La justice est pleine de surprises, et la mauvaise foi peut coûter bien cher. Trois prévenus, poursuivis pour un vol dans un restaurant, en ont fait les frais vendredi.
Les trois larrons étaient jugés en comparution immédiate pour un vol datant du 3 décembre. Ce soir-là, le gérant d’un restaurant de Kawéni voit trois jeunes hommes à visage découvert entrer alors qu’il s’apprêtait à fermer boutique. L’un d’eux lui jette une pierre qui le blesse au coude, un autre brandit une arme blanche qu’il lui met sous la gorge, lui intimant l’ordre de lâcher sa sacoche. Moins d’une minute plus tard, le gérant reçoit une seconde pierre à l’abdomen et les trois complices s’enfuient, emportant 60€, un téléphone portable et un disque dur. Un mois plus tard, la police détecte que le téléphone volé a été allumé. L’usager est identifié et lâche son receleur. En quelques heures, deux autres auteurs présumés sont interpellés. Le gérant identifie formellement l’un d’eux, surnommé Booba. Après 48h de garde à vue, tous les trois sont poursuivis pour vol avec violence, l’usage d’arme n’ayant pas été retenu pour permettre un procès en correctionnelle. Titulaire du baccalauréat, étudiant en BTS, Booba présente bien, il parle bien, et convainc le juge de le laisser libre jusqu’à l’audience.
Les deux autres n’ont pas le même profil. Le surnommé Adam fait déjà l’objet d’une procédure criminelle et il sort du centre éducatif renforcé de La Réunion. Le troisième, Saïd, a un CAP hôtellerie mais vit sans emploi car il est sans papiers. Les deux derniers sont placés en détention jusque vendredi. Ce 25 janvier donc, tous les trois se retrouvent à la barre, deux sous escorte, et le troisième, libre. Ils commencent alors à se renvoyer la balle, contredisant sans cesse leurs déclarations de garde à vue. Booba et Saïd affirment tous les deux être restés à l’extérieur du restaurant, malgré l’identification de la victime.
Le juge Ballu essaye de les piéger. « Si vous étiez deux dehors, qui était dedans, puisqu’il y avait trois personnes à l’intérieur ? »
« Deux amis d’Adam » lâchent les deux prévenus. Adam nie vigoureusement « on n’était que trois ! jure-t-il. »
« Vous voulez dire que vous étiez cinq et que deux auteurs ne sont pas dans cette salle ? »
Les deux complices supposés acquiescent.
Le juge demande alors des noms et, surprise, les deux larrons balancent deux surnoms correspondant à des caïds bien connus de Kawéni. Stupeur dans la salle d’audience.
Car une telle information change la donne. Impossible de juger trois prévenus s’il en manque deux autres. Impossible aussi de les poursuivre ultérieurement dans la même procédure, même en demandant un supplément d’information, ont estimé les juges.
Le procureur Rieu, conscient que ce revirement implique qu’au moins un des prévenus lui a menti pendant la garde à vue, demande à mettre fin à l’audience pour nommer un juge d’instruction dans cette affaire. « Puisqu’on ne nous a pas dit la vérité, on va la chercher nous-même et on va prendre le temps de chercher » grogne-t-il. Les trois juges lui ont donné raison.
L’audience s’est ainsi arrêtée, sans condamnation pour vol.
En revanche, les trois prévenus ont été présentés dans la foulée à un juge d’instruction qui les a tous mis en examen pour vol avec violence, et avec arme cette fois.
Ce qui était un délit passible de 10 ans de prison est ainsi devenu une procédure criminelle passible de 20 ans dont 10 ans de sûreté. Saïd et Adam ont été placés en détention provisoire. Booba a une fois de plus su éviter la prison, son attitude d’étudiant modèle et son assiduité en cours donnant d’assez bonnes garanties de représentation. il a été placé sous contrôle judiciaire.
La suite de l’affaire, désormais placée sous le sceau du secret de l’instruction, se jouera sans doute devant une cour d’assises, à trois ou à cinq. Quoi qu’il en soit, les suites risquent d’être bien plus sévères que ce qui était encouru dans la procédure initiale.
Y.D.