Après la pluie vient le beau temps. Si l’expression illustrait parfaitement le ciel de Kawéni hier matin, il n’est pas certain qu’elle puisse convenir à l’avenir de Fatima*. La jeune femme, vêtue d’un foulard, d’un chemisier blanc et d’une robe rouge à pois blancs, faisait face à Gilbert*, son mari et père de ses trois enfants, qui arborait une grosse sacoche en bandoulière sur son t-shirt orange. L’ex-couple se montre de prime abord très réservé sur les bancs de la salle d’audience quasiment vide, au point d’oublier de signaler leur présence à la cour, qui finissait pourtant de rappeler les faits.
La victime consignait les violences dans son journal intime
Et ces derniers, en plus d’être inquiétants, sont nombreux. A l’automne 2018, Gilbert violente Fatima et recommencera plusieurs fois, notamment au printemps 2020, à Dembéni. « Le ton est monté à plusieurs reprises, et il m’a dit des choses blessantes, comme à son habitude », déclare la jeune femme, qui se présente à la barre sans avocat. Elle jette ensuite un petit banc à terre, énervant son mari, qui l’attrape au cou pour l’étrangler, « très fort et très longtemps ». Pour qu’il la lâche, elle lui griffe le bras. Gilbert réplique par un coup de pied dans la jambe, ce qui la fait tomber. À terre, l’homme continue de la frapper. Elle crie alors pour appeler à l’aide leurs voisins, un couple métropolitain entendu durant l’enquête et décrivant l’homme comme un « tyran l’empêchant de partir avec les enfants ».
Les faits les plus importants et les plus récents surviennent ensuite en février 2021. Entretemps, Fatima écrit tous les sévices dont elle est victime dans son journal intime, qu’elles soient physiques ou psychologiques, son mari étant « manipulateur » et amateur d’insultes vexantes. « Il lui faisait beaucoup de reproches, notamment sur le fait qu’elle était grosse, témoignent encore les voisins du couple. Il devient très méchant lors de ses crises, j’ai même failli me prendre des coups. » Dépité sur le banc des accusés, Gilbert tentera de se défendre en se reposant sur une maladie l’affaiblissant, ou affirmant encore que c’est Fatouma qui « se cognait elle-même contre les murs ». La jeune femme restera stoïque à ces allégations, déclarant avoir attendu de porter plainte pour protéger ses enfants : « Je voulais souffrir en silence, résister, pour obtenir leur garde ».
« Dans l’intimité, Monsieur se transforme en démon »
C’est en l’espace d’une semaine que Fatima se décidera finalement à agir. Le 1er février 2021, à Bouéni, Gilbert frappe l’un de ses enfants. Volonté de « se faire respecter » pour la mère ou accident pour le père, le résultat est le même, une lésion sur la cuisse de l’enfant de trois ans, qui déclarera aux forces de l’ordre : « C’est Papa qui m’a tapé ». Une semaine plus tard, le dernier épisode de l’escalade de violence intervient. Séparée de son mari et ne voulant pas le voir, Fatouma est en télétravail. Gérard arrive, énervé de cette interdiction, et hurle qu’il veut voir ses enfants. La jeune femme se précipite à l’étage pour les protéger, mais l’homme la suit et la rattrape.
Il la pousse sur un lit et lui presse un gros coussin sur le visage, qu’il frappe à plusieurs reprises. En lui assenant ces coups de poing, il lui crie qu’elle ne sera plus jamais enceinte de quelqu’un d’autre, qu’elle ne rencontrera personne d’autre. Il lui enroule ensuite un drap autour du cou pour l’étrangler de ses mains, pour ne laisser aucune trace, bien que des lésions aient été observées par les experts. « Je suis restée allongée plusieurs minutes sans pouvoir bouger, ni ouvrir la bouche », témoigne la victime de cet homme à la « personnalité névrotique assez banale, faiblement structurée », selon son expertise psychiatrique.
A la barre, le prévenu donne en effet l’impression d’être violent, frappant par mégarde l’interprète malgache en faisant de grands gestes avec ses bras pour expliquer les faits. Le procureur ne sera d’ailleurs pas insensible à cette brutalité. « Nous avons là un prévenu aux deux visages, prévient-il. Et, dans l’intimité, Monsieur se transforme en démon. Mais l’époque du pater familias qui régnait avec terreur et violence est finie ». Mais même après ces mots, et la volonté d’appliquer une « peine forte » au prévenu, ce dernier n’écopera que de 12 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis probatoire, et d’une interdiction d’entrer en relation avec la victime. Il appartiendra désormais au juge des affaires familiales de statuer sur une éventuelle sanction par rapport aux violences sur les enfants du couple.
Axel Nodinot