Entre deux tractopelles, et dans la fumée de l’action, le préfet avait annoncé aux médias sur le site de Carobole, une opération « préparée en amont », avec une « forte intervention des services sociaux ». Au Centre communal d’action sociale nous avions en effet été témoins de l’accueil et de la prise en charge des familles en demande. Un agent de la mairie souligne qu’un recrutement a été opéré par le service du NPRU (Rénovation urbaine) pour mener une enquête sociale sur chaque ménage en préalable au délogement, du jamais vu à Mayotte. Ce qui incitait le préfet à évoquer « une opération exceptionnelle quant au nombre de personnes à reloger. » Nous avions titré « La fin de tranches de vie qui en ouvre d’autres », nous sommes déjà dans l’après.
Mais pour les délogés, le sujet, c’est l’actualité. Ce vendredi, un échantillon d’entre eux était convié à venir signer une convention de relogement à la mairie de Koungou, comme nous l’explique Mélanie Guilbaud, Chargée de l’Aménagement foncier à la mairie : « Les 250 familles qui ont accepté notre accompagnement sont concernées, mais on ne pouvait convier tout le monde. Sur ce total, 110 ont la nationalité française, les autres ont un titre de séjour ». Des familles présentes qui n’ont pas été triées sur le volet, en témoigne une mère de famille qui s’agite dans l’auditoire, à qui le micro est tendu : « On n’était pas très bien logés c’est vrai, mais nous aimions nos maisons. Là, nous sommes bien accueillis où nous sommes, mais tout le monde n’a pas cette chance. Il y en a qui n’ont pas de logement encore. »
Les témoignages que nous avons recueillis montrent des situations contrastées. « Moi je suis né à Carobole, nous explique Sedou, de nationalité française, à côté de sa femme et de ses 3 enfants. On nous a relogés à Mtsanganboua, dans la commune de Bandraboua, le logement est bien, mais ça fait loin et ma femme est seule quand je suis au travail à Longoni. » De logement, une jeune femme de 21 ans qui souhaite rester anonyme, n’en a pas encore, « j’ai fini mes études de BTS AES, il faut que je vois ce que je vais faire, mais le logement que nous avions accepté est trop petit pour nous 5, avec mes parents et mes frères. » Une autre famille est tout aussi déboussolée, « nous sommes à Carobole depuis 1986. On nous loge au village relais de Tsoundzou, c’est vraiment bien, mais il faut organiser le ramassage en bus pour amener notre grand de 7 ans dans son école. »
Les muscles et l’humanité
C’est Rashka, une habitante de Carobole qui, au micro, va leur donner les démarches à suivre en shimaore : « Le logement de stabilisation qui nous est proposé, c’est pour 3 mois renouvelables, le temps de traiter les dossiers par l’ACFAV. Tout le monde ne l’avait pas encore déposé au CCAS et à la CAF, car beaucoup ne savait pas qu’ils avaient droit aux APL. C’est important que personne ne reste sans solutions, car sinon, les enfants peuvent vite basculer dans la délinquance », expliquait-elle tant aux familles qu’aux autorités. » A la prochaine commission de la SIM les dossiers seront étudiés. « Le rectorat s’est engagé à les scolariser là où ils seront envoyés. »
On sait que les logements de stabilisation peuvent être amenés à être renouvelés plusieurs fois, en fonction de la rapidité d’exécution du chantier à venir, c’est ce qui s’était passé au RHI du Talus où certains étaient restés un an et demi.
Contrairement à ce qui a pu être annoncé par certains, « dont un architecte-urbaniste que nous avions sollicité pour qu’il travaille avec nous », nous glisse un acteur du dossier, il y a bien un projet immobilier à Carobole. Il est vrai que, comme le souligne l’observateur de la vie publique et ancien élu Issihaka Abdillah que nous avons interrogé sur les violences à Koungou, « on a montré les muscles, c’est ce qu’il fallait, mais on aurait du en même temps montrer l’humanité du projet, en mettant en évidence l’enquête sociale, sur le relogement, et l’envergure des nouveaux habitats. »
« Un bidonville, ce n’est pas un endroit normal pour vivre »
Mélanie Guilbaud revient sur leur état d’avancement du projet : « Les études sont terminées, nous sommes dans la phase de recrutement du futur aménageur, les travaux commenceront l’année prochaine. » Les signatures des conventions vont permettre d’évaluer les besoins et la capacité du site à les accueillir tous.
Le préfet revenait sur les violences : « Elles nous ont presque fait oublier l’envergure de cette opération. C’est vrai que ça fait mal au cœur de quitter son logement, mais il vous faut des logements décents, il faut se projeter sur l’après. Sur cette période intermédiaire, nous avons cherché la solution la plus humaine possible, avec les problèmes de scolarisation que nous tentons d’organiser. Un bidonville, ce n’est pas un endroit normal pour vivre, et c’est inacceptable que certains s’opposent à ça en semant la terreur. L’Etat est là pour vous protéger vous et vos familles, notamment les gendarmes dont nombre d’entre eux ont été blessés lors de ces violences. » Tous n’ont pas répondu favorablement aux propositions de relogement, « ils risquent de passer à côté des candidatures aux logements qui y seront construits. »
Le nouveau quartier de 500 logements va naître, « semblable à ceux qu’on peut voir en métropole, tous les types de logements seront proposés à Carobole, rapporte encore Mélanie Guilbaud, en fonction de la taille de la famille et des capacités à accéder soit à la propriété de logements sociaux et très sociaux, soit à la location. Un parc et des aménagements publics sont prévus. »
Un homme arrive soucieux, son problème c’est les présidentielles et les législatives, « où je vais voter ? » C’est son bureau de vote actuel qui accueillera son bulletin, s’il peut donner une adresse sur la commune, sinon, ce sera dans son village d’adoption.
C’est un chantier social inédit qui a donc été mis en place pour cette opération de démolition d’habitat insalubre. La réussite totale sera de reloger désormais avant de déloger.
Les réponses à toutes les questions, notamment celles sur le relogement, seront données à la mairie annexe de Koungou, à Majikavo Dubaï où une permanence est mise en place.
Anne Perzo-Lafond