« Les enfants du désordre ». Ce titre évocateur de Grand Corps Malade était au cœur des échanges de clôture des Assises, avec un message spécial dédicace du chanteur-slameur pour le Conseil municipal des jeunes qui avait repris le morceau.
Préfet, maire de Mamoudzou, conseiller départemental et président de l’Association des maires, assistaient aux restitutions des ateliers dans l’auditorium du lycée des Lumières.
Le 1er atelier « Education et prévention » proposait :
– Renforcer l’usage des MJC avec une offre culturelle et des formateurs de qualité pour lutter contre l’oisiveté des jeunes
– Accompagnement à la parentalité des parents qui n’ont plus d’autorité
– Créer des conditions d’amélioration de la réussite scolaire, en médecine ou en écoles supérieures, et créer des classes spéciales pour les élèves décrocheurs
– Renforcer l’accès aux écoles coraniques en aménageant le temps des enfants en fonction. Un focus était fait entre une cohabitation école coranique-école laïque
Le 2ème atelier « Répression et exécution de sanctions », rebaptisé « Crimes et châtiments », proposait :
– Donner une sanction nécessaire, mais dans l’objectif de socialiser l’individu
– Création d’une cour d’appel autonome pour gagner en proximité du territoire dans la politique judiciaire
– Mise en place visible des Travaux d’intérêt général
– Affecter un nombre de forces de l’ordre proportionnel à la population réelle du territoire. Pour le préfet, il faut aussi intégrer que 60% de la population est mineure et que 80% vit sous le seuil de pauvreté
Le 3ème atelier « Maitrise des frontières et lutte contre l’immigration » proposait :
– D’instaurer Frontex
– Une transparence de l’Etat sur la volonté réelle de stopper l’immigration clandestine. Le préfet manquait de s’étouffer, mais comprenait sans doute qu’il s’agissait de moyens en hommes et en moyens nautiques.
– Un arrêt des transferts financiers qui abondent la construction des kwassas
– Davantage d’investissements des entreprises mahoraises aux Comores pour développer les échanges frontaliers et les infrastructures là-bas
– Création d’une brigade de référents maires-préfecture de Lutte contre l’Immigration clandestine
– Corriger l’attractivité du centre pénitentiaire de Majicavo
Le 4ème atelier « Responsabilités parentales », proposait :
– Sensibilisation dans les écoles dès le plus jeune âge, sur les sujets de l’éducation à la sexualité, en implantant des ‘cafés des parents’
– Transparence dans le financement des associations les plus accompagnantes de la population
– Occuper le terrain des gangs en créant des espaces d’échanges sur ces zones avec les jeunes
– Stages d’éducation parentale pour les parents d’enfants délinquants
– Ne plus délivrer d’allocation familiale au delà d’un quota d’enfants
Le 5ème atelier « Participation citoyenne et médiation » proposait :
– Redonner au chioni et à la madrassa leur rôle fondamental
– Respecter les femmes et les mères quelque soit leur statut familial
– Eduquer les pères, et s’ils sont absents, pratiquer des tests ADN pour les retrouver
– Implanter des commissariats à Koungou et Dzoumogné (actuellement en zone gendarmerie)
– Au delà des Maillots jaunes, implanter des adjoints de sécurité
– Des éducateurs de rue
– Mettre en place une plate-forme d’alerte accessible à tous
Le 6ème atelier « Pauvreté et insertion professionnelle » proposait :
– L’éradication des bidonvilles, la résorption de l’habitat précaire, les déchets ne peuvent y être collectés
– Mieux connaître les habitants de ces zones où la cellule familiale n’existe plus, et les reloger dans des villages relais s’ils peuvent rester sur le territoire
– Aller au bout des processus de démolition comme le permet la loi Elan
– Mise en œuvre d’espaces de loisir et de culture
– Permettre l’insertion des jeunes déscolarisés en leur donnant un statut
Toutes ne sont pas applicables, mais la plupart le sont au moins en partie. Le préfet Jean-François Colombet proposait un rendez-vous après les élections départementales, en avril pour les premières décisions. Face au fort risque de report de ce rendez-vous démocratique en juin, il faudrait ne pas attendre, et cocher des dates avant la fin de l’année, car ça urge.
Retour de l’école coranique au lycée des Lumières
D’autant qu’il va falloir organiser un tempo de mise en place des propositions qui colle à la réalité. Etant donné que la participation citoyenne a été fertile, il faudra d’abord observer la conséquence de la mise en place des idées novatrices, avant de dérouler de l’institutionnel. C’est à dire que pour reprendre l’exemple du maire de Dzaoudzi, Saïd Omar Oili qui déplorait que n’ait pas été abordé la santé des jeunes, « certains sont toxico avant d’être délinquants », il faudra d’abord s’attaquer à ce sujet, et voir s’ils en guérissent, avant de savoir s’il faut les enfermer dans un centre éducatif.
Idem, certaines propositions penchent en faveur d’un statut pour insérer les diplômés, quand d’autres appellent à freiner l’octroi de titres de séjour.
La difficulté qui va se poser pour mettre en musique cet inventaire à la Prévert, c’est la cohabitation entre les lois de la République et certains axes de culture locale.
En élargissant, on peut considérer que toutes les idées sont sans doute bonnes, mais pas traduisibles tel qu’elles sont énoncées. Par exemple, la proposition horizontale à chaque atelier, le retour en force de l’école coranique, est inéluctable. Mais l’évoquer dans le cadre d’une cohabitation avec l’école laïque est impossible dans l’esprit de notre République. Ce serait par exemple réintroduire aussi dans ce cas le catéchisme dans les écoles. Et risquer de marginaliser Mayotte au sein de la République. D’autre part, comme le disait Abdou Dahalani, président du CESEM, le concept est inconnu à Paris, « quand on parle d’école coranique, cela fait peur. Et pourtant, c’est le lieu de socialisation, où on apprenait à respecter nos parents et les plus âgés. » Il s’agit donc autant d’un retour des valeurs que de celui de la religion. Et de ce qu’incarnaient ces écoles, l’éducation des jeunes que les parents lui déléguaient. Un concept « d’école coranique » qu’il faudra donc peut-être redéfinir et rebaptiser, après consultation de tous, puisque le terme de madrassa est lui-même contesté par certains au sein de la société mahoraise.
Ce sujet laisse à penser que les mahorais ne doivent pas se laisser déposséder des conclusions de ces Assises au motif qu’elles ne seraient pas compatibles avec la République, mais plutôt réfléchir à comment les rendre compatible.
Anne Perzo-Lafond