Le projet de rénovation urbaine du quartier de Kawéni si complexe soit-il, a eu le mérite de poser le problème de la projection de ce quartier disparate. Peu de lieux rassemblent à la fois le monde économique et une jeunesse en nombre, et pour beaucoup désœuvrée.
Parler d’ailleurs d’un même espace serait une erreur, et c’est d’ailleurs ce qui complexifie l’affaire. Car comment créer une interaction entre les deux quand les sièges des entreprises sont installés au sein de la zone Nel pour la plupart, alors que les habitations s’étalent essentiellement entre les rondpoints SFR et Mega. Y entrer était encore il y a peu, une aventure que peu osaient tenter, « parmi mes salariés, certains n’y ont jamais mis les pieds », indiquait un chef d’entreprise.
Recréer du lien, dresser des ponts, c’est l’objectif de Boostin’ Kawéni, une opération sur 4 jours, proposée par la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Mayotte et la mairie de Mamoudzou : « C’est en travaillant sur l’ANRU que les deux structures se sont rendus compte de l’absence de rencontres-projet entre le monde économique, les jeunes, et les associations », rapporte Alexandre Kesteloot, Directeur du Pôle entreprise à la CCI.
Deux mondes qui se regardent souvent en chien de faïence, en témoignent les échanges qui se tenaient ce lundi matin à la CCI : « Quand on arrive le matin, on passe devant des groupes de jeunes, assis, qui ne font rien. Ça n’incite pas mes clients à venir chercher leur marchandise, je dois la leur livrer », explique un jeune chef d’entreprise, qui travaille à son domicile au cœur de Kawéni village. « Ça nous fait mal cette image de délinquant, c’était avant. Les chefs d’entreprise ne doivent pas être contre nous mais doivent nous rencontrer », explique « Gildas », un des jeunes venus défendre l’image de son quartier.
« Aucun habitant de Kawéni n’a de problème »
L’image du CV jeté à la poubelle dès lors que le demandeur d’emploi est domicilié à Kawéni, est tenace, « mais aussi, votre attitude n’incite pas à penser que vous avez envie de travailler. J’appelle les associations qui vous accompagnent à faire le lien, car toutes les entreprises du bâtiment du quartier ont des besoin en secrétariat », répond le même entrepreneur.
Beaucoup de jeunes ne possèdent pas de savoir de base, et ne trouvent pas de formation, même parmi ceux qui n’ont pas de papiers. « Nous avons le projet de créer un journal pour évoquer ce qui se passe de positif à Kawéni », explique le représentant de l’association Wenka culture.
L’image d’un quartier insécurisé colle à la peau de Kawéni, et ce n’est pas ce lycéen de Petite Terre qui dira le contraire : il s’y est fait voler sa montre l’avant-veille. Pourtant, le jeune entrepreneur du quartier témoigne : « Aucun habitant de Kawéni n’a de problème de cambriolage ou autre. »
Depuis quelques semaines, un vent de changement souffle, « beaucoup grâce aux gilets jaunes qui ont sécurisé Kawéni », relève un participant. Ces hommes et femmes issus des quartiers, en situation régulière ou non, pratiquent de la surveillance de proximité, parfois trop intrusive, mais qui fonctionne : « Il faut trouver une manière de pérenniser ce concept original », est une des premières décisions prises.
Un quartier méconnu de ses propres habitants
Le milieu économique pourrait être sollicité en tant que grand bénéficiaire de ce calme revenu, comme il peut participer aux micro-crèches pour leurs salariés, ou à d’autres services aux entreprises. Dans le même ordre d’idée, Carla Baltus, présidente du Medef, ainsi que Feyçoil Mouhoussoune, gérant de ETIC Services, se sont déclarés partant pour financer des projets environnementaux portés par l’association Wenka Culture. « Les besoins sont tellement énormes que nous avons 6 salariés, mais pas assez d’accompagnement sur nos projets », se plaignait son représentant. Qui organise des activités multiples au sein du quartier, « mais elles sont méconnues ».
Ils étaient d’ailleurs plusieurs, chef d’entreprise ou jeunes à n’avoir jamais mis les pieds à la Maison du projet*, siège du programme de rénovation du quartier, mais aussi, site de rencontre de tous les habitants. Preuve que la communication passe mal, c’est au cours de cette rencontre matinale, que l’auto-entrepreneur de Kawéni apprenait qu’il pouvait bénéficier d’un espace de coworking au sein de Wenka culture.
Un plus jeune prend la parole : déscolarisé, il se plaint de n’être pas accompagné, d’être isolé dans son parcours. Il a malgré tout fait la démarche de venir en parler.
S’il est difficile de mélanger les deux mondes, c’est en raison de leur style de vie, analyse Feyçoil Mouhoussoune : « Nous ne fréquentons pas les mêmes milieux, mais des activités peuvent nous rapprocher, comme le sport, par exemple. Un footing ensemble, ou une partie de basket peut être l’occasion de lier connaissance. »
Ils étaient encore trop peu à venir évoquer les problèmes du quartier et à partager leurs idées, « qui devront déboucher sur des projets concrets à la fin de la semaine », affirme Alexandre Kesteloot. Pour cela, prenez la direction de la CCI dès ce mardi matin, et venez exposer vos idées de développement du quartier.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Aménagé dans l’ancienne MJC de Kawéni