Après un sursis demandé en 2014 par la ministre des Outre-mer George Pau-Langevin, l’octroi de mer arrive de nouveau à son terme au 31 décembre 2020. Pour tenter d’y voir clair dans un dispositif complexe, les chercheurs de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI), Anne-Marie Geourjon et Bertrand Laporte, experts pour le FMI, sont entrés à la demande de Bercy dans les méandres de sa réglementation. Ils en sont sortis sonnés, « Nous ne connaissions pas l’octroi de mer dans le détail, on a été assez affolé », rapportent-ils dans guadeloupe.franceantilles.fr, en écartant toute interprétation partisane, « c’est une étude de technicien », assurent-ils. Lire le rapport-ferdi-impact-economique-de-l-octroi-de-mer-dans-les-departements-1376262
L’octroi de mer, dont la terminologie voulue par son créateur, Colbert, en 1670, évoquait un « octroi aux portes de mer », s’applique aux produits importés dans les territoires d’outre-mer, qu’ils proviennent de la métropole ou de pays étrangers (octroi de mer externe), mais également aux productions locales (octroi de mer interne). Se rajoute un octroi de mer régional décidé par le conseil départemental (plafonné à 2,5%). Chaque catégorie de produit a donc son propre taux de taxation. Un vrai casse-tête.
D’ailleurs, lorsqu’il a fallu l’établir à Mayotte, le dispositif a connu plusieurs atermoiements, en raison de sa complexité. Après l’harmonisation, le conseil départemental est parvenu à passer de 24 taux différents à 9.
On pédale dans la semoule
Si l’idée est de protéger les productions intérieures, et de garantir ces recettes fiscales aux communes, il ne faut pas assassiner des secteurs en tension. Difficulté qui s’est particulièrement illustrée lors de l’arrivée au port de Longoni des moustiquaires imprégnées au plus fort de la lutte contre la dengue et des protections contre le Covid. Le conseil départemental a provoqué une commission en urgence pour porter le taux à zéro.
De leur analyse, les deux experts tirent une conclusion, l’octroi de mer est le « plus mauvais que tous les systèmes douaniers que l’on peut voir dans les pays en voie de développement ». Hard !
Pour arriver à cette conclusion, le document d’une cinquantaine de pages s’appuie sur le constat que « la taxation des intrants renchérit excessivement les coûts de production et favorise l’importation de biens de consommation finalement moins taxés que les intrants qui seraient nécessaires à la production locale ». En clair : « Si vous fabriquez des vélos mais que vous devez importer des pneus, les taux de taxation de l’octroi de mer pour les pneus ne vous garantissent pas qu’au final, votre produit sera moins cher qu’un vélo complet importé ». Sauf qu’il existe une liste de produits exonérés d’octroi de mer, fixée par le conseil départemental, et bénéficiant à la production des entreprises locales.
Quelle garantie d’un impact positif ?
Les exonérations sur les importations de marchandises sont montées à 14 millions d’euros en 2019, soit une augmentation de 201% par rapport à 2018, nous détaille le conseil départemental. Ce fut donc le cas pour les moustiquaires de l’ARS, mais aussi en 2014 sur les produits du BTP, ou en 2015 sur le photovoltaïque. Des décisions qui se font parfois sous la pression médiatique, en raison d’un contexte particulier. Un facteur d’instabilité pour de potentiels investisseurs, soulignent avec raison les deux rédacteurs.
La crise économique actuelle justifie la remise en cause de cette taxe, selon eux. Avec la baisse à venir de l’octroi de mer en raison du ralentissement de l’activité économique, les communes vont perdre des recettes, d’où « l’intérêt de trouver des recettes autrement que par cette voie. »
A titre d’exemple et pour être précis, en 2019 l’octroi de mer à rapporté globalement 91 millions d’euros (contre 87M€ en 2018, soit 9% d’augmentation), dont 75 millions sont allés aux communes .
En remplacement, ils préconisent d’instaurer la TVA. Une uniformisation des taxes qui ne permet plus de rendre dissuasives certaines importations. Par exemple, à Mayotte, l’alcool et le tabac sont imposés à des taux très élevés, 60% pour le premier, 90% pour le second, quant aux armes, elles le sont à 100%.
Leur étude, qui n’intègre pas toujours Mayotte, indique qu’en cas de suppression de l’octroi de mer, « la baisse du niveau général des prix dans les quatre DOM est significative, en moyenne entre 4,6% (Martinique) et 9% (Guyane), toutes choses égales par ailleurs, et sous réserve que les commerçants répercutent entièrement sur leurs prix la baisse du niveau de taxation ».
Justement, l’espoir de récupérer du pouvoir d’achat en enterrant l’octroi de mer, a de forte chance d’être douché par des marges potentielles des distributeurs. C’est du vécu ! Lorsque le conseil « général » à l’époque à Mayotte, avait réduit le taux à zéro sur le riz, cela n’avait jamais été répercuté à la caisse.
Il faut aussi compenser la perte de revenus pour les collectivités, en créant une dotation de compensation de la part de l’Etat. Tout un dispositif à penser à Mayotte où, comme en Guyane, la TVA n’est pas appliquée.
Anne Perzo-Lafond
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