“Pas de levée des barrages tant que nous n’aurons pas rencontré le préfet et le procureur !” Après une suspension de réunion, la sortie de Moutoin Soufiane est des plus claires. Et semble faire l’unanimité au sein de la vrombissante délégation qui remplit les escaliers et le hall de la Maison France services de Combani. “S’ils nous avaient dit ça plus tôt, on aurait gagné du temps”, glisse en aparté et les yeux au ciel un participant à cette longue entrevue. Laquelle opposait ou réunissait, c’est selon, les maires de la communauté de communes centre-ouest et les figures de proue des barrages.
Il est vrai qu’il aura fallu bien du temps avant que ne s’entament les pourparlers en vue d’une levée des barrages. Avant cela, les “citoyens” et leurs collectifs n’ont pas manqué de pointer la responsabilité de l’État et des élus dans l’insécurité qui gangrène l’île. Et les maires, Houssamoudine Abdallah en tête, de renvoyer la balle dans le camp de la population, coupable selon lui d’héberger des personnes en situation irrégulière. Car des
élus aux collectifs, c’est bien dans dans ces foyers que l’on trouve la source des maux. Après un état des lieux des différents quartiers informels, commune par commune, Safina Soula Abdallah en vient ainsi à exiger “des décasages”. “On a besoin de vous pour sauver Mayotte”, poursuit son camarade Soufiane à l’adresse des maires.
“Bassi, jusqu’à quand ? Jusqu’à aujourd’hui !”
“Il y a des choses sur lesquelles nous pouvons agir mais pas tout, il faut que tout le monde s’y mette”, rebondit le maire de Sada, invitant à “dénoncer les marchands de sommeil”. La parole fait consensus. Au tour de Youssouf Ambdi, le maire de Ouangani de se lancer. “Des réunions en tout genre, même des assises de la sécurité nous en avons tenu. Pour quel effet ? Jusqu’à quand nous allons continuer à travailler de la sorte avec ces réunions ?”, questionne le maire, martelant inlassablement son “jusqu’à quand ?”, avant de proposer… “Que l’on se mette tous d’accord autour d’une table”. Sans surprise, le monologue n’a pas vraiment l’effet escompté et voilà que les répliques fusent. “Bassi, jusqu’à quand ? Jusqu’à aujourd’hui !”, lui rétorque une maman. “Jusqu’au jour où vous allez accepter de travailler comme il faut”, lâche un quarantenaire.
S’ajoutent à cela plusieurs témoignages d’agression avec toujours la même question : “Que faîtes-vous, que fait la justice ? Pourquoi la cinquième puissance mondiale n’arrive-t-elle pas à maintenir l’ordre sur un si petit territoire ?”. Acculés, les militaires présents se voient bien obligés de prendre la parole.
“On ne va pas pouvoir bloquer l’île longtemps comme ça”
Par la voix du colonel de la gendarmerie mobile sur l’île – présence inédite dans les Outre-mer rappelle-t-on – on défend ainsi l’action de l’État pour la sécurité publique et vante le “continuum sans égal dans les autres territoires que l’on trouve entre la gendarmerie, les polices municipales et les élus”. “On n’est pas sans réponse de l’État, ce qui nous dépasse
tous, c’est le cadre de la loi”, fait valoir l’officier. La chose posée, le militaire de tenter ; “on ne va pas pouvoir bloquer l’île longtemps comme ça, il faudrait au moins faire preuve de bonne volonté, en alternant les barrages”. Et puis le mot de trop, “vous risquez de vous mettre la population à dos”.
Colère dans l’assistance. “C’est trop facile de nous demander d’ouvrir les barrages avec ces arguments, vous croyez que l’on fait ça de gaieté de coeur ? Vous venez d’arriver mais nous, depuis 2011 c’est de pire en pire ! Et quand on lève les barrages, on voit bien que rien de ce qui a été promis n’arrive!”, tempête encore Moutoin Soufiane. Avant de reformuler une dernière fois la condition de la levée : “une rencontre permettant de nous assurer que le préfet et le procureur vont tout faire pour démanteler ces campements sauvages”. Reste que ledit préfet n’est actuellement pas sur le territoire…
Et reste à savoir si les barragistes suivront la consigne car à Coconi comme à Combani, la résignation est déjà au rendez-vous. “Je sais bien que ça ne va pas aboutir à grand-chose mais au moins on essaye de se faire entendre”, souffle une maman, à l’ombre d’un camion de gendarmerie. “On est fatigués”.
Grégoire Mérot