« Le problème de l’immigration à Mayotte est international, la solution doit être internationale », suggère Issihaka Abdillah

« Nous avons à nos frontières, le plus grand camp de réfugiés du monde au Kenya. C’est une bombe si nous n’anticipons pas ! », met en garde l’ancien élu Issihaka Abdillah. Il propose des pistes pour prendre en amont ces problématiques qui touchent Mayotte de plein fouet.

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Issihaka Abdillah revient sur les différentes étapes qui font grandir l'enfant, sans doute à reconceptualiser

Depuis un an, beaucoup de migrants africains viennent chercher refuge à Mayotte, et s’ajoutent à la population des îles voisines des Comores, déçue de l’absence de développement de leur territoire. Alors que la France renforce la Lutte contre l’Immigration Clandestine à Mayotte, Issihaka Abdillah invite à travailler en amont et à prendre du recul en envisageant la situation géopolitique de la région, en pleine évolution.

« L’Etat met beaucoup de moyens en œuvre pour lutter contre l’immigration clandestine à Mayotte pour peu de résultats. Au lieu de chercher des solutions sur le plan international, on en fait une affaire franco-française. Mais la France n’y arrivera pas seule. En Turquie, les pays européens s’associent pour réguler, il faut s’en inspirer », conseille l’ancien élu du conseil général. Qui livre les constats, avant de proposer des pistes de solutions.

Pour la partie comorienne de l’immigration, le constat d’un pays délabré n’est plus à prouver, la suspension de la desserte d’Anjouan par Ewa Air pour des problèmes de sécurité en est un marqueur. « Il n’y a pas eu besoin de bombe pour détruire le pays. Après 42 ans d’indépendance, le régime en place n’a pas construit une seule école ! Pareil pour la santé. Certains instituteurs ne sont payés que parce qu’ils enseignent dans une école privée en matinée, les autres préfèrent venir à Mayotte. » D’où les migrations pour raisons éducatives, économiques et sanitaires.

L’hôpital El Maarouf à Moroni ne remplit plus son rôle

Mais elles sont au fil des années supplantées par des populations de pays africains. En témoigne l’information des Somaliens en instance de départ pour Mayotte au départ de Madagascar, dont nos confrères de Flash Info se sont faits l’écho la semaine dernière. « Ils ne viennent pas par gaité de cœur. Mayotte se trouve dans une zone entourée de foyers de conflits, l’Est Congo, la Somalie, l’Ethiopie, et plus loin la Syrie et l’Afghanistan. La fuite de leur pays en guerre amène les migrants vers les pays proches. Nous avons ainsi à proximité de nos côtes, le plus grand camp du monde au Kenya, Dadaab, où vivent entre 100.000 et 200.000 Somaliens. En Tanzanie ce sont surtout des ressortissants Burundais qui sont hébergés à Nyarugusu, environ 60.000 réfugiés. Or, dès qu’une tension voit le jour dans le pays, le gouvernement menace de fermer ces camps. C’est une vraie bombe pour Mayotte, seul territoire où l’asile politique est respecté, et première porte d’entrée en Europe et en occident. »

Menace de conflit au Mozambique

Forte interaction entre Mayotte et sa région (extrait du dossier développement gazier au Mozambique)

Pour Issihaka Abdillah, cette situation appelle à déplacer le curseur de la prise en charge qui dépasse la France seule : « Le vrai problème de l’immigration à Mayotte est devenu international, la solution doit être internationale. »

Etant donné l’existence d’accord de libre circulation entre la Tanzanie et les Comores, membres tous deux du COMESA* et de la SADEC*, il faudrait commencer par aider les Comores à gérer ces réfugiés, selon lui. « Et accompagner la Tanzanie et le Kenya à intégrer ces populations sur leur sol. L’Europe est reste très timide sur la gestion de cette situation, et sur la thématique de l’immigration. »

Mais il appelle aussi à anticiper : « Nous avons un conflit qui menace au Mozambique. L’Etat islamique a inscrit ce pays sur sa liste des territoires où mener le Djihad, à Cabo Delgado. L’exploitation du gaz va mettre ce pays sous les feux des projecteurs. Un conflit existe déjà, s’il prend de l’ampleur, nous risquons de devenir le point de chute de populations en fuite. » Le quotidien Le Monde s’était d’ailleurs fait l’écho de ces tensions.

Un contexte régional à prendre en compte donc dans les politiques de lutte contre l’immigration clandestine, « l’Etat met les moyens à Mayotte, mais le danger est plus important qu’on ne le pense. »

« Les Comores risquent d’échapper à la France »

Accompagner l’agriculture à Anjouan en garantissant des débouchés commerciaux

Sur l’immigration Comorienne, il a des solutions concrètes à proposer. « Nous héritons de nombreux jeunes qui ne sont plus en âge d’être scolarisés, qui risquent de grossir les rangs de la délinquance, or c’est insupportable de voir des jeunes gendarmes ou policiers se faire blesser au cours des rixes. Quel est l’intérêt de les garder sur le territoire ? Mayotte ayant besoin de foncier pour ses infrastructures, il n’y en a plus assez pour cultiver fruits et légumes. Formons donc ces jeunes pour qu’ils cultivent et pêchent là-bas, à Anjouan ou Mohéli, en leur assurant un marché de commercialisation de leurs produits. » Un dispositif rendu possible par des allègements de normes sur les importations de produits des pays tiers, voisins de la Région Ultrapériphérique de l’Europe que nous sommes. Dans le cadre de la coopération régionale, des techniciens peuvent être mis à disposition sur place pour encadrer.

En matière d’enseignement, aucune solution ne sera trouvée tant que les profs ne sont pas rémunérés et sont contraints d’enseigner dans des écoles privées. On sait que la France débloque 150 millions d’euros sur trois ans pour l’aide au développement des Comores, mais il suggère que l’Europe se penche sur la question, « tout comme pour la remise aux normes des dispensaires. » Il en va du contrôle de la situation, « les familles comoriennes aisées n’envoient plus leurs enfants étudier en France, mais dans les pays arabes. Les Comores risquent d’échapper à la France ! »

Les Africains des Grands Lacs manifestaient à Mayotte en 2011 contre les autorités de leurs pays

Enfin, il interroge sur l’implication des politiques mahorais : « Il faut envisager l’ensemble du problème sur le pays africain, et se déplacer. Nommer des délégués sur place comme à Madagascar, c’est bien, mais le président du Département devrait se déplacer et rencontrer les responsables de ces pays. Est-il allé à Maurice pour discuter de l’intégration de Mayotte dans la Commission de l’Océan Indien ? Nous devons nous appuyer sur les représentations diplomatiques de nos régions. »

Intégrer les associations régionales comme le COMESA ou la SADEC, « ou encore celle des pays riverains du canal du Mozambique comme nous avons fait avec l’UCCIOI », sont aussi des moyens de sortir le département de son isolement et travailler avec la sous-région et les pays de l’Afrique australe.

Anne Perzo-Lafond

* COMESA : Marché commun de l’Afrique orientale et australe – SADEC : Communauté de développement d’Afrique australe

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