Mayotte, entre bouclier et porte d’entrée aux intégristes

Le 101e département a ses forces et ses faiblesses face au risque de radicalisation religieuse. Le professeur d'histoire Frantz Thille consacrait une conférence à ce sujet brûlant vendredi au CUFR

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Frantz Thille, agrégé d'histoire et spécialiste de la déradicalisation

« Personne ne connaît vraiment bien le prophète Mahomet » attaque le conférencier, spécialiste de l’histoire de l’islam, qui a oeuvré pendant 22 ans dans des prisons françaises auprès de détenus radicalisés.
Car la vie de Mahomet n’a été vraiment couchée sur le papier que plusieurs siècles après, par compilation de diverses sources. De même que les Haddiths, ces règles de tradition orale qui complètent le Coran. Nous ne reviendrons pas sur une heure et demi de résumé de cette longue histoire, sur l’utilisation faite de l’islam au fil des siècles par les différents califats pour asseoir leur pouvoir ni sur les schismes qui ont mené à de nombreux courants religieux. Mais il résulte de toute cette histoire que l’islam « authentique », « véritable » ou « originel » que plaident les intégristes ne repose sur aucune réalité historique, ou presque.
Pour bien comprendre, on peut toutefois s’arrêter sur quelques différences. Celle entre sunnites, 1,3 milliards de croyants au monde et chiites, principalement situés en Iran, Syrie et par endroits au Yemen. La révolution islamique d’Iran a motivé une importante réponse idéologique de l’Arabie saoudite, soucieuse de contrer ce courant de pensée. Une propagande massive contre les chiites s’en est suivie, de même qu’un durcissement des règles à Ryadh.

Une propagande telle que « dans les prisons j’ai vu des jeunes radicalisés qui croyaient que les Chiites considéraient Ali comme le prophète. C’est une fake-news alimentée en métropole par les réseaux djihadistes » explique Frantz Thille.
Mais alors ces djihadistes, d’où sortent-ils ? En simplifiant, ils sont le fruit de ce durcissement religieux porté par les Saoudiens, principalement wahhabites.
L’historien distingue en effet trois grands courants dans l’islam sunnite.

Le syncrétisme culturel au service d’un islam paisible

L’islam a de multiples branches et des courants variés, le mythe d’un islam authentique est créé pour manipuler politiquement

Les Hanafites, présents en Asie mineure de la Turquie à l’Afghanistan et les Malikites, présents notamment en Afrique du Nord, sont la majorité.
L’école chaféite est « un compromis entre les écoles hanafite et malikite ». C’est le culte  que l’on retrouve aux Comores et à Mayotte. Son caractère consensuel lui permet d’intégrer des pratiques extérieures à l’islam, notamment les rites bantous ou malgaches qui font le syncrétisme culturel propre à Mayotte.
Enfin il y a l’école hambalite, celle qui en Arabie Saoudite a donné le mouvement wahabbite et le salafisme. Un courant « très dogmatique » qui laisse « peu de place au raisonnement ». Lui-même se décompose en trois mouvances. Les Quiétistes, sont ceux qui vivent leur spiritualité à l’extrême, mais entre eux. Méprisant la violence et le monde politique, ils adoptent volontiers des tenues qu’ils estiment être celles de l’époque du Prophète, et essayent de rapprocher leur mode de vie de ce dernier. Ce courant prône

« L’idéalisation d’une période de révolution religieuse avec la recherche d’un comportement similaire à la vie du prophète ». Le risque avec ce courant pourtant pacifiste est que ses adeptes « créent des zones de non droit et mettent dans la tête des jeunes l’idée que tout est haram ». C’est la porte ouverte à une politisation du message.
Le deuxième courant salafiste est celui des politiques. Ceux-là cherchent l’exercice du pouvoir et adaptent leur discours à l’ère du temps. Leur but est d’utiliser les ressorts démocratiques pour en prendre le contrôle. Comme on a pu le voir en Egypte ou en Tunisie. Ils s’inspirent des Frères Musulmans.
Enfin viennent les djihadistes. Inspirés par les premiers, ils sont manipulés par des émirs pour en faire des combattants. Ces formateurs ciblent des jeunes en perte de repère, leur apporte des règles à suivre, les valorisent, et les convainquent que tout ce qui n’est pas salafiste n’est que complot contre l’islam.
Souvent fins connaisseurs du Coran, ils sont influencés par une « mythologie eschatologique » qui leur donne l’impression d’une vérité unique sur l’islam véritable. C’est ce qui fait que les djihadistes n’hésitent pas à tuer d’autres musulmans, persuadés qu’ils sont que seul leur courant n’est pas mécréant.
Quand ils en arrivent là, c’est souvent trop tard estime Frantz Thille, qui recommande d’agir dès les premiers signes de radicalisation. Il en sait quelque-chose, lui qui a fait l’objet d’une fatwa dans une prison où des « revenants » étaient mélangés à des radicalisés qui n’étaient pas partis en zone de guerre. « Un échec » selon lui.

Plutôt prévenir que guérir

La sourate de l’épée, souvent tronquée et sortie de son contexte pour appeler au meurtre

Isolement, refus de « rigoler avec les copines ou de serrer la main d’un prof », obsession vestimentaire ou alimentaire, discours complotistes doivent alerter les proches. Signaler, à l’école notamment, c’est offrir au jeune une prise en charge à temps.

« C’est très important de déconstruire petit à petit en développant l’esprit critique » estime l’enseignant.

Il faut « expliquer, que ce soit par l’affectif, ou la géopolitique, je crois en ça. Quand on explique que le combat est plus large que ce qu’on leur a appris, qu’on explique la lutte entre MBS (Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite NDLR) et Erdogan, ils se disent … Oula ! »

Selon lui toutefois, une fois le discours radical bien installé, seuls 5 à 10% des extrémistes peuvent encore être convaincus qu’ils ont été trompés. « On leur a rempli le cerveau avec un kit prêt à penser et prêt à croire, leur disque dur est plein » illustre-t-il.
C’est pourquoi il s’oppose globalement au retour des combattants partis rejoindre Daesh, sauf quand les repentis ont des informations utiles à donner.
C’est dans ce contexte de propagation mondiale des thèses salafistes par les réseaux sociaux que le chercheur, historien et géopoliticien alerte sur le situation de Mayotte.
La jeunesse précaire y est un terreau favorable.

« Le fait d’avoir une culture syncrétique donne une modération. De plus le caractère insulaire de Mayotte fait que ses jeunes ne sont pas politisés sur des sujets comme la Palestine ou l’Iran. Mais tout cela peut être utilisé sur des gamins en précarité comme une porte d’entrée. Il y a une certaine proximité avec le Kenya, et les Shebab somaliens. Il faut aussi être vigilants aux imams comoriens formés en Arabie Saoudite. En cas de doute, il faut alerter immédiatement pour éviter que Mayotte ne devienne une arrière base, ou une porte d’entrée » recommande-t-il.

Y.D.

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