CARNET DE JUSTICE. Rares sont les affaires dans lesquelles le président et ses assesseurs questionnent autant un prévenu. Ce mercredi matin, au tribunal correctionnel de Mamoudzou, pendant près d’une heure, les juges vont se pencher sur les détails, les petites phrases, les attitudes des prévenus. Le dossier qu’ils ont à trancher porte sur une affaire de harcèlement sexuel présumé au CHM*.
L’histoire se déroule du 19 au 21 juillet 2013 dans le service psychiatrie du centre hospitalier. Un médecin, venu effectuer un remplacement d’un mois dans le service, convoque de façon un peu «autoritaire» une «femme de ménage». Elle est ASH, agent service hospitalier, et donc en charge du ménage mais aussi de la surveillance de patients.
Ce vendredi, elle entre dans le bureau dans lequel se trouve également le chef du service psychiatrie de l’hôpital. Elle ferme la porte derrière elle. Lorsqu’elle ressort, une secrétaire, inquiète du ton sévère du médecin se rapproche d’elle sans obtenir d’explications. Mais le lundi suivant, l’ASH a un comportement anormal, elle modifie ses habitudes de travail et se cache lorsqu’elle aperçoit le médecin qui semble la «terroriser». La secrétaire prévient sa responsable. C’est le début de l’affaire.
Que s’est-il passé dans ce bureau et durant le week-end ? Le médecin lui aurait d’abord dit qu’il la trouvait belle. Avant de la convoquer, il se serait d’ailleurs exclamé «Celle-là, elle est pas mal!»
Il aurait ensuite utilisé quelques formules alambiquées pour lui faire comprendre qu’il aimerait bien qu’il se passe quelque chose entre eux. La femme est mariée, a cinq enfants et ne sait quoi répondre. Le médecin aurait fini par lui dire qu’il souhaiterait la voir à l’extérieur. L’ASH cherche alors visiblement des prétextes pour échapper à la proposition, elle invoque le ramadan pour refuser une invitation le soir-même, puis un décès dans sa famille qui l’occupe tout le week-end. L’homme lui demande alors son numéro de téléphone.
L’ASH se tourne vers le chef de service qui assiste à la discussion et c’est lui qui va donner les coordonnées téléphoniques à son collègue.
Le premier coup de fil intervient dès la nuit du vendredi au samedi, à 1 heure du matin, puis ils se multiplient tout au long des deux jours qui suivent. La femme ne décroche pas.
«Personne ne peut te résister»
Le médecin ne s’est pas déplacé pour l’audience invoquant une contrainte professionnelle, il exerce en banlieue parisienne.
La victime présumée non plus n’est pas venue. Seul, le médecin chef de service de l’époque doit affronter les questions du tribunal qui tente d’établir la vérité et son opinion.
«Est-ce une attitude normale pour un médecin de laisser une telle discussion se dérouler et même d’y contribuer ?» demande le président. «J’étais gêné, dans mon for intérieur je savais qu’il fallait que je sorte», avoue le prévenu.
«Pourquoi donner ce numéro de téléphone?» C’est la femme qui s’est tournée vers son chef de service pour lui demander de le donner.
Quelle attitude a eu le chef de service? Cette gêne qu’il évoque à la barre où une complaisance coupable, si ce n’est juridiquement au moins moralement ? Le chef de service aurait déclaré à l’ASH, sur le ton de la plaisanterie que ce qui lui arrive est finalement normal : «Tu comprends, personne ne peut te résister». «Depuis quand c’est interdit de draguer au sein du service ? Si c’est le cas, il faut l’interdire dans le règlement intérieur !» se serait-il également exclamé auprès de collègues médecins qui voulaient obtenir des explications.
Ambiance de règlement de comptes entre médecins
A la barre, l’homme évoque des règlements de compte dans le service qui a permis à cette affaire de prendre de telles proportions. «J’étais loin de me douter de ce qui se passait. On m’a immédiatement accusé de faire preuve de négligence», explique-t-il. Son avocat, Maître Chauvin, évoque également à demi-mots une ambiance délétère entre médecins sur fond de tensions syndicales.
«Le médecin est-il allé trop loin ?» interroge finalement le président. «Il est allé trop loin, mais pas aussi loin qu’on le dit», conclut le prévenu.
Depuis l’affaire, l’homme a demandé à être relevé de sa chefferie de service. Il est désormais simple médecin.
Quel sera l’avis du tribunal après avoir entendu les arguments des uns et des autres sur ces faits de harcèlement ? Sommes-nous face à l’abus d’une hiérarchie ou à la frontière d’une «société à l’américaine où le moindre effleurement se traduit en dommages et intérêts», comme le faisait remarquer l’avocat de la défense.
Le jugement sera rendu mercredi prochain.
RR
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*CHM : Centre hospitalier de Mamoudzou