Que de symboles. À commencer par celui de policiers casqués et armés sommant une famille dans le plus grand dénuement de dégager le passage. Une fillette, le visage à hauteur de flashball s’exécute, suivie de son frère. Puis de sa mère, enceinte. Son père, enfin, leur emboîte le pas. Pour aller où ? Après cinq jours passés au centre de rétention, la famille de réfugiés congolais n’en a pas la moindre idée. « Je pensais que l’on trouverait de l’aide ici », expliquera plus tard, pointant l’immeuble de Solidarité Mayotte, Jacques, dont le parcours, ou la fuite, n’est qu’une interminable succession d’espoirs et de désillusions. « J’y crois encore, je voudrais aider ce pays de toutes mes forces », lancera-t-il même quand sa femme, assise dans un coin d’ombre quelques mètres plus loin ne saura pas retenir l’eau salée de ses yeux.
Du symbole, encore, en cette rue de l’église où les demandeurs d’asile sont repoussés par les militaires de la gendarmerie mobile. « On ne demande pourtant pas grand chose, même une tente avec des sanitaires, ce serait déjà ça », se désole Isaac, originaire du Nord-Kivu. Plus officiellement, les demandeurs d’asile installés depuis deux mois devant les locaux de Solidarité Mayotte réclamaient l’égalité de traitement avec leurs compagnons d’infortunes arrivés en métropole. Soit un logement et une allocation pour le temps nécessaire à l’instruction de leurs dossiers. « Ou au moins le droit de travailler, car depuis que la vente à la sauvette a été interdite, beaucoup d’entre nous n’ont plus rien pour payer le loyer des bangas », ajoute Isaac.
21 places d’hébergement d’urgences proposées
Loin d’accéder à ces demandes, la préfecture, représentée ce matin par Nathalie Gimonet, sous-préfète en charge de l’immigration clandestine et Solidarité Mayotte auront toutefois proposé un hébergement d’urgence à 21 personnes considérées comme les plus vulnérables. Mais au fur et à mesure de l’appel en Kiswahili effectué par Jean-Paul, le ton monte dans les rangs des demandeurs d’asile à la route barrée de boucliers. La liste est jugée arbitraire. Si Jacques ne s’en plaint pas, sa famille, par exemple, est laissée sur le carreau. Une autre mère, sans logement, est atterrée. Ses camarades tentent de plaider sa cause devant Nathalie Gimonet et Romain Reille, le directeur de Solidarité Mayotte. Rien n’y fait. « On fait le maximum, on ne peut pas faire plus. Aujourd’hui, nous appelons 21 personnes et dès lundi nous allons continuer à proposer des solutions dans la limite des 50 places disponibles », assurent-ils en chœur. Avant que les gendarmes ne repoussent le groupe au bout de la rue de l’église. Dans l’espoir que la misère s’éparpille pour se rendre à nouveau invisible.
Accélérer le traitement des demandes d’asile
Car c’était bien là l’objet de l’opération de ce matin. « Redonner du calme et de la sérénité au quartier et à l’association qui ne pouvait plus travailler correctement », selon les mots de la sous-préfète; qui assure apporter la réponse « la plus humaine possible, dans un contexte très difficile». « Au vu du nombre de demandes et du peu de places, il est évident que nous ne pouvons absolument pas espérer proposer systématiquement un hébergement aux demandeurs d’asile », poursuit Nathalie Gimonet. Pas de logement donc, ni d’allocation ou encore d’accès au travail. En deux mois, le mouvement qui commençait à s’essouffler sur le bitume crasseux n’aura mené à rien. Ou presque. « Face à cette situation, nous avons dialogué avec l’Ofpra et obtenu qu’ils viennent en novembre, qu’ils reviennent en février et en janvier alors qu’il n’était pas venue depuis le mois de mars. On n’a jamais eu de missions si rapprochées », se satisfait Nathalie Gimonet, espérant voir en l’accélération de l’instruction des dossiers un début de réponse. « Le deuxième axe, c’est les reconduites. On y travaille même si la conjoncture sanitaire et les freins diplomatiques ne nous facilitent pas la tâche. »
Il est neuf heures ce vendredi matin et les rues de Cavani sont vides. Les gendarmes sont remontés dans leur camion et la police municipale veille à ce que personne ne vienne reprendre place devant l’association, « la Solidarité », comme on l’appelle chez les demandeurs d’asile. Laquelle s’est ceinte d’une banderole pour barrer son accès. Avec une affiche, indiquant la suspension (temporaire) de son activité. À l’arrêt, la Solidarité. Tout un symbole.