Hébergement, enquêtes sociales, l’Acfav lève le voile sans filet

Elle est au coeur de l’actualité de l’île. L’ACFAV (Association pour la condition féminine et aide aux victimes) est notamment à la manoeuvre pour réaliser des enquêtes sociales et proposer des solutions de relogement aux habitants des quartiers détruits dans le cadre de la loi Elan. Autre actualité, l’association a été placée début mars sous administration provisoire par la préfecture. Son avenir est incertain et pourtant, assure la directrice par intérim Saoudata Daniel, ce n’est pas faute d’avoir fait preuve de bonne volonté sur le terrain. Malgré des difficultés propres à l’île.

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"Tout le monde et la préfecture en premier lieu sait très bien que lorsqu’un bidonville comme celui de Carobolé est détruit sans solution de relogement pérenne pour ses habitants, cela revient automatiquement à en créer d’autres ailleurs, dans des conditions encore plus dégradées et exposant leurs habitants à de grands risques", déplore l'architecte.

Le Journal de Mayotte : Quelles sont vos capacités d’hébergement et quelles sont leurs conditions d’accès ?

Saoudata Daniel : Nous disposons aujourd’hui de 291 places d’hébergement. Ce service existe depuis fin 2010 et nous commencions alors avec une douzaine de places. Du chemin a été fait ! Au vu des besoins, il était impératif que la capacité d’accueil évolue. Ces 291 places comprennent à la fois de l’hébergement d’urgence et de l’hébergement de stabilisation. Dans le premier cas, nous sommes sur une durée maximale de trois semaines. Dans l’autre, qui n’existe nul part ailleurs, l’hébergement peut durer jusqu’à six mois. Autre différence, l’hébergement d’urgence est inconditionnel, il faut simplement que la demande soit faite par une personne majeure. Quelle que soit la problématique d’origine ou la situation administrative de la personne, celle-ci peut être accueillie. Ce n’est en revanche pas le cas pour les places de stabilisation, qui constituent la majorité de notre offre. Il faut dans ce cas que la personne soit en situation régulière sur le territoire ou ait au moins un récépissé de demande de titre de séjour. Dès lors, tout un accompagnement social pour l’accès au droit et la recherche d’une solution de logement pérenne se met également en place.

Le J.D.M : Comment en êtes-vous venus à procéder à des enquêtes sociales et comment se déroulent-elles ?

S. D. : Suite au sinistre qui s’est produit à Koungou en 2018 où une femme et quatre enfants ont perdu la vie suite à un glissement de terrain, nous avons crée un service d’enquête sociale.

Dès lors, nous avons été mandatés pour les réaliser dans plusieurs cadres. Dans un premier temps, cela se passait pour les familles qui se situaient sur un terrain privé en amont d’une procédure d’expulsion. Désormais, nous sommes également sollicités dans le cadre de la loi Elan. Nous sommes alors saisis par la DCS (ex-DJSCS), elle-même saisie par le préfet pour réaliser ces enquêtes sur un périmètre donné. Sur le terrain, nous nous rendons alors auprès des familles et réalisons cette « photographie sociale » auprès des

Jean-François Colombet sur place lors des opérations de démolition

ménages qui l’accepte. Nous avons une fiche à remplir avec différentes caractéristiques comme les revenus, la scolarisation des enfants etc. Et nous ajoutons à cela une évaluation, une analyse. Tout cela est ensuite transféré à la DCS.

Normalement, notre mission s’arrête là. Sauf que depuis les dernières opérations, nous nous sommes rendus compte qu’un certain nombre de familles ne trouvent pas de solution de relogement au regard du délai qui leur est accordé. Le jour de la démolition, nous proposons donc une permanence pour ces familles. On rencontre alors des personnes déjà interrogées comme de nouvelles.  Que ce soit en amont ou lors de la démolition, on propose un hébergement pour les familles qui le souhaitent. En fonction de nos capacités d’accueil on héberge alors, ou pas, les personnes au sein des deux dispositifs d’accueil.

Le J.D.M : Cette permanence vient-elle aussi pallier le fait que toutes les familles n’aient pas été rencontrées avant la démolition ?

S. D. : Oui, il y a beaucoup de famille qu’on ne rencontre qu’à l’occasion de la démolition. Il y a forcément des absents le jour de notre passage et même si on laisse nos coordonnées, ça ne fonctionne pas toujours. Il y a aussi les personnes qui n’ont pas souhaité participer aux enquêtes, ou encore des familles qui changent d’avis, qui pensaient pouvoir trouver une solution mais au vu du rythme des opérations et de certaines dérives, celles-ci ont peur et demandent finalement à être relogées.

Le J.D.M : Est-il possible que toutes les personnes ne puissent pas être relogées ?

S. D. : Si nous n’avons plus de places disponibles, comme c’est aujourd’hui le cas, d’autres structures doivent prendre le relai. Cela dit nous sommes la structure avec la plus grande capacité d’hébergement tout public. Pour l’instant, nous n’avons pas encore été dans la situation où nous ne pouvions plus héberger ceux qui étaient demandeurs faute de place. Sauf que c’est une situation qui va se poser très rapidement. Au vu du rythme et de l’ampleur des opérations c’est une évidence. Par exemple, avec celle prévue prochainement en Petite-Terre, je ne vois pas comment, mathématiquement, nous pourrions répondre à la demande. L’offre d’hébergement sur l’île est évidement inférieure aux besoins.

Le J.D.M : À quelles limites vous heurtez-vous sur le terrain ?

S. D. : Pour l’instant, la plus grosse problématique est liée aux personnes ou aux familles qui ne souhaitent pas être enquêtées. C’est la grande inconnue. Je dirais que c’est le cas pour 15% des ménages mais c’est impossible de dire combien de personnes cela représente. Les chiffres peuvent allers très vite selon les compositions familiales. Ce qui veut dire que, potentiellement, un grand nombre d’enfants se retrouvent en situation d’extrême précarité sans que l’on ait pu les identifier. On sait qu’ils sont là mais nous n’avons pas la main pour agir. C’est ce qu’on appelle « le public invisible ».

Je ne saurais pas dire pourquoi certains ménages refusent, il peut y avoir multiples raisons.

L’autre limite tient sans doute aussi au manque de dialogue. Le jour des démolitions, c’est catastrophique. Heureusement que pour l’instant, nous n’avons pas eu trop d’enfants présents mais pour ceux qui étaient là, voir sa maison détruite sans véritable dialogue préalable, c’est forcément très traumatisant. Déjà que ça l’est pour les adultes…

Le J.D.M : Comment faire face à ces limites ? Est-ce qu’il y aurait une meilleure méthode ?

S. D. : Il y a forcément beaucoup de choses à faire pour que ça se passe mieux. De notre côté nous avons fait évoluer nos interventions face à cela. Par exemple, on essaye de garder au maximum le lien avec les familles, même après la destruction. Surtout, alors que nous n’avons pas vocation à le faire, nous retournons sur site après l’opération. Nous essayons aussi de faire le relais avec les acteurs de proximité ou ceux qui ont les compétences pour agir. On s’appuie sur des écoles, des enseignants, on compte sur les CCAS… Là où ça fonctionne ! Mais aussi la police municipale où le lien est bon sur certains secteurs. Et bien sûr, les différents travailleurs sociaux présents sur le terrain. L’objectif est d’avoir la connaissance la plus fine, exhaustive, des personnes présentes et voir comment

Sibeth Ndiaye accueillie par Faoudzia Kordjee, l’ancienne présidente de l’ACFAV, désormais remplacée par Sophiata Souffou.

le relai peut être fait pour permettre un accès aux droits. Ne serait-ce que sur la santé, l’alimentaire, des choses basiques mais essentielles.

Il ne faut pas se leurrer, on ne peut pas répondre à tous les besoins, le retard est beaucoup trop grand sur le département, mais on essaie. Notre philosophie est de profiter des enquêtes sociales pour donner le maximum d’information pour l’accès aux droits élémentaires.

On peut aussi basculer d’un service interne à un autre. Par exemple à Dzoumogné, où il y a eu des dérives, les habitants nous ont d’abord vus pour notre mission d’enquête sociale, ensuite pour l’hébergement. Et désormais, certains nous voient concernant notre mission d’aide aux victimes. Concrètement, dans ce cas précis on est dans l’accompagnement au dépôt de plainte, on essaie de faire valoir les droits des personnes qui ont été bafoués.

D’ailleurs, depuis Dzoumogné, nous nous sommes rendus compte qu’il était important de tenir des permanences plus longues lors des destructions. Car les gens se cachent, ont peur, ils attendent avant de venir.  Nous sommes donc restés plus longtemps à Koungou, même si ça n’a pas changé grand chose au vu du nombre de personnes qui sont venus nous voir…

Le J.D.M : Au vu du contexte local, l’accompagnement à travers le relogement porte-t-il ses fruits?

S. D. : La limite, je ne peux pas l’ignorer en tant que travailleuse sociale. Alors que nous avons mis en place pendant un certain temps tout un accompagnement, voir des personnes retomber dans la situation initiale est forcément un échec. Mais il faut comprendre les raisons de cet échec. D’abord, rappelons que lorsque les familles sortent de notre dispositif, elles ne peuvent pas prétendre à un logement social au vu du nombre de places dans le parc. Leurs ressources faibles ne le permettraient d’ailleurs souvent pas. Se pose aussi la question de la temporalité. Très concrètement, proposer un hébergement sur six mois c’est mieux que trois semaines mais ce n’est pas suffisant. Dans l’état actuel des choses, eu égard à l’accès aux droits et au temps que les démarches prennent sur le territoire, ça ne fonctionne pas. Et dans le cas où la personne a un récépissé de titre de séjour par exemple, comment fait-on pour activer les démarches alors qu’on se retrouve avec un service des étrangers fonctionnant, au mieux, au ralenti ? Comment fait-on pour faire bénéficier de leurs droits les personnes qui peuvent y prétendre alors même qu’elles se retrouvent pendant plusieurs mois sans pouvoir faire renouveler ou obtenir leur titre ? Travail, logement et tant d’autres choses demandent un titre de séjour. Impossible d’espérer une insertion par le logement ou le travail sans cela.

Parfois on se demande quel sens donner à notre intervention dans ces conditions. Mais nous avons décidé d’avoir la démarche inverse et d’être proactifs, d’ouvrir le maximum de droits dans le délai d’intervention qui nous est imparti.

Le J.D.M : Cette démarche ne risque-t-elle pas d’être freinée par la récente mise sous administration de l’association ? Quels sont les impacts de la mauvaise situation de l’ACFAV sur votre travail ?

S. D. : Ça a forcément un impact psychologique, d’abord. Nous avons eu plusieurs inspections et dans le même temps nous n’avions que très peu d’information sur l’avenir de la structure. On savait simplement que ça n’allait pas. Les derniers mois, dans ces conditions, ont donc été très difficiles. Heureusement, nous avons une équipe de travailleurs sociaux extrêmement motivée et qui a été peu impactée dans son quotidien. L’activité a continué et nous avons pu développer de beaux programmes.

Un administrateur arrive, on espère qu’il va nous aider à relever la structure. Mais du côté des équipes terrain, on essaie de se rassurer avec nos acquis; nous avons notre place, une belle expertise, beaucoup de choses à apporter. On est passé par des moments difficiles, des départs, des arrivées, une nouvelle organisation s’est mise en place dans une nouvelle dynamique qui prend. Pourvue que l’on reste sur cette lancée…

Propos recueillis par Grégoire Mérot

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