Forte hausse des demandes d’asile : interview du directeur de l’OFPRA en mission à Mayotte

Depuis 10 jours, une mission foraine de l’OFPRA est à Mayotte. Et, fait rare pour cet office qui traite des demandes d’asile, son directeur Julien Boucher, était présent. Pas par hasard, puisque les demandes ont fortement augmenté à Mayotte. Il annonce la mise en place de moyens.

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Jean Boucher: "Mayotte est incontournable compte tenu des enjeux ici"

Tout d’abord, il faut revenir sur les raisons qui poussent une personne à émigrer. Lorsqu’il s’agit de personnes qui vivent dans des pays en guerre et/ou ils rencontrent des situation à même à menacer leur intégrité physique, ils peuvent demander asile. Dans tous les autres cas, et même s’il s’agit de raisons économiques et qu’ils vivent dans la misère, il s’agit d’immigration économique, qui ne justifie pas de demande d’asile.

Lorsque le demandeur d’asile arrive à Mayotte, il se rend à Solidarité Mayotte qui enregistre sa demande et la transmet à la préfecture. Il devra monter son dossier en expliquant avec le plus de détails et de preuves possibles, les menaces qui pesaient sur lui dans son pays. Un dossier transmis ensuite à l’OFPRA dont les 800 agents investiguent pour vérifier ses dires, en fonction notamment de l’inscription du pays sur la liste des pays sûrs. (Liste pays sûrs decision_ca_ofpra_du_9_octobre_2015)

S’il s’avère qu’il a besoin d’une protection, il obtient le statut de réfugié, et dans la foulée des papiers français qui lui permettront de quitter éventuellement le territoire. Si l’OFPRA n’accède pas à sa demande, il peut déposer un recours à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Pendant cette période, il ne peut pas être reconduit à la frontière, mais n’a pas non plus le droit de travailler à Mayotte, alors que cela est possible au bout de 6 mois sur le reste du territoire français.

Cette année à Mayotte, nous sommes dans un contexte d’accroissement des demandes d’asile, principalement en raison de fermetures des routes migratoires traditionnelles en Europe, comme nous l’avait expliqué le directeur de Solidarité Mayotte. Julien Boucher s’exprime sur ce contexte particulier.

En 2011, des demandeurs d’asile dénonçaient l’absence d’allocation de survie

JDM : Qu’est ce qui pousse un directeur de l’OFPRA à accompagner une mission foraine de ses services à Mayotte ?

Julien Boucher : « Mayotte est incontournable compte tenu des enjeux ici. Nous faisons face à une forte augmentation des demandes d’asile. Au niveau national en 2018, nous avons traité 92.000 premières demandes, hors mineurs accompagnants, dont 27% ont reçu une réponse favorable. A Mayotte la même année, ce sont 800 demandes, hors mineurs, un chiffre que nous avons déjà dépassé en 2019, ce qui traduit une hausse soutenue des demandes mensuelles. Avec un taux de délivrance de statut de réfugié variant de 30 à 40% en fonction des années, plus élevé qu’en métropole, car ils viennent pour la plupart de pays de l’Afrique des Grands Lacs. leur taux de protection est élevé en raison de la situation qui y prévaut. »

Les Sri-Lankais arrivés en boutre depuis la région n’étaient pas dans ce cas ?

Julien Boucher : « Lorsque cela est arrivé, a été mis en place le dispositif d’asile à la frontière, qui les place en zone d’attente avant même qu’ils aient été admis sur le territoire français. C’est le ministre de l’Intérieur qui tranche alors sur le bienfondé de la demande. »

On voit souvent des demandeurs d’asile stagner sur le territoire, sans pouvoir travailler, sans AME ni CMU, et être en attente du traitement de leurs dossiers. Que pouvez-vous faire pour les accélérer ? Ne faudrait-il pas comme en Guyane, installer une permanence de l’OFPRA à Mayotte ?

Le boutre arrivé le 27 mai 2019 où avaient embarqué les Sri Lankais (Photo D.R.)

Julien Boucher : « La question se pose en effet ici. La permanence de l’OFPRA en Guadeloupe avait été transférée en Guyane à un moment où les demandes d’asile avaient explosé en 2016. Dans un premier temps, nous intensifions les fréquences de passage à Mayotte, de une par an il y a dix ans, nous sommes passés à trois, et nous allons l’accélérer encore. Le délai de traitement d’une demande d’asile à Mayotte se situe dans la moyenne nationale de 5 mois, et vont diminuer avec les moyens que nous mettons dans les mois qui viennent. Notamment sur la visioconférence.
Actuellement, des officiers de protection de l’OFPRA sont présents à Mayotte pour entendre environ 250 demandeurs d’asile. »

Quid d’un Office Français d’Immigration et d’Intégration (OFII) qui apporterait de la compétence ? Il n’y en a pas à Mayotte…

Julien Boucher : « Je ne peux pas me prononcer sur ce sujet, ce sont Solidarité Mayotte et la préfecture qui assurent ce rôle. »

Le président Macron annonce un grand débat sur l’immigration au parlement fin septembre. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye évoque un possible « dévoiement de la demande d’asile ». A quoi fait-elle référence ?

Julien Boucher : « Au niveau national, une part significative de la demande d’asile émane de ressortissants de pays pour lequel le taux de protection est faible (et donc, avec un espoir minime d’obtenir le statut de réfugié, ndlr), parce que inscrits sur la liste des ‘pays d’origine sûrs’. Or, l’effort de la Nation en faveur de l’asile bénéficie d’abord aux personnes en besoin de protection. »

Quels sont les pays d’origine de ceux qui obtiennent le statut de réfugié à Mayotte ?

Julien Boucher : « Ils sont principalement originaires de pays de l’Afrique des Grands Lacs, notamment le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo. Une majorité d’entre eux rejoint ensuite le territoire métropolitain de la France. »

L’OFPRA annonce donc des moyens supplémentaires, « mon objectif, c’est que les dossiers soient traités rapidement. C’est indispensable compte tenu des enjeux ici. »

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

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