Le Journal de Mayotte : Comment Mayotte s’inscrit-elle dans la dynamique nationale de la Croix-Rouge ?
Jean-Christophe Combe : Je crois que c’est un territoire sur lequel la Croix-Rouge française trouve tout son sens, toute sa raison d’agir. Depuis une quinzaine d’années la Croix-Rouge a beaucoup investi dans les territoires ultramarins pour y développer ses activités au regard des risques auxquels ces territoires sont soumis mais aussi au regard des réalités sociales, sanitaires qu’ils rencontrent. Dans ce cadre, Mayotte est un des territoires les plus compliqués, et donc où l’on se doit de développer d’autant plus intensément nos activités. Durant ce séjour, j’ai inauguré une borne fontaine monétique. C’est donc que l’on travaille sur les questions d’accès à l’eau potable, dans un département français. Cela illustre qu’il s’agit d’un territoire où il y a encore beaucoup à faire pour que l’ensemble de la population puisse accéder aux biens de première nécessité, à la santé, qu’elle puisse accéder à des parcours d’inclusion sociale et professionnelle etc.
Le J.D.M : La Croix-Rouge s’est beaucoup développée ces dernières années sur le département mais son action ne suscite pas une adhésion unanime. Comment l’expliquer et quels leviers actionner pour réparer cela ?
J.-C. C. : C’est vrai, le développement est conséquent et c’est une grande fierté de voir cette évolution sur 10 années. Ce qui est important pour nous, c’est que cette Croix-Rouge à Mayotte soit portée par des Mahorais. Si, il y a une dizaine d’années, nous avons fait venir du personnel de métropole pour structurer, lancer les dynamiques, le caractère
mahorais de la structure est aujourd’hui une réalité, par ailleurs portée par plusieurs centaines de bénévoles qui démontrent leur attachement à l’association.
Je pense également qu’il est important de rappeler que nous aidons tout le monde, on ne regarde pas les nationalités ou encore les situations administratives et agissons sous le sceau de l’inconditionnalité auprès de toute personne dans le besoin. Je sais que cela a pu et peut poser des questions au sein de la population mais je crois qu’in fine, nos actions parlent d’elles-mêmes : ce que nous avons fait pendant un an pour répondre aux besoins liés à la crise sanitaire montrent que nous sommes aux côtés de la population mahoraise, que nous l’avons aidée sur tous les plans, du volet alimentaire à la stratégie de dépistage ou de vaccination. Il y a des associations sur l’île qui sont spécialisées dans l’accompagnement des migrants mais ce n’est pas notre cas : nous, nous accueillons tout le monde. C’est vrai pour ceux à qui nous portons assistance comme pour ceux qui veulent s’engager à nos côtés.
Je pense que c’est la bonne vision pour créer une société résiliente sur l’île et que le procès qui a pu être fait à notre association est relativement injuste. C’est méconnaître l’étendue de nos activités, je pense par exemple au grand service de soins infirmiers à domicile que nous opérons et qui va doubler ses capacités pour couvrir l’ensemble du territoire. Nous sommes sur tous les fronts.
Le J.D.M : Certains de ces fronts ne devraient-ils pas être occupés par les pouvoirs publics ? Ne pallie-ton pas, à travers le tissu associatif, à des carences structurelles de l’État ou des collectivités locales ?
J.-C. C : Nous sommes partenaires. Par délégation de service public, il nous arrive d’être un outil au service du développement de telle ou telle politique publique, nous répondons à des appels d’offres et à la commande publique mais nous allons également nous trouver dans les interstices de ces politiques publiques. J’entends ce discours esimant que les associations viennent pallier les carences de l’État ou de la collectivité, mais je préfère me réjouir qu’il y ait ces associations, que la société civile se mobilise pour des actions de solidarité. C’est encore plus fort. Mon objectif n’est pas de donner à manger ou de soigner mais de le faire avec les gens eux-mêmes, c’est une autre dynamique que je trouve encore plus importante vis à vis de la cohésion sociale, du lien que l’on peut créer dans la société. À mon sens, rendre les publics acteurs est une manière plus digne de les aider. Dans le même temps, le fervent militant associatif que je suis est persuadé qu’il est bénéfique pour le vivre-ensemble de voir des personnes s’engager au service de la collectivité. Il ne faut pas toujours attendre que l’État ou une autre institution vienne apporter les solutions.
Ça n’empêche pas de les rappeler à leurs obligations, de temps en temps, lorsque des trous béants apparaissent sur certaines thématiques. Je pense dans ce cas à la question de l’hébergement, à celle du logement et finalement on voit qu’en travaillant ainsi les choses avancent. Si l’on s’agrandit autant sur le territoire, c’est que les pouvoirs publics nous font confiance et dans le même temps, qu’ils investissent dans des politiques publiques que
nous accompagnons. C’est un cercle vertueux et à travers notre dialogue avec les autorités nous pouvons ajuster certaines choses.
Rappelons aussi que la Croix-Rouge a un statut particulier, ce n’est pas une association militante. Chacun a son rôle dans le secteur associatif, nous sommes de nôtre côté auxiliaire des pouvoirs publics dans le domaine humanitaire. Ce qui ne nous empêche pas de refuser de participer à certaines opérations comme les évacuations ou encore les opérations de police. Tout simplement parce que nous sommes neutres et impartiaux dans nos missions. Derrière, nous allons accompagner les gens qui en ont besoin. Donc partenaires des pouvoirs publics, mais toujours avec la capacité de dire non.
Le J.D.M : Quels objectifs pour la Croix-Rouge à Mayotte dans les prochaines années ?
J.-C. : Il y a des objectifs internes et des objectifs généraux. Je souhaite évidement que nos activités se développent. Mais avant tout, il faut que notre activité se structure, qu’elle soit solide, professionnalisée. Lorsque l’on grandit aussi vite on a besoin de cadres. La maison Croix-Rouge que nous venons d’inaugurer participe à cela. En regroupant nos différentes activités, nous faisons en sorte que tout le monde travaille de manière cohérente et s’adresse au public d’une même voix. De manière générale, il s’agit de continuer à accompagner le développement de l’île. Par exemple dans le secteur médico-social dont nous sommes l’un des plus grands acteurs en France, pour accompagner, par exemple, les personnes en situation de handicap ou les personnes âgées.
Propos recueillis par G. M