« Monsieur pourquoi on fait ça ? »
Face au chef Papa, officier de police judiciaire à la brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ), cette première question d’un lycéen a donné un coup d’accélérateur aux échanges entre ces jeunes, sélectionnés parmi des classes jugées « turbulentes » et le gendarme. « Pour réfléchir » répond ce dernier, avant de pousser peu à peu les lycéens dans leurs retranchements.
En préambule, le militaire qui « ne fait que de la prévention » précise-t-il pour rassurer son auditoire, fait le tour des principales infractions liées aux violences. De la contravention (passible d’une amende) aux crimes (meurtres, assassinats, viols, vols à main armés) passibles de longues peines de prison en passant par les délits. Une étape intéressante pour cerner la vision qu’ont ces adolescents de la justice républicaine, dont les contours sont plutôt méconnus. Par exemple, à quel âge un jeune peut-il répondre devant la justice de ses actes ? Certains diront 18 ans, d’autres 16, ou 15. Quand le militaire demande à quel âge on peut aller en prison, l’un des lycéens s’exclame « 13 ans ! ». Bingo. Car un adolescent est responsable devant la loi dès qu’il est jugé en mesure de distinguer le bien du mal, résume en substance le gendarme. Et ce dernier de préciser qu’une vingtaine de mineurs sont actuellement en prison à Majicavo. Âgés de 13 à 18 ans, et principalement mis en cause dans des faits criminels.
Dénoncer pour protéger
Interrogés d’ailleurs sur ce qu’est un crime, l’un propose « agresser quelqu’un », un autre « torturer jusqu’à la mort ». Dans la classe exclusivement peuplée de garçons, aucun ne pensera au viol, évoqué finalement par le gendarme.
Du sourire gêné au silence grave, le groupe suit le chemin de la prise de conscience. Notamment quand l’officier confronte les jeunes à leurs contradictions. Ayant décrit ce qu’est un crime, et précisé qu’un complice encourt la même peine que l’auteur principal, il précise que dénoncer des faits graves, si possible avant qu’ils n’aient lieu, c’est « d’abord protéger, ce n’est pas dénoncer pour dénoncer ».
« Oui mais si on dénonce, c’est nous qui sommes victimes de violences ensuite » rétorque au fond de la salle un participant. Le gendarme entreprend alors de retourner la situation. « Et si un ami apprend que quelqu’un veut s’en prendre à ton petit frère, mais qu’il ne te le dit pas par peur d’être agressé, tu en penseras quoi ? »
Se taire et se venger, vraiment ?
Ni une ni deux, le lycéen promet de « se venger » dans un cas pareil, avant d’esquisser un sourire, ayant compris l’effet de manche du Chef Papa. Un message était passé : la loi du silence ne protège pas tant que ça. Le gendarme embraye sur un autre exemple. « Si vous avez connaissance qu’un bus va être caillassé et que vous ne prévenez personne, et que le bus est attaqué, il y a peut être 50 élèves dedans, c’est potentiellement 50 morts, qui ici pourrait dormir avec ça sur la conscience ? » Là encore, les élèves hochent la tête. Ces exemples du quotidien, la plupart les connaissent de près ou de loin, et ils n’ont pas été choisis par hasard. Car si l’enceinte du lycée est relativement préservée par les violences, le « hub » de transports scolaires attenant est, lui, régulièrement le théâtre d’affrontements entre bandes rivales.
Après une partie axée sur l’échange verbal, les élèves se sont vu proposer un film de prévention, pour montrer « ce qui peut arriver, et qui arrive d’ailleurs parfois » lorsqu’on s’engage dans un fait violent : l’engrenage, la vengeance, et au final, ce qui s’est passé ces derniers mois, « des meurtres » déplorent ces élèves.
Au bout de deux heures d’échanges, la prise de conscience des conséquences de ces bagarres stériles s’est peu à peu ajoutée à celle des mécanismes qui les nourrissent. Et si dans chacune des classes ayant participé, ne serait-ce qu’un ado adopte le réflexe d’appeler le 17 quand il a connaissance d’un guet-apens, c’est bien toute l’île qui en sortira gagnante.
YD