Cyrille Hanappe : « En fait de destruction de bidonvilles, c’est une multiplication de bidonvilles qui s’opère»

Alors que ce lundi a marqué le début d’une vaste opération de destruction d’habitats informels dans le quartier Carobolé de Koungou, Cyrille Hanappe - architecte, urbaniste et fin connaisseur des bidonvilles - livre sa vision sur cette politique qu’il décrit comme inédite au monde. À défaut de solutions de relogement pérennes, ces opérations ne font que multiplier les maux qu’elles disent combattre, considère-t-il.

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"Tout le monde et la préfecture en premier lieu sait très bien que lorsqu’un bidonville comme celui de Carobolé est détruit sans solution de relogement pérenne pour ses habitants, cela revient automatiquement à en créer d’autres ailleurs, dans des conditions encore plus dégradées et exposant leurs habitants à de grands risques", déplore l'architecte.

Le Journal de Mayotte : La politique de destruction des bidonvilles telle qu’opérée sur le territoire est présentée comme incontournable. Qu’en dit le spécialiste que vous êtes ?

Cyrille Hanappe : Il faut d’abord rappeler une chose : la France est à ma connaissance le seul État au monde à procéder à de telles politiques. La Banque Mondiale ou encore UN Habitat [Programme des Nations unies pour les établissements humains, ndlr] ont des doctrines, des textes, des standards excluant systématiquement l’idée d’expulser des personnes de leurs logements sans leur proposer de solution de relogement pérenne. La dernière grande campagne de destruction de bidonvilles à laquelle on peut se référer date de 2005 et a eu lieu au Maroc. À cette époque Mohamed V avait décidé d’une éradication des bidonvilles, en revanche, il avait en face un vrai plan de relogement. Ce qui n’est ici pas le cas.

En Amérique latine, continent connu pour ses bidonvilles, les différents pays se conforment à la doctrine internationale établie notamment par UN Habitat et ses trois volets : le rééquipement des quartiers, la légalisation des quartiers ou encore le remembrement des quartiers. Pourquoi la Banque mondiale ou UN Habitat établissent des standards et des cadres d’actions excluant l’expulsion sans relogement ? Tout simplement parce que l’on sait très bien que ça va à l’encontre du développement, ça ne fait que générer pauvreté, insécurité, et atteintes à l’environnement.

Les exemples existent par centaines, et l’un des plus éloquents est celui de Medellin en Colombie. En équipant le pire quartier de la ville, notamment d’un téléphérique, celui-ci est devenu au fil des années le Montmartre de la Colombie alors que 15 ans auparavant les balles y fusaient.

J’ai l’impression aujourd’hui que le préfet est le meilleur ami des bidonvilles. Et des pires bidonvilles possible. Tout le monde et la préfecture en premier lieu sait très bien que lorsqu’un bidonville comme celui de Carobolé est détruit sans solution de relogement pérenne pour ses habitants, cela revient automatiquement à en créer d’autres ailleurs, dans des conditions encore plus dégradées et exposant leurs habitants à de grands risques. On voit par exemple dans les quartiers où nous intervenons se multiplier les maisons perchées sur des poteaux en bois de 6 mètres au-dessus des ravines… C’est de la folie !

Par ailleurs, forcément, générer de la précarité à de telles échelles, c’est aussi générer de l’insécurité.

Le J.D.M : D’autres méthodes sont donc possible, même sur le territoire ?

C. H. : Bien sûr, et heureusement certains pouvoirs locaux sur le territoire réfléchissent autrement, avec des politiques plus intéressantes. Sur certains sites, on propose véritablement des solutions de relogement pérenne par exemple. Sur d’autres, on est sur du remembrement pur et dur, c’est à dire réfléchir à son intégration à la ville.

D’autres sont sur un mélange de remembrement, de rééquipement et de légalisation, les solutions existent et s’inventent. Rappelons par ailleurs que ce sont des choses connues à Mayotte : quasiment tout le bas de Kawéni qui est aujourd’hui un vrai quartier était auparavant un bidonville. Mais parce que l’on a mis les politiques en place, on a su en faire de la ville.

Aujourd’hui, dans certains quartiers, on commence par la gestion des risques, la

Les constructions se font de plus en plus dangereuses pour les habitants.

sécurisation des bâtis et des habitants qui sont le prélude à l’amélioration des logements. Ce sont des choses qui se font partout ailleurs et c’est par exemple la manière dont on s’est sorti des bidonvilles en Guadeloupe ou en Martinique. La Butte Trénelle, à Fort de France qui est devenu un quartier très prisé en est le meilleur exemple.

En revanche, là, il n’y a rien, on ne fait que générer un no man’s land. On nous annonce une hypothétique opération de logement, mais je n’ai pas vu un plan d’urbanisme sur ce site. À moins que la préfecture ait missionné en secret des urbanistes talentueux, rien n’a été fait. On génère une friche urbaine tout en poussant les population à créer des bidonvilles encore pire. Rappelons si besoin que cela a forcément un impact des plus délétère sur l’environnement avec la déforestation, la pollution des ravines, l’imperméabilisation des sols etc. générées par ces installations.

Concernant la Guyane, nous travaillons actuellement sur le sujet. Nous devons d’ailleurs aller à Maripassoula dans les prochaines semaines pour se pencher de plus près sur la question. Mais ce que l’on peut déjà dire, c’est que la préfecture a décidé de mettre un terme à sa politique de destruction, précisément parce qu’elle en a vu les limites.

Le J.D.M : La préfecture associe également ces opérations à la thématique de la lutte contre l’immigration clandestine…

C. H. : Mais évidement qu’il faut trouver une réponse à la question migratoire, mais ce n’est pas en cassant les maisons ! Car s’il y a effectivement une part de personnes en situation irrégulière dans ces quartiers, elles sont déjà parties et installées ailleurs bien avant la démolition. Et si c’était une des motivations de la préfecture, à quel prix pour en l’occurence interpeller 20 personnes ? Combien de personnes qui perdent leur emploi ? Combien d’enfants déscolarisés ? Combien de familles plongées dans une misère encore plus profonde ?

Le J.D.M : Si des solutions alternatives existent, quid de l’absence de titres de propriétés ?

C. H. : Mais même là-dessus des tas de solutions existent ! Je pense par exemple aux baux réels solidaires par lesquels on déconnecte la propriété des murs de la propriété du foncier.

Par ailleurs, les autres solutions ne supposent pas que l’on ne détruise pas les bidonvilles actuels. À condition que des dispositifs soient mis en place. À ce titre, il y a aussi des choses à saluer. Le décret sur l’accès au logement très social qui est paru la semaine dernière est un dispositif très intéressant, très productif. Autre solution qui est en train de se dessiner : les différents appels à projets relatifs au logement à bas coût qui vont, avec ces politiques de logement très social permettre des avancées majeures.

Que l’on soit clair, je ne préconise absolument pas le statu quo des bidonvilles, ce n’est pas

Les initiatives comme Étape Fulera, le village relais de Toundzou 2 sont à être multipliées estime Cyrille Hanappe… Mais en amont des destructions.

le sujet, en revanche je suis convaincu qu’il faut les traiter comme des quartiers, trouver des solutions par le haut plutôt que de préférer la politique de la table rase. Tout le monde sait que cela ne marche pas depuis les années 60 en métropole, au niveau mondial on sait qu’il ne faut procéder de la sorte depuis 20 ans et pourtant, à Mayotte, on persiste. Cela révèle à mon sens une méconnaissance profonde du territoire.

L’éradication des bidonvilles, on est tous d’accord mais en réalité avec la politique actuelle on est sur une politique de multiplication des bidonvilles.

Le J.D.M : Un argument souvent avancé est aussi celui de l’approbation par la population de cette politique…

C. H. : On sait qu’il y a une certaine forme de soutien populaire là-dessus mais regardons les choses objectivement : la situation n’a fait qu’empirer ces dernières années. Est-ce que l’on persiste sur les mêmes politiques ou on essaie de changer ?

Par ailleurs, il ne faudrait pas imaginer deux sociétés distinctes. Quand on va dans ces quartiers, on rencontre la personne qui vous a servi au restaurant, celle qui a fait le ménage, le mécanicien… Ce sont de facto des personnes qui sont dans la société mais qui trouvent dans ces quartiers la moins mauvaise solution pour eux-mêmes. Dans tous les quartiers où nous opérons, nous rencontrons des habitants en lien profond avec la société. Mais quand on connaît les prix de l’immobilier dans le secteur formel face au taux de chômage ou au niveau des allocations, on voit bien que ce qui est qualifié comme un problème est juste la moins mauvaise solution pour une partie de la population. La question est donc de passer du moins pire au plus adapté. Et cela demande du travail, un travail patient, dans la continuité et l’intelligence et pas que de la communication.

Très régulièrement on se rend aussi compte qu’une part non négligeable des habitations sont en réalité des « investissements » immobiliers opérés par des personnes vivant dans des quartiers adjacents. Il y a là une certaine forme de cynisme.

Propos recueillis par Grégoire Mérot

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