Une conférence de presse se tenait dans des locaux quasiment vides en face de Disma à Kawéni, « c’est ici que j’installe CLE’May », indique son gérant, Mahamoud Azihary, qui d’emblée donne le ton en souriant, « c’est normal que les renseignements généraux s’enquièrent du lieux de cette conférence de presse ?! ». L’ex-directeur de la SIM poursuit sa reconversion en « poussant les acteurs locaux à maîtriser l’économie de Mayotte. » C’est le fil conducteur de ce dossier des transports scolaires.
Pour rembobiner la pelote, il faut se souvenir de cette décision du tribunal administratif de casser le marché des transports scolaires en 2015, pour obliger le conseil départemental à l’allotir au delà des deux lots de Grande Terre et Petite Terre. « Comme nous n’avions jamais répondu à un appel d’offre, nous avons créé un groupement, Ouvoimoja, avec Matis comme mandataire. », retrace Boinaïdi Madi (Transports du Nord), un des six transporteurs du groupement Ouvoimoja. Matis, la société filiale du groupe réunionnais Mooland, assurait jusqu’alors l’ensemble du transport scolaire à Mayotte.
Les transporteurs mahorais signent le premier accord de groupement en juillet 2015, « mais sans avocat, nous nous sommes faits avoir ! »
Le marché d’un montant de 26 millions d’euros, s’élargit alors à 4 lots : le 1er consacré à la gestion est alloué à Matis, le 2ème qui porte sur les transports des personnes atteintes de handicap, au groupement Ouvoimoja, le 3ème au groupement Tama ya leo na meso et le 4ème concerne Petite Terre. « Mais sur le lot 2, Matis répartit seul les marchés, nous n’avons pas eu d’information, nous avons été brimés. »
Plainte pour « vice de consentement »
Feutre en main face à son Paperboard, Mahamoud Azihary se mue en prof de compta : « Dans le contrat, le conseil départemental base sa rémunération en fonction des coûts fixes mais aussi des charges variables, comme l’assurance, l’eau ou l’électricité. Mais en y regardant de plus prés, nous nous sommes aperçus que Matis n’en rétrocédait qu’une petite partie aux transporteurs, et conservait les compensations des charges indirectes et les marges. Ils n’auront perçu que 10,7% des rémunérations totales ! »
Ces échanges financiers avec les sous-traitants, passent inaperçus pour le conseil départemental, rajoute Mahamoud Azihary, « parce que Matis ne soustraite pas directement aux transporteurs, mais par le biais de sa filiale SSTM ».
Vis à vis des co-traitants, l’opération ne se fait pas en catimini, puisque tout est écrit noir sur blanc dans le règlement intérieur d’Ouvoimoja « chaque membre du groupement a la responsabilité d’assurer financièrement toutes les charges directes et indirectes », et plus loin, « en complément, Matis perçoit 257.025 euros », une somme que l’on retrouve bien dans le décompte détaillé du bon de commande, à la ligne « charges indirectes ». Un règlement qu’ils ont signé « sans la présence d’avocats, nous manquions d’expertise », se défendent-ils.
Une réunion est provoquée avec les patrons de Mooland, « et la Caisse des Dépôts, un de leurs actionnaires », où les transporteurs accompagnés de Mahamoud Azihary, menacent de déposer plainte pour « vice de consentement », et parce que « le mandataire doit veiller aux intérêts de ses mandants ». En septembre 2017, les réunionnais font un demi pas en avant, peu apprécié : « Ils nous expliquent vouloir étudier la possibilité d’un remboursement des sommes dues, mais dans le cadre des discussions autour du prochain appel d’offre ».
Mahamoud Azihary intéressé par le marché
Dans la foulée, leur sont fournies les conditions d’attribution des marchés : « Matis a confié à d’autres sous-traitants 63% du marché, et sur les 15 services restants, s’en est réservé 9 pour 500.000 euros, nous allouant les 6 derniers, pour un montant de 255.000 euros. Sans compter que, comme il conserve nos marges et les compensations de charges indirectes, nous sommes dans une situation financière difficile », rapporte Boinaïdi Madi.
Nous avons contacté Jean-Pierre Combet, président du comité de pilotage du groupement Ouvoimoja, et directeur général délégué de Matis : « Je regrette que cette affaire soit médiatisée. Sur le fond, je signale que l’accord de groupement précise les conditions de rémunération du mandataire, et qu’il a été signé par tous les transporteurs. » Une discorde qui va logiquement « remettre en cause l’existence du groupement », indique-t-il, et qui explique le courrier adressé par la SSTM, démarchant d’autres sous-traitants, pour les inviter à le rejoindre lors du futur appel d’offre, et qui les invite « à ne participer à aucun autre partenariat ».
Au sujet de la rencontre sur laquelle un compromis financier aurait été proposé par Matis, il reconnaît seulement que les dirigeants de Mooland étaient « prêts à discuter », mais qu’il n’y a pas eu de terrain d’entente. Sans précisions supplémentaires sur les faits reprochés, « nous avancerons nos arguments le temps voulu, et les tribunaux statueront », conclut-il en s’étonnant du timing de la démarche. La plainte devrait être déposée au tribunal de Commerce.
Nous sommes à quelques semaines du nouvel appel d’offre sur le marché. Le 25 juin dernier, une délibération du conseil départemental révisait un peu plus la carte du marché des transports scolaires pour renforcer les pouvoirs des acteurs locaux, sous la forme de 6 lots d’exploitation sur une durée de 7 ans et un contrat de gestion, séparé, sur 3 ans, avec une nouvelle répartition des missions entre le Département et les exploitants.
Un lot gestion qui ne laisse pas indifférent Mahamoud Azihary, « ce n’est pas exclu que j’y réponde, mais c’est une question de moyens », indique-t-il. « L’appel d’offre devrait tomber d’ici 3 mois », croient savoir les transporteurs mahorais.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com