,  « créer une unité de surveillance par drone et en positionnant les moyens de maîtrise des frontières maritimes au nord du territoire » et « Construire un centre de réinsertion sociale d’un nouveau type, pour jeunes délinquants désocialisés, en sus du développement du RSMA et d’un centre éducatif fermé. »

Accord sur le calendrier des droits sociaux « avant le 1er trimestre 2022 »

En ce qui concerne l’égalité sociale, si le traitement de l’alignement des retraites et de certains droits sociaux se feront par ordonnance, ce qu’il avait demandé, le député souhaite que la convergence soit « achevée en 2026 et non 2031 comme annoncé », que l’Etat convoque la conférence sociale de négociation entre les partenaires sociaux pour l’avancée des droits en octobre prochain, « et fixe sa clôture, au plus tard, en décembre 2021 avec obligation de résultat ». Et en cas d’absence d’accord entre syndicats du patronat et des salariés, que « l’Etat s’engage à fixer lui-même dès le 1er trimestre 2022, par voie d’ordonnance, les modalités et le calendrier d’alignement social de Mayotte sur le droit commun ».
Sur les autres points, « l’accord de principe pour une évolution de la gouvernance du port, l’évolution du centre universitaire et de formation de Mayotte, l’engagement ferme sur la construction de la piste longue de l’aéroport ‘Marcel HENRY’ », il demande de les compléter au sein de la loi programme, par un volet  » préservation de l’environnement » et un volet « développement et rayonnement culturel régional ».

Sébastien Lecornu avec Aminat Hariti, suppléante du sénateur Thani et la députée Ramlati Ali

Une étude d’impact avant de durcir la loi du sol

Il n’était pas présent lors de la visite des deux membres d’un gouvernement qu’il soutient politiquement, Thani Mohamed Soilihi s’en explique : « J’étais à Mayotte le mois qui précédait, j’ai donc pu préparer cette visite dont j’ai craint un instant qu’elle soit reportée de nouveau. » Et sur le bilan, « c’était une bonne visite qui a pu rassurer les mahorais, et au moment du décès du sénateur Marcel Henry, ce qui leur a permis de lui rendre hommage. Il faut veiller à ce que les annonces soient rapidement concrétisées. »

Nous l’avons plus particulièrement interrogé sur la mesure annoncée par Gérald Darmanin qui creuse un peu plus la brèche qu’il avait ouverte en 2018, puisque l’octroi ultérieur de la nationalité française à un nouveau-né est désormais soumise à la présence régulière à Mayotte d’un de ses parents 3 mois avant sa naissance. Le ministre de l’Intérieur porte cette durée à un an dans le projet de loi Mayotte, durcissant un peu plus le droit du sol. « C’est toujours une bonne chose de s’attaquer à l’immigration clandestine qui gangrène Mayotte, mais ce fut compliqué d’obtenir cette disposition spécifique. Cela mériterait donc de mener une étude d’impact de celle qui est en vigueur. Surtout que lorsque j’avais défendu la mesure devant le conseil d’Etat, frileux sur cette adaptation, mes interlocuteurs avaient insisté sur la campagne de dissuasion à mener auprès des candidates comoriennes à l’accouchement. En effet, ce n’est pas une mesure directe de lutte contre l’immigration clandestine, mais une mesure dissuasive qui combat aussi les reconnaissances de paternité de complaisance. Si ces dernières continuent, on pourra toujours augmenter le délai de présence à 2 ou 3 ans, cela ne changera rien. C’est après que l’on peut durcir la mesure. » Pour rappel, 45% des 10.000 nouveau-nés chaque année à Mayotte ont deux parents étrangers, selon l’INSEE, « si on ajoute environ 5% de reconnaissance de paternité de complaisance, on touche la moitié des naissances par cette mesure. »

« Trouver une alternative aux mesures pénales »

Gérald Darmanin, Shikandra,Sébastien Lecornu, Mayotte
Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu après une opération de LIC en mer

Son confrère du Sénat, Hassane Abdallah, rappelle que cette visite était attendue, « on peut dire que les mahorais ont été patients ! Mais je salue la durée de la visite des deux ministres, plus longue qu’espérée. » Il se dit globalement « dans la même optique que les ministres ». En matière de lutte contre l’immigration clandestine, il cite un proverbe mahorais, « une maladie arrive facilement mais met du temps à partir », il faut donc un travail en profondeur. Et sur l’insécurité, « punir les jeunes c’est bien, mais on voit que les mesures pénales, ça ne marche pas, il faut leur redonner des perspectives ». Et c’est l’ex-enseignant en lycée professionnel qui parle, « sur une classe, environ 70% n’avaient pas ou peu été scolarisés. Ils étaient vraiment perdus, il faut trouver des réponses à ça. » L’annonce d’un million d’euros vers les associations va dans ce sens.

Sur le travail à venir, il incite à un travail pas seulement entre parlementaires, « nous avons pris l’habitude de le faire avec les présidents du conseil départemental et de l’association des maires. Avant de proposer de rapprocher l’échéance de convergence des droits sociaux, il faut travailler sur l’évolution à mettre en place ».

« Une coopération gagnant-gagnant avec les Comores »

Elle n’est pas parlementaire, mais « marcheuse » l’ancienne maire de Chirongui qui a suivi de prés les ministres. Roukia Lahadji est notamment à la tête d’une association d’insertion des jeunes. « Je me réjouis de l’enveloppe de 10 millions d’euros débloquée pour la jeunesse. Même si une grande partie part au RSMA, tous les jeunes ne pourront pas y aller, nous devrons donc prendre en charge les autres. » Sur le volet sécuritaire, elle se réjouit des mesures, « il fallait renforcer les forces de l’ordre et les équiper », mais veut élargir le sujet, « il faut en parallèle mener une coopération gagnant-gagnant avec les Comores, dans la confiance et le respect mutuel. Il y a des interlocuteurs pour cela, on ne peut s’en exonérer. Cela permet de mettre en place une coopération co-construite et co-portée. C’est l’avenir. »

Le volet de la responsabilité des parents de très jeunes enfants délinquants qui a été abordé par les ministres, date « des enfants du juge » : « Les mahorais n’avaient pas cette culture de la justice, ils corrigeaient leurs enfants comme autrefois en métropole. Il faut responsabiliser les parents en les invitant à s’intéresser à l’enfant, et à s’accaparer d’une manière d’éduquer qui n’était pas la nôtre. Tout est allé très vite. Sur ce sujet, nous avons besoin des cadis, et ils sont remis à l’honneur dans le projet de loi Mayotte. » Troisième point, l’ancienne élue se réjouit du nouveau nom de l’aéroport, « Marcel Henry », qui a été demandé au ministre par Ramlati Ali.

Anne Perzo-Lafond

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