Une simple demande d’alignement des droits sur la métropole, et les gouvernements successifs sortent leur cache-nez, « on va provoquer un appel d’air ! », activant chez la population la crainte d’accroitre le flux migratoire.
Sous la pression populaire, l’Etat proposait en réponse à cette demande de convergence, de multiples plans ou contrats. L’échéance de l’un d’entre eux, Mayotte 2025 approchant d’ailleurs à grand pas, sans aucune évolution notable.
Commençons par la dernière déclaration sur la question, celle du secrétaire d’Etat à la Protection de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet. La demande des élus sur l’application à Mayotte de la circulaire Taubira de mai 2013 répartissant le nombre de mineurs isolés étrangers sur l’ensemble des départements français, est formalisée dans le courrier qu’ils ont rédigé au premier ministre, « il est impossible sur un territoire de 374km? de pouvoir être efficace pour faire face à l’ampleur du phénomène des mineurs non accompagnés et de jeunes majeurs désocialisés estimés de 12.000 à 15.000 personnes selon les forces de l’ordre à Mayotte ». Les élus sont désormais unanimes pour dire qu’il vaut mieux un mineur délinquant risquer d’être déraciné, plutôt que de le voir détruire la vie des autres et la sienne.
En réponse, le secrétaire d’Etat avait répondu « appel d’air » : « Si on applique la clef de répartition entre départements ici, en envoyant un certains nombre de mineurs en métropole, je ne vous donne pas 6 mois pour que le nombre de mineurs isolés soit multiplié par 10 ».
Une économie en rang d’oignons
Autre différenciation négative, la circulation des titres de séjour. Une carte de séjour délivrée à Cayenne (Guyane) autorisant au séjour et au travail permet d’entrer en métropole et d’y séjourner mais pas d’y travailler. La même carte de séjour délivrée à Mayotte ne donne même pas le droit d’entrer en métropole.
Idem, contrairement à la Guyane, les demandeurs d’asile à Mayotte ne bénéficient pas de l’ADA, l’Allocation pour demandeur d’asile versée quelques mois en attendant la décision de l’OFPRA sur la demande d’asile. Ce qui entretient l’économie informelle, les vendeurs d’oignons se multipliant sur le territoire.
Du côté des allocations et des minimas sociaux, la barre semble figée à 50%. C’est le cas du RSA, dont on nous avait promis un rattrapage graduel.
Nous avons recueilli le témoignage doublement intéressant de Carla Baltus, présidente du Medef Mayotte, et guyanaise de naissance, qui dresse un parallèle : « Si les minimas sociaux atteignaient le niveau national, nous ne serions pas obligé de mendier des aides, particulièrement en cette période de confinement à Mayotte. J’avais sollicité le président Macron à ce sujet, il m’avait répondu que cela pouvait créer un appel d’air. Pourtant, en Guyane, terre de migration en masse des Haïtiens, des Brésiliens ou des Surinamiens, les minimas sont à 100% ».
Les retraites sont moitié moindres à Mayotte, avec une moyenne de 650 euros pour un pensionné ayant une durée d’assurance complète, et l’Allocation Spéciale pour Personnes Agées (ASPA) est également de 50% inférieure au reste du pays.
L’appel d’air rend frileux, y compris la population
Ce qui n’arrange pas nos affaires, et c’est aussi l’ironie de l’histoire, c’est que la population elle-même utilise cet argument. « Lorsque nous construisons des écoles ou des PMI, on entend, ‘ça ne sert à rien, ça ne sert pas les mahorais’. Mais les mêmes vont à La Réunion pour le suivi de grossesse en se plaignant que le service ne soit pas au niveau à Mayotte », témoigne Issa Issa Abdou, 4ème VP du Département, Chargé de l’Action sociale. « Du coup, on tombe dans le même panneau, on ne développe pas le territoire. On se trompe de combat. IL faut embellir et développer Mayotte. Nos adversaires en profitent pour ne pas investir dans les infrastructures pour les mêmes raisons. Réveillons-nous ».
Pour tenter d’évaluer le risque « d’appel d’air » que ferait peser une convergence des droits, nous nous sommes penchés sur l’écart de développement actuel entre Mayotte et sa région. On sait que le PIB par habitant est 4 fois inférieur au niveau national, et deux fois et demi plus faible que dans les autres DOM, mais qu’il est 13 fois plus important que celui des Comores et 25 fois supérieur à celui de Madagascar, selon les données 2017 de l’INSEE, et la maxime du précédent directeur local de l’INSEE, Jamel Mekkaoui, « Mayotte, riche parmi les pauvres, et pauvre parmi les riches. »
La Guyane, autre « riche parmi les pauvre… »
Même constatation lorsque l’on regarde l’Indice de Développement Humain (IDH), qui prend en compte non seulement le revenu par habitant, mais aussi l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation des enfants de 15 ans et plus. Le niveau de développement de Mayotte était déjà supérieur à celui de l’Afrique du Sud en 2005 et 50 % plus élevé que celui des Comores. Faut-il revenir en arrière et annihiler nos avancées en espérant stopper l’immigration clandestine ?
Lorsqu’on regarde du côté des autres DOM, les départements français d’Amérique possèdent le plus haut niveau de développement humain de la Caraïbe, « et la Guyane devance tant le Brésil que le Suriname » (Consulter AFD Quel niveau de développement des DOM et COM ?).
Le constat final porte sur notre département qui reste à la traine du développement à la fois économique et humain : « Le niveau de développement humain atteint par les départements et communautés d’outre-mer en 2010 les plaçait dans la catégorie des pays à développement humain très élevé, ou élevé (Guyane, Réunion et Polynésie). Un seul département français, Mayotte, figurait, en 2005, dans le groupe des pays à développement humain moyen. »
L’écart de développement entre Mayotte et ses voisins ne date donc pas d’hier, la crainte de l’appel d’air ne saurait donc trouver cette justification pour bloquer le développement de Mayotte. Surtout qu’elle n’est pas retenue en Guyane où pourtant 20.000 migrants ont été accueillis en 6 ans.
Ce retard se résume en un chiffre livré par Dominique Sorain quand il était préfet de Mayotte : « l’effort de fonctionnement de l’Etat par habitant en 2018 était de 4.268 euros à Mayotte contre 7.598 en Guyane. » Quasiment la moitié.
Arrêtons avec cette excuse, et menons le développement de Mayotte comme les autres DOM, tout en menant, comme le demandent les élus, une véritable coopération avec l’Union des Comores, sur les problématiques de sécurité, de justice, de santé, d’éducation et d’économie pour fixer durablement les populations chez elles.
Anne Perzo-Lafond