Ce week-end, on ne tapait pas sur de bambous mais sur des tôles à Koungou. Prévenus très à l’avance cette fois de l’arrêté d’expulsion de cette zone coincée entre la mairie de Mamoudzou et la nationale, de nombreux habitants ont tenté de récupérer leurs biens pour les installer ailleurs. Cela comprenait les poutres en bois et les tôles abritant les familles ainsi que le maximum de meubles. Conséquence, ce lundi matin, avant même que les tractopelles n’entament leur travail de sape, c’est un champ de ruines qui s’étale en lieu et place des habitations insalubres, on jurerait qu’un cyclone est passé par là.
Même constat que lors de la démolition de Jamaïque, les cases ont refleuri plus loin dès samedi, gagnant les hauteurs, sur des zones à risque environnemental. Et malgré un début de réponse de la mairie qui a mis en place des médiateurs fonciers. Sur la longueur de la route, les agents de la SOGEA et de EDM s’affairent pour couper l’eau et l’électricité, sur l’ensemble de la zone de 350 cases, sur un terrain appartenant pour partie au conseil départemental, pour partie à la commune de Koungou.
Face aux premiers coups de buttoir des engins de la Colas, Saindou Ibrahim, « mais mon blaze c’est Toba ! », voit partir son gagne-pain : « C’est mon restau et ma boite de nuit qui va être détruite là, malgré les recours que j’ai lancé. Je l’avais créée en 2012 pour gagner ma vie, mais aussi, pour employer les meneurs de bandes de la commune, j’en avais 7 qui travaillaient pour moi, notamment sur la sécurité, et 2 qui faisaient les DJ. Ça avait apaisé les violences entre jeunes de Koungou et de Majikavo. » Le lieu qui faisait à la fois snack-bar et boite, était fréquenté par tous, du simple citoyen au plus haut représentant de la commune.
La démolition des bidonvilles, il n’est pas contre, « c’est un bon projet, qui va donner une meilleure image de la commune, mais ce que je voudrais, c’est qu’on m’alloue un local dans le nouveau quartier pour réimplanter le même principe d’un snack discothèque. » Toba a une licence 4, et a suivi une formation d’hygiène en restauration, « organisée par la patron du camion blanc », et à la Chambre des Métiers. « Je ne veux pas m’implanter ailleurs qu’ici, c’est le développement de ma commune qui m’intéresse ».
Poursuites judiciaires contre les menaces
Son établissement était situé sur un terrain du CD, « j’ai fait une demande, que j’ai doublé d’un recours déposé avec notre avocat métropolitain ». Ils sont une vingtaine, soit propriétaires de maisons, soit d’entreprises, à s’être regroupé pour une action en justice. Ils espèrent tous que le recours portera ses fruits pour interrompre le rythme des pelleteuses. La mairie nous confirme qu’un accord verbal a été donné à Toba pour relocaliser son activité, « tous ceux qui étaient là ont vocation à y revenir sous réserve de leur dossier, notamment dans les logements à venir », déclare Alain Manteau, le DGS de la mairie.
Vers 9h, le préfet Thierry Suquet rejoint son sous-préfet à la Cohésion sociale, Jérôme Millet. Il revient sur l’organisation de cette opération, qu’il mène dans le cadre de la loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), applicable sur ce chapitre de l’habitat sans droit ni titre, à Mayotte et en Guyane. On a de toute évidence tiré des leçons de la destruction de la zone voisine de Jamaïque. Pour preuve, sur cette 1ère journée, quasiment aucune grenade n’était tirée par la gendarmerie, là où en mars, les rues ressemblaient à celles de Beyrouth. « Nous l’avons préparé en amont, avec une forte intervention des services sociaux d’un côté, et une vingtaine d’interceptions d’Etrangers en situation irrégulière. Nous avons aussi procédé à 4 interpellations suite à des jets de pierres et à des menaces contre des agents de EDM », nous rapporte un Thierry Suquet, noyé dans la fumée.
L’ambiance s’est toutefois dégradée en soirée de ce lundi, avec des incendies allumés un peu partout par les jeunes, notamment le local de la Police municipale de Koungou.
Nous avons également appris que l’adjoint au maire de Koungou en charge de la sécurité avait été menacé, « j’ai fait un signalement au procureur », rapporte le représentant de l’Etat. S’il a déjà mené à Lyon des opérations de destruction de bidonvilles « habités par des personnes déboutées du droit d’asile », c’est la 1ère de cette envergure pour le préfet.
« Lutter contre l’habitat insalubre, c’est aussi lutter contre la délinquance »
La plupart des habitants sont donc en situation régulière et doivent être relogés, comme la famille de Milda que nous avons interrogée. « Nous savons que c’est problématique à chaque fois, mais ça ne doit pas être un argument avancé pour ne rien faire », poursuit Thierry Suquet.
Illustration de la complexité morale de ce genre d’opération, au cœur de la zone en cours de déconstruction, sont foulés au pied un cahier d’écolier portant sur la continuité pédagogique, et juste à côté, un rat mort. Ce quartier avait fait l’objet de nombreux programmes et en 2014, les médias avaient arpenté avec le préfet Morsy des ruelles aux odeurs pestilentielles, témoignant de l’insalubrité du lieu. Le DGS de la mairie Alain Manteau explique ces retards : « A l’époque, il n’y avait pas la loi Elan. Donc la volonté des promoteurs de logements sociaux se heurtait à la difficulté de remettre le site à niveau. »
Une fois vierge, ce sont 550 logements qui seront reconstruits, rapporte Thierry Suquet, « du logement social et très social », et même de l’accession à la propriété. Il replace le quartier dans le contexte compliqué de Koungou : « Tous les jours nous avons des actes de délinquance ici, donc lutter contre l’habitat insalubre, c’est aussi lutter contre la délinquance. L’Etat ne reculera pas. » L’exemple du quartier de M’gombani à Mamoudzou lui donne raison, où personne n’osait s’aventurer il y a 15 ans, et qui s’affiche comme une réussite d’un mix social, de boutiques raffinées côtoyant des logements ordinaires de particuliers. A Koungou, ce n’est pas pour tout de suite puisque les premiers logements sortiront au 1er semestre 2022, il faut donc assurer le lendemain des familles délogées.
« La question de la capacité de logements ne se pose plus »
Ils seraient environ 800 selon les autorités à être chassés du site, mais sans doute beaucoup plus sur les 350 cases si on compte une moyenne basse de 4 personnes par logement. Une vingtaine ont été éloignées, il reste donc une opération casse-tête de relogement pour les associations comme l’ACFAV, la Croix Rouge, Mlezi, et le CCAS de Koungou. C’est la DEETS (Direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) qui est chargée de coordonner les acteurs. « Ce week-end, nous avons pu reloger 282 personnes dans des logements temporaires, et 25 supplémentaires sont venues ce matin au Centre communal d’action sociale, que nous avons pu satisfaire, et d’autres vont encore arriver, rapporte la directrice de la DEETS Nafissata Mouhoudhoire, certains refusent le logement que l’on propose, et plusieurs reviennent même sur leur accord. C’est impossible de les obliger. »
En question, la carte scolaire. Difficile de déscolariser son enfant tout court, et sans certitude qu’il soit inscrit ailleurs. « C’est notre priorité, nous voulons éviter à tout prix la déscolarisation. Nous étudions donc au cas par cas les transports scolaires empruntés et les écoles fréquentées. Il faut limiter la casse, nous travaillons pour cela avec le rectorat et nous mettons en place un accompagnement social ». Une mineure s’est présentée, seule, « et elle est enceinte, nous l’avons orientée vers l’ASE du conseil départemental ».
Quant au nombre de relogement, ce n’est pas un problème pour la directrice, « entre les villages relais et les accords que nous avons avec la SIM, la question de la capacité de logements ne se pose plus. Onze familles ont pu être relogées sur une capacité de 42 logements SIM, et d’autres commissions d’attribution de logements vont se tenir en octobre. » Quant à ceux qui ont pris leur baluchon pour construire plus loin, le préfet ne s’avoue pas vaincu, « peu à peu, toutes les zones insalubres ont vocation à laisser la place à des logements neufs ».
Sur le site, les pelleteuses continuent leur va et vient, dans un environnement faussement calme, puisque des débris de barrages jonchent le bitume, et que, présents massivement, les gendarmes ont enlevé un tronc d’arbre enflammé balancé au milieu de la route au moment de l’arrivée du préfet.
Anne Perzo-Lafond
* L’écriture correcte serait Karobole, le « c » n’existant pas en shimaore