Dans 3 semaines, on ne verra plus sa silhouette débonnaire arpenter les rues de Kavani où il a son atelier : après 28 ans, Marcel Séjour va transporter sa palette sous d’autres cieux plus sombres, mais plus familiers, puisqu’il rejoint sa Vendée, en Anjou plus exactement. « Sa Vendée » est un bien grand possessif, lui qui a passé plus de temps sur ces ailleurs qui l’ont inspiré. L’Australie, où il est resté 15 ans, et Mayotte, qui en a fait son peintre fétiche au long de ses 28 ans de séjour ici. Il faut dire que peu ont embrassé cet art ici.
Marcel, c’est aussi une plume. Il a collaboré à différents médias, Malango actualité, Upanga, pour ne citer qu’eux, avant de réunir ses écrits et ses tableaux dans un gros ouvrage, « Liberté, égalité, magnegne ».
Le peintre du quotidien et de l’ordinaire, des étals du marché, de ces ruelles serpentant entre les cases en tôle, des enfants s’adonnant à la course de pneu, a rajouté à son pinceau la qualité de portraitiste, à la demande du conseil départemental, nous explique-t-il : « Les élus m’ont commandé 26 tableaux, qui seront disposés dans les bureaux de l’institution, et notamment, des portraits des présidents successifs ». S’affichent haut en couleur, Saïd Omar Oili, Ahamed Attoumani Douchina, Daniel Zaïdani, Soibahadine Ibrahim Ramadani, le plus ancien d’entre eux, Younoussa Bamana, déployant à l’entrée de l’expo son portrait légendaire habituellement accroché au-dessus des têtes des élus, comme un veilleur de votes. Ils trôneront sans doute dans le nouvel hémicycle, actuellement en travaux.
« J’ai envie d’avoir envie »
Mais avant de les soustraire à la vue du Grand public, Mohamed El Kabir, le directeur de l’Office culturel départemental, a voulu les exposer au grand jour, du 13 au 25 septembre, sur le parking du cinéma Alpa Joe.
Le Musée de Mayotte, MuMa, a lui aussi commandé une fresque historique, « j’ai choisi le Serment de Sada* », nous glisse l’artiste. A sa manière : « J’ai représenté les personnalités présentes, dont Younoussa Bamana, Adrien Giraud, Boueni M’titi, Zaïna Meresse, Zena Mdere, mais aussi les gens de mon village qui les côtoient. » Histoire de lier leur destin à celui du peuple sans doute.
Le peintre de 73 ans ne quitte pas Mayotte le cœur lourd, « j’ai envie d’avoir envie ». Pas seulement une pulsion d’artiste, le Mayotte d’il y a 30 ans n’est plus. « Pendant mon séjour, elle a évolué, et je séparerais trois périodes : de 1993 à 2000, quand nous dormions portes et fenêtres ouvertes, de 2000 à 2011, la départementalisation en construction, et depuis ça part en quenouille, on n’est pas loin de la catastrophe. »
Marcel Séjour rejoint l’actuel préfet, « il dit qu’il faut faire bosser les délinquants. Il a raison. Sur 100 délinquants, si 90 ont du boulot, ça va calmer l’ensemble. Seulement du boulot, il n’y en a pas ». A ses côtés, Djaanffar Djaauffar, un jeune de 22 ans qui s’est mis à la peinture, « je dessinais sur un coin de feuille, et Marcel m’a formé, notamment à la peinture au fusain. Mes paysages fétiches ce sont ceux de coco ou de baobabs ».
Une exposition est déjà en gestation en métropole, « pour 2025 », où Mayotte tiendra une place centrale, « et j’exposerai à la Maison de Mayotte à Paris ».
En quête de fraternité, sans doute oubliera-t-il le magnegne, pour ne garder que le meilleur…
L’exposition ouvre ses portes de 9h à 17h jusqu’au 25 septembre.
Anne Perzo-Lafond
* Les leaders du mouvement pro Mayotte française s’étaient réunis en 1967 à Sada pour prêter serment sur le Coran de ne jamais arrêter le combat avant d’obtenir la séparation de Mayotte des autres îles des Comores