Pourquoi depuis le début de la crise sismique, les sismomètres enregistrent plusieurs essaims, principalement un tout près de Petite Terre et un autre plus éloigné vers l’est ? Pourquoi des signaux très basse fréquence sont enregistrés sous le premier essaim ? Et pourquoi ces bulles autour de Petite Terre depuis la fin des années 1990 ?
Autant de questions qui ont fait l’objet de moult hypothèses, et qui commencent à se préciser. Un travail scientifique de l’équipe de Nathalie Feuillet de l’IPGP a été publiée sur le site eartharxiv (en anglais) en attendant une publication dans la revue Nature Geoscience. Dans ce document, une infographie a été jointe avant d’être reprise sur Internet. Intéressante pour mieux comprendre ce qui se passe sous terre, elle est aussi à prendre avec des pincettes. Explications.
Le document sur lequel nous nous attarderons est celui positionné en haut de cet article. Plus bas, une infographie, moins détaillée, offre une approche analogue.
En premier lieu il est important de rappeler que ces dessins ne sont que des illustrations déduites des relevés des sismomètres fond de mer. Elles ne reposent que sur les séismes enregistrés et constituent jusqu’à preuve du contraire, une hypothèse.
En R1, une chambre magmatique alimente le nouveau volcan situé à 50km à l’est. Le magma n’ayant pu se frayer un chemin à la verticale s’est déporté vers l’est, générant via la chambre magmatique R2, une éruption lointaine. Et c’est heureux pour les habitants de l’île.
C’est là que les premières manifestations de l’éruption à venir se font sentir dès mai 2018. En SWARM1 (essaim 1 en anglais), la vidange de la chambre magmatique crée un affaissement, et attire Mayotte vers le fond. D’anciennes failles, qui laissaient passer du gaz depuis au moins 20 ans, bougent sous l’effet de la pression. Plus à l’est, le magma se faufile et fracture la roche vers le nouveau volcan, c’est l’essaim secondaire (Swarm2).
Ce scénario explique la présence à la verticale de l’essaim primaire la présence de ce qui, selon les travaux de l’équipe de Nathalie Feuillet, s’apparente à une vaste et ancienne caldeira, témoin d’éruptions passées sur la même zone.
Oui mais c’est aussi dans cette zone que se trouvent les signaux très basse fréquence enregistrés à de multiples reprises, et qui sont généralement le signe d’une activité de fluides. L’hypothèse actuellement défendue par l’équipe de scientifiques repose sur la présence d’une troisième chambre magmatique située à quelque 20km de profondeur, en R3 sur l’infographie.
Toutefois c’est là que la prudence s’impose. En effet sur le dessin proposé ci-dessus, les séismes indiqués en jaune (5) semblent remonter jusqu’à la surface. En les assimilant à un mouvement de fluide, on pourrait de suite penser à une éruption. Or, ces séismes, s’ils sont précisément localisés en longitude, latitude et… magnitude, leur profondeur est encore mal évaluée par les appareils. C’est pourquoi ils semblent s’étaler sur plusieurs kilomètres de croute terrestre alors qu’ils sont sans doute tous localisés dans une unique chambre. C’est là que le schéma pourrait être faussement inquiétant. L’idée d’une éruption secondaire plus proche des côtes n’est pas exclue, puisque d’autres ont eu lieu par le passé, en témoignent les reliefs du Fer à Cheval par exemple. Mais pour l’heure, aucune étude n’accrédite une remontée de magma à cet endroit. Selon l’IPGP, ce sont les mouvements de faille situés sous ce réservoir R3 qui feraient bouger ce réservoir.
C’est aussi l’incertitude et le principe de précaution qui font que cette zone est surveillée de près, et que les missions en mer, présentées comme impossibles il y a trois ans à peine, se sont depuis multipliées à un rythme alors improbable. Les dernières missions ont notamment étudié les panaches observés dans la couche d’eau située au dessus de cette caldeira, et devraient fournir des résultats dans les prochaines semaines.
Ce qui est sûr, c’est que la science progresse à son rythme, et à grands renforts de moyens publics face à un phénomène qui passionne les professionnels du monde entier.
Il est par ailleurs intéressant de noter que le scénario décrit dans ces infographies est similaire à celui actuellement observé en Islande où une éruption provient, elle aussi, d’une chambre lointaine. Là bas, le magma offre un spectacle féérique dont les habitants n’hésitent pas à s’approcher. A 4000m de profondeur, nous n’aurons pas ce loisir.
Y.D.