Ce lundi, c’était d’abord l’Aïd pour la plupart des habitants de Mayotte. Pour quelques professionnels, c’était aussi la journée nationale de l’accès au droit. A Mayotte, le Conseil départemental de l’accès au droit se présente sous la forme d’un organisme fédérateur de différents acteurs du territoire. Il a pour vocation de favoriser l’accès au droit, la connaissance de la loi et des institutions souvent méconnues, pour toute la population.
« L’objet, c’est de promouvoir l’accès au droit au sens large » résume Bastwya Ali, la coordinatrice du CDAD. Ce dernier, présidé par le Laurent Ben Kemoun, en sa qualité de président du tribunal, est cogéré par plusieurs structures et professionnels. Des juristes, magistrats, avocats ou huissiers, mais aussi des associations qui oeuvrent sur l’accès au droit comme Mlézi Maoré, la Cimade, Solidarité Mayotte, la Croix Rouge et d’autres. Côté Etat, la préfecture et la DJSCS, la jeunesse et les sports, sont aussi aux manettes. Enfin l’association des maires représente les élus municipaux. Mais alors, tout ça, ça sert à quoi concrètement ?
« On vient voir le CDAD quand on a une question », explique Bastwya Ali. « Par exemple, si j’ai un enfant à charge dont le père ne s’occupe pas, un conflit foncier ou un problème au travail. Si la question est trop pointue, on a un partenariat avec le bâtonnier pour des consultations gratuites avec un avocat, ce qui permet de ne pas engorger l’aide juridictionnelle » poursuit la coordonatrice.
Le CDAD est donc un interlocuteur privilégié avant de saisir un avocat, ou de se perdre dans les différentes administrations. Le tout, sans marcher « sur les plate-bandes de qui que ce soit, précise Laurent Ben Kemoun, le CDAD est un fédérateur, on ne fait pas le travail des avocats, on n’en aurait de toutes façons pas le droit » sourit-il.
Formation et information
A Mayotte plus que nulle part ailleurs, les missions du CDAD sont aussi importantes que variées. Elles vont de la formation des professionnels « notamment avec la montée en puissance des conseils communaux d’action sociale » mais « on est aussi sur tout ce qui est droit des étrangers, droit de la famille… » Dans un territoire en pleine mutation, le passage d’un droit coutumier à une administration de plus en plus rigoureuse nécessite en effet de la formation et de l’information, les deux leitmotivs du CDAD.
« Par exemple, donner un enfant ne suffit plus, poursuit la coordinatrice de la structure. Il faut une délégation d’autorité parentale, c’est demandé par les établissements scolaires, la CSSM etc. »
Le CDAD intervient également dans les écoles pour informer sur l’égalité entre filles et garçons et tenter de tuer dans l’oeuf des stéréotypes de sexe qui sont assimilés dès le plus jeune âge.
Par ailleurs, le CDAD a édité un guide pratique destiné aux mairies, dont les grandes lignes sont disponibles sur le site du groupement d’intérêt public. On peut notamment y trouver un descriptif de l’institution judiciaire, qui peut avoir des airs de parcours du combattant, ou des explications sur le trajet que suit une plainte quand on la dépose, là encore un volet méconnu de la justice.
Mais tout cela a pris un sérieux coup de frein avec la crise sanitaire, obligeant le CDAD a revoir ses objectifs et ses moyens d’action. Si le nouveau président Laurent Ben Kemoun a pris à bras-le-corps cette mission, il doit composer avec des contraintes inédites.
Une institution pour tous, accessible par certains
En effet, crise Covid oblige, le CDAD a recentré ses missions sur son site Internet et sa permanence téléphonique. « Mais le contexte est particulier, et à Mayotte, les personnes préfèrent encore les entretiens physiques, les demandes ont donc beaucoup diminué » déplore la coordinatrice. Concrètement, le CDAD est passé de près de 100 demandes par semaines à 5 en moyenne depuis deux mois. Le tout dans un contexte où « on a vu beaucoup de montée des violences faites aux femmes ». Les (trop) rares appels portent sur les renvois de procès, ou le chômage partiel. En outre, avec des effectifs réduits pour répondre au téléphone, « on passe sans doute à côté de demandes » regrette encore Bastwya Ali.
Reste le site Internet, mais lui aussi trouve ses limites. « On ne peut pas encore dire qu’à Mayotte, grâce à Internet tout le monde a accès au droit » constate Laurent Ben Kemoun pour qui la situation est révélatrice de la fracture numérique à Mayotte. « D’où l’intérêt des permanences délocalisées » note-t-il. Problème, celles-ci sont fermées à cause de la crise sanitaire. Celle de Sada a pâti de la fermeture du greffe détaché, et la date d’ouverture du bureau de Combani n’est pas arrêtée.
Mais cette période est, espérons-le, transitoire, et si la situation sanitaire permet de se rendre sur les plages et sur le lagon, il serait juste qu’elle permette aussi d’accéder au droit, et pas que pour les plus précaires. « Ce que je trouve très intéressant, c’est que le CDAD s’adresse à tout le monde, s’enthousiasme Laurent Ben Kemoun, c’est quelque chose de transversal, ce n’est pas que pour les plus démunis. Par exemple les préjugés existent dans toutes les classes [sociales]. Ce n’est pas une institution réductible à un certain public » conclut-il.
Y.D.
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