A Mayotte, les centrales de production d’électricité d’EDM, Badamiers et Longoni, consomment la moitié du gasoil importé. La substitution de cette énergie fossile par une énergie verte ferait donc grimper d’un coup la part du renouvelable dans le mix énergétique qui a stagné à 5% pendant plusieurs années pour passer à 6% récemment. Tout est à entreprendre.
En novembre 2020, alors qu’il a posé ses valises depuis peu à Mayotte pour prendre les rênes d’EDM, Claude Hartmann lance le projet d’alimentation d’un groupe de la centrale électrique des Badamiers à partir d’huile végétale, du colza. Le 2 juin, un des moteurs bascule, sans modification, du gasoil à cette énergie bioliquide. Avec succès pour l’instant, informait Claude Hartmann devant les médias locaux ce mercredi à la centrale : « Nous avons obtenu l’autorisation de ce test unique dans l’océan Indien par le régulateur du secteur énergétique pour commander 307m3 de biocarburant qui approvisionnent un de nos moteurs des Badamiers pendant un mois. » EDM a été accompagné par son partenaire Wärtsila pour mener cette phase test.
Cela ne se traduit pas par une baisse de chiffre d’affaires pour la société Total Mayotte qui approvisionne l’île en gasoil, puisqu’elle a été sollicitée pour importer ce biocarburant sur cette phase test. Sa directrice générale, Anne-Sophie Miel, était présente pour cette annonce : « Nous avons importé ce carburant à base d’huile végétale de colza depuis la métropole car nous sommes dans l’obligation de respecter les normes française. »
La centrale des Badamiers sauvée par le colza
Pour Claude Hartmann, l’objectif est de pousser jusqu’à la conversion totale des centrales au produit végétal « en lieu et place du gasoil » : « Pour cela, nous devons attendre les résultats de l’ensemble des analyses, puis obtenir l’accord de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui pilote la transition énergétique en France, et enfin l’aval de la Commission de Régulation de l’énergie », la CRE.
La CRE a donné en février 2020 les grandes orientations énergétiques pour les années à venir à Mayotte. On peut notamment y lire que des preuves sont attendues sur l’utilité de maintenir ouverte la vieille centrale de Petite Terre. Notamment la demande faite à EDM d’une « estimation des coûts de prolongation de la centrale des Badamiers pour évaluer la pertinence économique d’engager un chantier de travaux conséquents » à y mener. Devant les médias, le directeur d’EDM disait tout le bien qu’il pensait de cette centrale née en 1987, agrandie en 1998, et qui alimente aujourd’hui 13.000 foyers : « Badamiers a le même avenir que Longoni. Avec une croissance de la demande électrique de 3% par an, et 48.000 clients à satisfaire, nous avons besoin de ces deux sites de production. Elle produit à elle seule 25 % de l’énergie de l’île. »
Le salut de la centrale pourrait donc passer par le colza. Dont le process est expliqué par Echat Nourdine, Chef de projet essai bioliquide : « Nous avons choisi de travailler sur cet ester d’huile végétale en le mélangeant avec du méthanol pour en diminuer la viscosité. Un procédé déjà testé en Guadeloupe par EDF PEI. » Des fioles au look d’analyse d’urine étaient proposées en démonstration, aucune odeur particulière pour ce nouveau carburant.
Bascule dès 2023
Accueillis comme une alternative heureuse aux carburants polluants, l’enthousiasme suscité nationalement par ces biocarburants a été ensuite nuancé. On leur a reproché d’émettre davantage de CO2 dans la nature, ce que dément fortement la présentatrice du projet, « nous sommes à zéro gramme par kilowatt-heure ». Mais c’est aussi leur besoin en surface cultivée qui a été dénoncée, un concurrent pour d’autres productions alimentaires. Si Echat Nourdine explique qu’il s’agit d’un coproduit, le tourteau de colza servant à la fois à la nourriture animale et au biocarburant, il n’en demeure pas moins qu’à très grande échelle, le problème du partage du foncier cultivé se posera. Reste à en estimer le bénéfice pour la planète comme le faisait remarquer Claude Hartmann, en la comparant à une énergie fossile non extensible et polluante.
Selon la projection de l’opérateur, la conversion des Badamiers pourrait se faire dès 2023. « Ce sera plus facile qu’à Longoni où nous sommes à 2km du port, car la centrale des Badamiers est reliée à l’approvisionnement par un pipeline. » En cas d’accord global, Longoni pourrait basculer au bioliquide en 2025. A prendre en compte, pour la production d’un KWh, il faut 13% d’énergie végétale supplémentaire.
Pour le test, le produit est arrivé par container isotank, et non par pipeline, étant donné la faible quantité. Il approvisionne les cuves de stockages de 20m3 chacune qui remplissent au fur et à mesure les cuves journalières.
Si les 4 moteurs de Badamiers 1 sont promis à la casse, les 4 autres de Badamiers 2 devraient donc prendre le relais et être alimentés en biocarburant lorsque les autorisations seront délivrées, « et que nous aurons déterminé avec précision les coûts de conversion. Total étudie à notre demande les différents scénarios chiffrés », conclut Claude Hartmann.
Anne Perzo-Lafond