Le Sénat vient de publier un rapport « chamboule-tout » qui fait furieusement écho à l’article que nous avons publié il y a 10 jours sur l’évolution institutionnelle nécessaire à l’accès plein et entier de Mayotte comme département et comme région. Cette actualité domine les débats ici où, par exemple, le développement économique (compétence régionale) ou bien la construction des collèges (compétence départementale), ne sont pas investis par le Département, faute de décentralisation des compétences.
Et que nous dit la Délégation outre-mer au Sénat ? « La réflexion sur la meilleure organisation institutionnelle et la répartition des compétences entre l’État et le territoire, est commune à tous les outre-mer ». Comme l’ont confirmé les auditions des représentants des collectivités ultramarines. Enfin, pas tous les représentants. Il est d’ailleurs surprenant de noter à plusieurs reprises dans le rapport que le président du Conseil départemental de Mayotte n’a pas participé aux séances.
Ainsi, Michel Magras, le consensuel président de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, dit regretter « énormément », que le conseil départemental de Mayotte n’ait pas donné suite aux invitations de notre délégation, « alors qu’il s’agit de la collectivité la plus concernée par ce sujet ». Étayant par la suite ses propos : « Mayotte n’a de département que le nom (…) puisque toutes les compétences en matière sociale ne sont pas intégralement exercées. De plus, la région Mayotte existe dans l’intitulé, mais elle ne bénéficie pas par exemple de dotations régionales. Mayotte était donc la collectivité la plus concernée par ces problématiques (…) Je déplore cet état de fait et j’espère que le conseil départemental de Mayotte va se rattraper. »
« Au plus prés des réalités locales ultramarines »
L’objectif de ce rapport sénatorial est de répondre aux difficultés exprimées par les exécutifs des collectivités ultramarines relevant de l’article 73* de la Constitution sur l’exercice de la décentralisation des compétences. Ils tirent un bilan plus que mitigé sur leurs collectivités qui n’arrivent pas à s’épanouir et à mener des politiques publiques efficaces. « Les Antillais et les Guyanais veulent être administrés au plus près de leurs attentes, au plus près des réalités locales ». Tous demandent un cadre favorisant davantage leur épanouissement et l’efficacité des politiques publiques.
Le rapport aborde la question du « socle constitutionnel commun qui pourrait à l’avenir répondre aux vœux des collectivités » et réunit plusieurs contributions « en vue d’une révision des articles 73* et 74* de la Constitution ainsi que des mesures juridiques d’accompagnement ».
Il s’agirait, et ce n’est qu’une hypothèse, de réunir les collectivités relevant des article 73 et 74 : « Si nous réunissons les articles 73 et 74 dans un même article, une loi organique définira le statut de chacun des territoire qui sera libre de demander les compétences qu’il souhaite se voir transférer. (…) Je propose qu’elles soient touts mentionnées à l’article 72 sous le terme de ‘collectivités d’outre-mer’. » Tout cela avec l’assentiment des collectivités en question.
Une évolution qui ne se fera en effet pas sans sécuriser le vote, demande Stéphane Diémert, président assesseur à la Cour administrative d’appel de Paris : « Il appartient d’abord aux électeurs de décider eux-mêmes du régime législatif dans le cadre duquel ils entendent vivre au sein de la République. Ce principe participe au droit à l’autodétermination, reconnu en 2000 par le Conseil constitutionnel à propos de Mayotte et consacré en 2003 dans l’article 72-4 de la Constitution. »
« Petit Pays, je t’aime beaucoup »…
Un changement qui pourrait coller à une évolution en cours, évoquée par la maître de conférence en droit public, Véronique Bertile : « Une réforme constitutionnelle est en cours dans laquelle le principe de différentiation intègrerait l’article 72 de la Constitution. La différenciation qui était une spécificité outre-mer a donc vocation à rejoindre le droit commun. » Avec en corollaire, la suppression dans ce cas de toute référence à des articles outre-mer, qui deviendraient des collectivités territoriales de la République, libre ensuite d’attribuer à chacune « une différenciation plus ou moins poussée ».
Se pose in fine la question de l’appellation de ces nouvelles collectivités. Michel Magras notait que La Réunion et Mayotte « pourraient vouloir conserver leur statut de département », mais la dénomination de « Pays d’outre-mer » a malgré tout été proposée.
Le professeur de droit public Ferdinand Mélin Soucramanien faisait remarquer que ce n’était après tout qu’une question de convention, « Mayotte a eu la possibilité de se qualifier de département pour des raisons politiciennes alors qu’il ne s’agit pas juridiquement d’un département. Je regrette que l’Etat ait pu entretenir de telles confusions sur les plans juridique et sociologique ».
L’ensemble de ces échanges a mis en évidence l’urgence d’une refondation de la relation entre l’État et les outre-mer qui passera nécessairement par une réforme de l’exercice des libertés locales et une plus large diffusion d’une culture outre-mer dans nos institutions », conclut le rapport.
Lire Rapport du Sénat Délégation OM Différenciation
Anne Perzo-Lafond
* Les collectivités territoriales régies seulement par l’article 72 de la Constitution sont les collectivités territoriales de métropole
Les collectivités Les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution sont les 5 DOM, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion et Mayotte
Les collectivités territoriales régies par l’article 74 de la Constitution sont Saint-Pierre-et-Miquelon Walis et Futuna, la Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. (La Nouvelle-Calédonie n’est pas une collectivité territoriale mais relève d’un régime constitutionnel qui lui est propre)