Le matin, les automobilistes perdent des heures dans les embouteillages. Multiplier le réseau routier alors que de plus en plus de personnes conduisent des voitures, c’est un défi. Il en va de même pour le numérique. Nous sommes actuellement un département à la fois embouteillé, et sous doté en transports en commun numérique. Dans une vaste zone au sud de l’île, « ça rame » encore. Mais nous bagarrons nous autant pour le numérique que pour la piste longue, pourtant tout autant synonyme de désenclavement du territoire et de baisse des prix ?
Les Assises du numérique impulsées par le recteur Gilles Halbout, et mises en musique par Yves Rajat, directeur local de l’Agence Française de Développement, ont pris racine dans les Etats généraux du numérique voulues par le ministre de l’Education nationale à l’issue du 1er confinement. L’ensemble des acteurs du territoire a été sollicité, Etat, collectivités, entreprises, associations, opérateurs télécoms, parents d’élèves, etc. Ils ont été 200 à participer sous forme digitale, débouchant sur 115 actions, « dont un quart sont déjà initiées », commentait le cabinet conseil sollicité pour organiser l’événement.
« Avec ces Assises, nous avons obtenu en quelques jours, des réponses que nous attendions depuis des années », se réjouit Feyçoil Mouhoussoune, président du GEMTIC, le Groupement des Entreprises Mahoraises des Technologies de l’Information et de la Communication.
Ce n’est pas une excuse, mais la sous-dotation de l’île tient notamment à la jeunesse des installations. Avant 2012, c’est la tonalité à ressort qui accompagnait chaque connexion, « nous n’avions pas d’ADSL, aucun câble sous-marin ne nous raccordait. Pendant que les autres DOM travaillait sur le très haut-débit*, à Mayotte, on s’équipait en ADSL*. Nous avons un décalage de 10 ans », rappelle Faouzat Mli, Directrice des Systèmes d’Information et du Numérique au Conseil départemental.
Le rectorat en appui du conseil départemental
C’est la Région qui a la compétence en matière de numérique, que doit donc assumer le conseil départemental à Mayotte, à travers son Schéma directeur Territorial d’Aménagement Numérique (SDTAN) validé en 2013, sur lequel s’est appuyé la feuille de route issue des Assises.
Celle-ci répond à 4 axes de développement : améliorer la connexion de la population aux réseaux internet, équiper le plus grand nombre en matériel et services informatiques, améliorer le taux d’emploi dans le domaine du numérique en créant de nouvelles formations diplômantes et certifiantes et créer des structures accompagnant cette prise en main par la population.
Des exemples concrets d’actions volontaristes car boostant pour certaines les compétences du conseil départemental, étaient rappelés par Gilles Halbout : « Nous avons contractualisé avec Orange sur le zéro rating d’accès gratuit et illimité pour les élèves aux sites pédagogiques du rectorat, nous avons mené des travaux de raccordement à la fibre optique des établissements scolaires sur les derniers mètres avec le Département, nous avons fait remonter les projets des15 mairies qui ont répondu pour équiper les écoles finançables par l’Etat, nous allons bénéficier de 12 millions d’euros du fond européen de relance REACT-EU pour le second degré et la formation des enseignants et nous allons ouvrir à la prochaine rentrée un BTS Systèmes numériques, et la certification PIX de valorisation des compétences numériques sera proposées aux élèves et enseignants qui le souhaitent. »
Trouver 150 millions pour livrer la fibre à domicile
Des initiatives déployées en tenant compte du débit d’inégale qualité sur le territoire. La boussole en ce domaine, c’est donc le Schéma directeur du conseil départemental. Il a pris du retard, et doit être actualisé, indique Faouzat Mli : « Il a permis la mise en place d’un réseau d’initiatives publiques, mais le réseau de collecte du sud doit encore être déployé, 2.700 foyers doivent en bénéficier ». Il reste à installer un bouclage qui doit sécuriser les branches en cas de coupures, « et installer une liaison en fibres optiques entre Petite et Grande Terre, pour un investissement de 3 à 5 millions d’euros ». Mais le gros morceau, c’est le projet FTTH, pour « Fiber to the home », c’est à dire, « la fibre optique jusqu’au domicile ». « Le projet se monte à 150 millions d’euros sur 5 ans, avec un plan de financement qui prévoit des investissements privés à 52%, et l’autre partie par les partenaires Etat, Feder, intercommunalités, etc. » Pour l’instant, seuls 4,5 millions d’euros sont garantis par le plan de relance pour 2022, il faudrait donc une révision à la hausse du programme opérationnel européen et de la dotation de la part de l’Etat, comme le prévoit le Plan France Très Haut Débit.
C’est donc dans cet environnement contraint par les investissements de l’Etat, des fonds européens ou des opérateurs comme Orange, que sont déclinés les projets qui eux, ne manquent pas d’envergure. Le cluster informatique de Feyçoil Mouhoussoune est un emblème : « Si nous voulons réussir la transition numérique, nous devons intégrer tous les acteurs, c’est pourquoi le GEMTIC se mue en cluster, qui deviendra un écosystème de l’économie du numérique, pour notamment dégager de la valeur ajoutée. » Les nouveaux partenaires amenant leurs propres besoins, par exemple le E-santé, les financements et les formations en découleront. Un portail numérique sera créé, « où les acteurs du numérique ou les usagers en recherche d’information pourront trouver leur bonheur. »
Parmi les 115 actions à mettre en œuvre, on trouve également la multiplication des hotspot publics, embarquer les collectivités dans le développement du numérique, former les enseignants et les parents, digitaliser les formations, etc. Et le bus du numérique, excellent support itinérant mis en place par la Cité des Métiers, en plus de ses 11 plateformes numériques, « nous voulons toucher 50.000 personnes d’ici 2 ou 3 ans », expliquait Youssouf Moussa, directeur du CARIF OREF/Cité des Métiers. Un bus qui gagnerait même à être démultiplié, pour créer du lien sur ce territoire où le taux d’équipement en téléphone portable atteint 90%, mais où seuls 17 % des ménages sont connectés en haut débit à leur domicile.
« Au 21ème siècle, un territoire qui n’est pas connecté est un territoire qui se meurt », avait alerté Yves Rajat en introduction. De nouvelles bases viennent d’être données.
Anne Perzo-Lafond
* L’ADSL est une technologie permettant de transporter des données internet sur une ligne téléphonique fixe dédiée à l’origine au transport des communications vocales. Communément nommée « haut débit » dès 512 Ko/s. On qualifie de « très haut débit » les technologies permettant des débits supérieurs à ceux de l’ADSL